Serbie : le grand incendie du camp rrom du pont Gazela de Belgrade

Publié le par sceptix

Mise en ligne : mardi 10 février 2009

Dans la nuit du 3 au 4 février, un incendie a ravagé le camp rrom situé sous le pont d’autoroute de Gazela, dans le centre de Belgrade. Pauvreté, violence, exclusion, les habitants de Gazela témoignent de leurs conditions de vie, alors que l’on évoque depuis longtemps une déplacement du camp pour reconstruire le pont. Au lendemain de l’incendie, la mairie de Belgrade a annoncé la fermeture du camp d’ici le 31 août au plus tard. Les habitants seraient relogés loin du centre. Un reportage du Courrier de la Serbie.

Par Marko Tasić

Le Camp de Gazela sous l’autoroute
© www.beogradgrazela.net

Dans la nuit du 3 au 4 février 2009, un incendie a ravagé un des bidonvilles rroms situés sous le pont autoroutier Gazela, près de la gare centrale de Belgrade. Deux jours plus trad, la tension est encore palpable. Au-delà du sinistre, les gens ont du mal à retenir leur colère face à leurs conditions de vie. De chaque côté du pont, les langues se délient et les témoignages sont d’une franchise étonnante.

Premier arrêt dans le camp de la rue Braća Krsmanović. Pas de doute, les Rroms veulent parler, parler de leur vie, de ce qu’ils ont sur le coeur. Un homme, la cinquantaine, voix rauque et barbe fournie, insiste pour raconter son histoire. « Je suis Dini Kamberović, je viens de Vranje. Là-bas, la vie est encore plus triste qu’ici. Je travaillais pour l’entreprise CZP en tant que soudeur avant de me faire licencier. À Vranje, je possède une petite maison en briques. Nous sommes six dans la famille mais je suis le seul à travailler. Mon fils aîné a du mal à trouver un emploi car il n’a pas été à l’école. En Serbie, nous les Rroms, nous sommes perçus comme des gens à part. On nous considère comme des voleurs.

Cela fait maintenant huit ans que je vis à Belgrade. J’ai été obligé de venir ici car il n’y avait aucune perspective d’avenir pour moi à Vranje. La seule chose que je pouvais faire c’était de tuer, de voler, de faire le mal, mais je ne suis pas comme ça, je veux vivre honnêtement. Seulement si la situation empire, si j’en arrive à ne plus pouvoir nourrir correctement mes enfants, à ne plus pouvoir les soigner, je devrais sans doute faire des choses illégales. Et ça, ce n’est pas acceptable !

Nous avons un représentant, mais il ne défend pas nos intérêts. Je ne l’ai jamais vu ici. Il fait semblant de s’occuper de nos problèmes, seulement l’argent qu’il reçoit des organisations humanitaires étrangères, on ne le voit jamais. Nos conditions de vie ne s’améliorent pas. On nous avait promis des cuisinières mais nous ne les avons pas reçues. De l’autre côté du pont, il paraît qu’ils ont eu des vivres et des équipements. Là-bas, ils sont plus nombreux et plus riches qