TARNAC : Lettre ouverte à tous ceux qui soutiennent les inculpés du 11 novembre

Publié le par sceptix

Dans un texte adressé à Mediapart, Benjamin Rosoux, 30 ans, « épicier-terroriste », l’un des neuf de Tarnac, revient sur la prison, le traitement médiatique, judiciaire et policier de l’affaire des sabotages à la SNCF. Et prévient : « Viendra le moment où on devra bien nous rendre des comptes pour le préjudice énorme qu’on nous a fait subir, à nous, à Tarnac, mais aussi pour ce qui n’est qu’une provocation supplémentaire à l’encontre de tout ce qui ne se résigne pas au désastre en cours. »


Par Benjamin, épicier-terroriste...

Salut à tous,

C’est après trois semaines de décompression et un temps de réflexion, de lecture intensive de tout ce qui s’est dit sur cette affaire pendant que nous étions au trou, que j’entame l’écriture de cette lettre.

Je suis sorti de Fresnes voilà un peu plus de trois semaines maintenant, un peu déboussolé. Je ne m’attendais plus à être libéré aussi vite devant ce qui semblait être un traquenard si bien orchestré. Retrouver l’air du dehors et l’horizon du monde ont bien sûr été un grand soulagement, on s’habitue si vite à voir son existence bornée par des murs et des grilles, qu’il semble que ça fait des siècles quand bien même ça ne fait au fond que 2 ou 3 semaines. Je remercie du fond du cœur tous ceux qui se sont démenés pour nous sortir de là. Je suis sûr que malgré tout l’arbitraire qui entoure les décisions de justice, cette pression nourrie par les comités, les parents, amis et tous ceux qui ont senti à raison que cette affaire les concernait au plus près a eu un effet conséquent. J’aurais aimé pouvoir le faire d’une seule voix avec mes camarades co-inculpés mais comme vous le savez il nous est interdit de rentrer en contact d’une quelconque manière sous peine notamment de retourner en prison.

Mais je suis hanté d’une certitude : cette libération relève d’une « chance » inespérée, chance qui remonte à loin, celle d’une part d’être né blanc, d’avoir eu l’opportunité d’être diplômé, d’avoir des parents et des amis issus de cercles « privilégiés » dont la mobilisation a sans nul doute plus de chance d’être entendue que si j’étais né ailleurs et dans un autre milieu.

Je suis hanté bien sûr par le fait que deux de mes amis et camarades soient toujours incarcérés pour des motifs aussi rocambolesques, mais aussi par la pensée que des centaines d’autres personnes croisées notamment au cours de ma courte détention n’ont jamais eu cette « chance » et pour cause. Les prisons françaises ont englouti au cours des dernières années toute une frange de la jeunesse de ce pays, cette frange jugée inassimilable, sans cesse harcelée, toujours « déjà condamnée » et qui refuse toujours de rentrer dans les rangs étouffoirs de cette société. Un fait saute aux yeux quand on fréquente les cours de prison, une très claire majorité de détenus est composée par des jeunes des quartiers populaires, dont certains ont été abonnés aux séjours en prison. On remarque aussi le nombre effarant de personnes détenues, pour des périodes souvent très longues, sous le régime de la détention provisoire, régime dit « exceptionnel ». 6 mois, 9 mois, 1 an, 2 ans, 3 ans, sans procès et bien souvent sans preuve tangible. C’est qu’il est sans doute plus compliqué d’avoir des ‘témoignages de moralité’, des garanties de représentation recevables quant on vient de Villiers-le-Bel, Aubervilliers ou Bagneux, quand vos parents sont considérés comme étrangers, qu’ils ne maîtrisent pas la langue des magistrats et des media ou quand ils ne justifient pas d’une activité professionnelle stable et surtout reconnue.

Pas de misérabilisme toutefois, la solidarité se forge aussi derrière les murs des prisons, la politique pénale de ce gouvernement est en train de fabriquer une bombe à retardement. Plus on bourrera jusqu’à la gueule les geôles de ce pays, plus des destins vont s’y croiser et dresser des ponts entre tous ces milieux si savamment séparés à l’extérieur.

Le rapprochement entre les traitements politiques, policiers et médiatiques (cette triade tend à devenir une expression consacrée, peut être faudrait-il penser à les fusionner officiellement !), de l’affaire de Tarnac et celle de Villiers-Le-Bel l’année dernière est pertinente à plus d’un titre…

Novembre 2005 (Clichy sous Bois), CPE, élection présidentielle, Villiers-le-Bel, LRU,… deux parties de la jeunesse que tout a priori oppose, nourrissent conjointement la paranoïa du pouvoir.

La réponse ne se fait pas attendre et prend les même traits. D’un côté « lutte contre le règne des bandes » pour justifier la répression dans les quartiers après les émeutes, de l’autre, fabrication de toutes pièces d’une « mouvance anarcho-autonome », de « groupuscules d’ultra-gauche », comme repoussoirs à la révolte diffuse qui essaime au fil des mouvements de la jeunesse étudiante ou « précaire ». Dans les deux cas, une politique de communication de longue haleine pour dessiner les contours de « l’ennemi intérieur », qui débouche bruyamment sur des opérations coup de poing sur-médiatisées. Démonstrations de force démesurées, curées médiatiques, embastillements purs et simples. Faut-il le rappeler, outre les inculpés et incarcérés multiples de novembre 2005, cinq personnes sont toujours incarcérées après le coup de filet de Villiers-le-Bel et attendent un procès qui ne vient pas, faute de preuves.

Aujourd’hui c’est notre tour, mais la chasse aux dits « anarcho-autonomes » est ouverte depuis plus d’un an, six personnes au moins ont déjà été interpellées et entendues devant les juridictions anti-terroristes depuis décembre 2007 pour des faits ou des suspicions qui n’avaient jamais relevé d’un tel régime juridique jusque là. L’étau se resserre et tous les coups semblent désormais permis.

Il a déjà été développé largement dans les communiqués des comités de soutien à quel point le recours aux outils de l’anti-terrorisme représente un glissement significatif des procédés de gouvernement et de la « gestion » de la contestation. Des scénarii déjà vus dans plusieurs pays au cours des dernières années (USA, Royaume-Uni, Allemagne, Italie…) débarquent avec fracas en France et signent l’entrée dans un régime où l’exception devient la règle. Ces procédures n’ont la plupart du temps rien à voir avec le « terrorisme » et ce quelle que soit la définition qu’on en donne, elle répondent à la logique millénaire de « en réprimer un pour en apeurer cent ». En d’autres temps on en aurait pendu « quelques-uns » à l’entrée de la ville, pour l’exemple.

Dans notre cas, il est très vite apparu que « l’affaire des sabotages de la SNCF » n’était qu’un prétexte opportun pour déployer au grand jour une opération de communication et de « neutralisation préventive » prévue de longue date (depuis l’arrivée de MAM au ministère de l’intérieur). La rapidité de la mise en branle de « l’opération Taïga » et l’absence quasi totale d’éléments matériels au dossier, même après les perquisitions et les interrogatoires croisés, dévoile très vite à qui n’est pas occupé à hurler avec les loups, la grossièreté du montage policier. Il aura pourtant été fait de sévères efforts d’assaisonnement de cette histoire un peu fadasse, un « groupuscule en rupture de ban et s’adonnant à la clandestinité », un « chef incontesté », son « bras droit », ses « lieutenants », des « relations amicales » ménagées dans le village par « pure stratégie ». Mais rien n’y fait les gens croient définitivement et heureusement plus « à ce qu’ils vivent qu’à ce qu’ils voient à la télé ».

Une fois répondu pour chacun à la question de sa participation ou non aux « actes de dégradation » sur les caténaires de la SNCF, reste cet immense gloubi-boulga qu’est l’accusation de « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste ». C’est d’ailleurs le seul chef d’accusation qui pèse sur la plupart des inculpés dont moi-même.

Ce chef d’inculpation repose sur un faisceau d’informations et d’hypothèses disparates, réunies par les services de renseignement, mais que seule une prose policière pour le moins imaginative permet d’articuler entre elles d’une manière aussi unilatérale. Les liens d’amitié, politiques chacun à leur manière, deviennent sans l’ombre d’un doute des affiliations organisationnelles voire hiérarchiques. On fait d’une série de rencontres, de la participation de quelques uns à des manifestations, de la présence de certains autres relevée au cours des mouvements sociaux qui ont émaillé les dernières années, les présages de la raison d’être strictement ‘politique’ (au sens le plus classique et plat du terme) d’un « groupe » identifiable et isolable comme « cellule » (cancéreuse ?). Cela est une contre vérité absolue et détermine un certain nombre de contre-sens vis à vis de ce dont nous avons été diversement porteurs au fil des années.

Le délit « d’association » permet d’englober d’un seul coup l’entièreté de l’existence des personnes visées et tout peut y devenir un élément à charge : lectures, langues parlées, savoir-faire, relations à l’étranger, mobilité, absence de téléphone portable, rupture avec son ‘plan de carrière’ où avec son extraction sociale, vie amoureuse et j’en passe.

L’utilisation de ces outils « antiterroristes » n’est finalement rien d’autre que l’indice de l’agressivité propre à tout pouvoir qui se sait de toutes parts menacé. Il ne s’agit pas tant de s’en indigner. Il s’agit en tout cas de ne pas, ou plus, être dupe de cette opération de police politique. Elle n’est que la tentative, des tenants du pouvoir, de communiquer au « corps social » leur propre paranoïa, qui, elle, n’est peut être pas totalement sans fondement.

On parle beaucoup autour de cette affaire de l’essai intitulé « L’insurrection qui vient » et tout le monde y va de son hypothèse pour dire QUI est derrière cette signature qu’est le « comité invisible ». Cette question n’est intéressante que d’un point de vue strictement policier. Le choix éditorial d’anonymat qui a été fait doit être entendu, à mon avis, non comme une particulière paranoïa des auteurs (même si elle se trouverait aujourd’hui cent fois justifiée) mais par l’attachement à une parole essentiellement collective. Non pas la parole d’un collectif d’auteurs qu’on pourrait dénombrer, mais une parole qui s’est forgée dans les aléas d’un mouvement où la pensée ne saurait plus être attribuée à tel ou tel en tant qu’auteur.

Ce livre suscite beaucoup de désaccords, voire de réprobation y compris parmi nous qui avons pourtant fait l’effort de le lire et le comprendre. Il me semble que c’est l’objet même de l’écriture politique : mettre ce qui demande a être débattu sans délai au centre, le rendre incontournable, quitte à être cru et sans nuance.

Tous ceux qui, par ailleurs, prétendent savoir QUI est l’auteur de ce livre mentent purement et simplement ou prennent leur hypothèse pour la réalité.

Les « lectures » récentes de ce livre, notamment celle de la police et de quelques criminologues de salon posent à beaucoup la question de la « radicalité ». Cette « radicalité » nous est renvoyée à nous comme trait d’identité, voir comme chef d’inculpation qui ne dit pas son nom. Je ne me sens pas particulièrement radical, au sens d’être prêt à accorder les constats, les pensées et les actes (ce que plus personne ne fait malheureusement et depuis longtemps). Par contre la situation est radicale et l’est de plus en plus. Elle détermine des mouvements de radicalisation diffus, qui ne doivent rien à quelque groupuscule que ce soit. Chaque jour dans mon activité d’épicier notamment ou quand je sers au bistrot, ou bien encore quand j’étais en prison, je discute, j’écoute ce qui se dit, se pense, se ressent, et je me sens parfois bien modéré face à la colère qui monte un peu partout. Ce gouvernement a sans doute raison d’avoir peur que la situation sociale lui échappe, mais nous ne servirons pas sa campagne de terreur préventive, car le vent tourne déjà. Il vient de Méditerranée.

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, de doutes à lever, de manipulations à déjouer, mais tout ça ne fait que commencer. Ainsi ma position est en phase avec celle des comités de soutien qui fleurissent un peu partout : abandon des charges de « entreprise terroriste » et « d’association de malfaiteurs », libération immédiate de Julien et Yldune et de tous ceux et celles qui sont incarcérés à ce titre, pour commencer…

Viendra le moment où on devra bien nous rendre des comptes pour le préjudice énorme qu’on nous a fait subir, à nous, à Tarnac, mais aussi pour ce qui n’est qu’une provocation supplémentaire à l’encontre de tout ce qui ne se résigne pas au désastre en cours.

Benjamin, épicier-terroriste

mediapart.fr

 
"Michèle Alliot-Marie cherche à faire un exemple à travers Julien"



Gérard Coupat estime, dans une interview au nouvelobs.com, que le maintien en détention provisoire de son fils, Julien Coupat, soupçonné d’avoir participé aux sabotages des lignes de TGV, procède d’une volonté politique visant à tuer dans l’oeuf toute révolte de la jeunesse contre le "totalitarisme mou qui tente de s’installer en France".
Vendredi, la cour d’appel de Paris a infirmé la demande d’un juge des libertés et de la détention de libération de Julien Coupat, en décidant son maintien en détention, dans le cadre de l’enquête sur les sabotages de plusieurs lignes de TGV commis en novembre
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Interview de Gérard Coupat par Sarah Halifa-Legrand


Avez-vous pu voir votre fils après l’audience ?

Ma femme avait pris un parloir au cas où Julien ne serait pas libéré. Elle l’a vu pendant une demi-heure. Il était effondré après ce qu’il venait de vivre. Effondré d’avoir subi cinq fouilles à nu entre la prison de la Santé et le Palais de justice, en moins de deux heures. Quand il a voulu aller uriner avant l’audience, les policiers ont de nouveau procédé à des vérifications, il a dû enlever ses lacets, et y est allé sous leur étroite surveillance. Ce n’est qu’une fois mis dans cet état d’humiliation que l’audience a commencé. Il y a de quoi se demander si la détention préventive n’a pas pour but unique de casser les personnes. Ensuite, il s’est retrouvé face à trois magistrats en vacation qui ne connaissaient pas bien l’affaire, sachant que le dossier de Julien compte 5 tomes et qu’ils avaient 17 ou 18 affaires à traiter en moins de 8 heures. D’emblée, les magistrats se sont montrés agressifs, l’accusant de mal se tenir et le traitant d’"Essec égaré". Julien les a sentis hostiles. Il sentait que ces magistrats n’avaient pas envie de contrecarrer la volonté du parquet et du ministère de l’Intérieur.

Comment expliquez-vous son maintien en détention ?

A partir du moment où le parquet, qui est le représentant du pouvoir politique, a utilisé une procédure exceptionnelle – le référé rétention infirmant ce que le juge des libertés, indépendant du pouvoir politique, avait décidé, à savoir la remise en liberté immédiate –, on se doutait que personne, surtout pendant les vacances où les décisions sont prises par des juges vacataires, n’allait aller à l’encontre de l’avis du parquet. Résultat, comme l’avocat de Julien va probablement déposer une nouvelle demande de remise en liberté mi-janvier, il faudra encore 15 jours pour qu’elle soit étudiée, cela signifie que Julien en reprend pour un mois minimum, alors que rien ne justifie sa détention. Depuis le début de cette affaire, on se trouve face à une justice manipulée directement par le ministère de l’Intérieur ou indirectement par le parquet ; ce qui revient au même.

Pouvez-vous le voir souvent ? Parvenez-vous à échanger tous les deux ?

On a le droit à une visite de 40 minutes environ trois fois par semaine, sachant qu’on est sous stricte surveillance pendant les entretiens, vu que Julien est considéré comme "un terroriste dangereux". Les conditions de détention sont difficiles. Le père d’Yldune (la compagne de Julien, également gardée en détention, ndlr), raconte qu’elle est réveillée toutes les deux heures, soi-disant pour qu’elle ne se suicide pas. Quand je vois Julien au parloir, je passe mon temps à lui dire qu’il faut qu’il tienne bon, qu’il prenne de la distance. Même s’il a des gros coups de barre, comme vendredi, il reste solide face aux pratiques policières visant à l’humilier.

Vous êtes persuadé de son innocence. Pourquoi ?

Je suis convaincu que Julien n’a rien à voir avec le terrorisme. Il est en désaccord, comme beaucoup de gens, avec une politique qui instaure une surveillance et une répression accrues des individus au nom du "tout sécuritaire", qui est le nouveau credo de notre ministre de l’Intérieur. Les jeunes de Tarnac considèrent que le capitalisme financier et l’hyper consumérisme actuels détruisent la planète et la solidarité entre les hommes et entre les peuples. Mais surtout, ce qu’on leur reproche, c’est d’être des jeunes plutôt instruits, appartenant à la classe moyenne, et ayant décidé de vivre réellement selon leurs idées. Non seulement ils contestent notre mode de vie et notre organisation sociale, mais en plus ils osent mettre les leurs en application : c’est cela qui fait peur à la police. A Tarnac, sur le plateau des Millevaches, ils essaient avec des amis de mettre en pratique une nouvelle façon de vivre fondée sur une vision collective de la société et sur une certaine frugalité. C’est une expérimentation sociale. Et c’est pour cela que leur collectif a choisi le plateau des Millevaches, un milieu âpre, pauvre, froid et symbole de résistance, pour ainsi développer ces liens sociaux tellement enrichissants.

Que pensez-vous des pièces à charge du dossier ?

Dès le premier jour, la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie a clamé qu’elle avait beaucoup de preuves à charge. Et puis, en quelques jours, ces preuves sont devenues un faisceau de présomptions, c’est à dire pas grand chose. Aujourd’hui, son dossier ne tient tellement pas la route qu’elle est obligée d’extirper des bibliothèques un livre aux auteurs anonymes. C’est vraiment n’importe quoi. Entre temps, heureusement, trois jeunes de Tarnac ont été libérés… Il ne reste que Julien et Yldune.
La police a donné aux journalistes un certain nombre d’éléments à charge pour laisser penser qu’elle avait attrapé un gros poisson. Ces éléments étaient censés prouver qu’il s’agissait de terroristes. Selon cette version, Julien serait un "grand terroriste" parce qu’il n’utilise pas de téléphone portable, parce qu’il est soi-disant caché à Tarnac, parce qu’il a passé clandestinement la frontière entre le Canada et les Etats-Unis… C’est grotesque. Mais ce que le ministère de l’Intérieur ne comprend pas, c’est que tous ces indices ridicules ne sont que des éléments du mode de vie que les jeunes de Tarnac ont choisi. Julien, pour ne prendre que la dernière accusation, ne se déplace qu’en stop, afin de prendre le temps de rencontrer et de comprendre les gens. Quant à se "cacher" à Tarnac, c’est tout le contraire : le collectif est très intégré au village, c’est grâce aux enfants du collectif que l’école se perpétue, ils tiennent l’épicerie, le bar-restaurant, le ciné-club... Je suis allé à Tarnac, et ce que j’ai vu, c’est beaucoup de travail et beaucoup de discussions. La notion de chef n’existe pas, le collectif refusant toute structure hiérarchique. Julien ne peut donc pas être "chef de bande", comme le dit Mme Alliot-Marie.
On est totalement dans la logique du marketing de la peur et de la manipulation policière. L’idée géniale mise en avant par le procureur général, c’est qu’il faut prendre le terrorisme à la base. Il a fait le parallèle avec la Bande à Baader, mettant en avant le fait que cette fois, les "terroristes" avaient été pris avant qu’ils ne soient véritablement des terroristes ! Mais, hélas pour lui, dans le collectif de Julien, il n’ont pas trouvé l’ombre d’une arme. Et pendant les six mois de filature et en dépit des dizaines de policiers à leurs trousses, ceux-ci n’ont rien trouvé de très répréhensible. Quel gâchis d’argent et d’énergie, dépensés pour rien, ou uniquement pour le cirque médiatico-policier mis en scène par le ministère de l’Intérieur !

L’enquête de police dit tout de même que Julien et Yldune ont été vus près de l’une des lignes de TGV qui a été sabotée, le 7 novembre…

Comme ils étaient suivis depuis six mois, les policiers savaient déjà tout sur eux. Nous étions tous surveillés, les enfants et les parents. Pourquoi alors, s’ils disent savoir que Julien était avec Yldune près de cette voie ferrée, ne sont-ils pas intervenus aussitôt ? Ils disent qu’ils ont perdu leur trace dans le noir pendant 20 minutes avant de les retrouver. Or, il est impossible de saboter une caténaire, à deux, pendant un laps de temps aussi court. Les professionnels sont formels. Et comment se fait-il qu’en retrouvant leur filature, les policiers n’aient pas fouillé leur voiture pour trouver des pièces à conviction ? Bizarre…
De plus, ce que la police nomme des actes terroristes sont en réalité des actes vandalisme. La seule chose sur laquelle ils fondent la procédure terroriste est le lien qu’ils établissent entre les sabotages sur les lignes TGV et le livre "L’Insurrection qui vient", dont ils affirment sans aucune preuve que Julien est l’auteur principal. Dans ce livre, il est notamment écrit que la révolte peut passer par le blocage des voies de communication. Or, couper les voies de communication, n’est-ce pas ce que font régulièrement les cheminots en grève, les pêcheurs ou les camionneurs ? Cela fait un demi-siècle que les mouvements de contestation emploient cette technique. Et soudain, le ministère de l’Intérieur décide que ces actes seront dorénavant des actes terroristes. _ On marche sur la tête…
Depuis le début, une autre histoire est connue des policiers mais n’a pas été prise en compte. Dès le 9 novembre, soit deux jours avant l’attaque policière sur Tarnac, les sabotages ont été revendiqués par des écologistes allemands militant contre le transport des déchets nucléaires. Ils écrivaient dans leur communiqué qu’ils avaient mis des fers à béton sur les lignes des TGV allemandes et françaises pour marquer un grand coup. Or, de ce que je sais, pas un policier n’est allé enquêter de ce côté là.

Mais pourquoi alors, selon vous, cet acharnement sur Julien ?

Déjà parce que la ministre de l’Intérieur ne veut pas perdre la face en libérant une personne qu’elle s’est empressées d’accuser à la légère de terroriste. En outre, les idées des jeunes de Tarnac dérangent notre ministre, qui sait qu’il y a un ras-le-bol chez les jeunes de la classe moyenne qui pourrait s’embraser, comme en Grèce. Je pense que Michèle Alliot-Marie cherche à faire un exemple à travers Julien et à tester la capacité des Français à réagir à cette nouvelle agression liberticide. Ce qu’elle fait ainsi savoir c’est : regardez, si vous osez contester, voilà ce qu’il vous arrivera. En prenant pour boucs émissaires des jeunes ayant un casier judiciaire vierge, plutôt instruits, de la classe moyenne, elle réussit bien son coup en distillant la peur à grande échelle et en prenant le rôle de la grande déesse protectrice de tous les malheureux… Espérons que les Français ne se feront pas prendre à cette mise en scène.

Vous êtes ultra présent dans les médias. Dans quel but ?

A l’inverse de la ministre de l’Intérieur, dont les équipes n’ont pas respecté le secret de l’instruction en accusant d’emblée le collectif, nous, les parents des inculpés, nous avions décidé d’attendre la fin des 96 heures de garde à vue avant de parler à la presse. Nous voulions respecter la loi républicaine. Mais après toutes ces déclarations qui faisaient de nos enfants des coupables – car d’emblée le ministère de l’Intérieur a considéré qu’ils étaient coupables –, imaginez le travail qu’on a dû faire pour réparer cette image mensongère, qui, de plus, ne respecte pas la présomption d’innocence ! Imaginez comme c’est difficile de faire en sorte que les gens changent de point de vue quand, dès les premiers jours, Mme Alliot-Marie s’est efforcée de convaincre les Français qu’elle les a sauvés d’actes terroristes, dans un contexte de peur généralisée ! Par notre travail, les journalistes, en allant à Tarnac, se sont rendus compte ensuite par eux-mêmes qu’ils avaient été manipulés, voire bernés.

Vous mêlez, au combat du père qui veut sauver son fils, celui du citoyen qui s’insurge contre les pratiques politiques actuelles… Pourquoi ce deuxième engagement ?

Mon premier objectif, c’est, en tant que père, qu’Yldune et Julien sortent de prison le plus vite possible. Car le but de la prison préventive, je le répète, dans ce cas, c’est de les casser. Plus courte sera cette période de détention, mieux ce sera pour nos enfants, qui risquent d’en sortir détruits. Nous sommes plutôt pessimistes, car nous voyons bien que Michèle Alliot-Marie et sa police politique mettront le paquet pour s’opposer à leur libération. Il faut savoir que lorsque les magistrats vont ordonner une enquête, c’est cette même police qui va s’en charger. On va donc se retrouver immanquablement confronté au ministère de l’Intérieur, et cela peut durer des années. Je pense qu’ils vont tout faire pour que cela prenne du temps. La justice est instrumentalisée par les policiers, c’en est le parfait exemple. Mais je me battrai tant que Julien ne sera pas blanchi de cette infamie et que les pratiques policières et du ministère de l’Intérieur ne seront pas remises en question.
Mon deuxième but, c’est de montrer à tous ce que je viens de découvrir : que ces lois, qui sont des lois d’exception faites pour al-Qaida et consorts, sont utilisées pour des personnes qui ne font que contester une politique, un mode de société. J’ai découvert la scandaleuse complicité entre la justice et le ministère de l’Intérieur, une complicité plus proche d’une république bananière que d’une démocratie en bonne et due forme. Ce que je veux dire c’est, d’une part, qu’il doit y avoir respect de la constitution française, donc présomption d’innocence et non présomption de culpabilité, et, d’autre part, qu’il doit y avoir respect des droits de l’Homme, donc que la prison doit demeurer un fait extrêmement exceptionnel.
Moi qui n’avais pas de forte démarche politique dans ma vie, qui votait tantôt à droite, tantôt à gauche, en fonction des personnalités politiques, qui avais été myope, un peu lâche, je sais désormais ce que je vais faire du reste de ma vie. Je vais m’engager contre ces lois liberticides : ce sont nous, les hommes et les femmes de 40 à 60 ans, qui avons laissé les gens au pouvoir mettre en place ces lois scélérates ; c’est à nous, avec l’aide des jeunes, de les faire sauter car elles sont contraires à l’esprit de la démocratie française.
Et puis, je vais mettre toute mon énergie pour que Tarnac continue à vivre, car c’est pour moi un symbole merveilleux de résistance au totalitarisme mou qui tente de s’installer en France. Merci au peuple de Tarnac de nous avoir réveillés.

tempsreel.nouvelobs.com

Publié dans justice & police

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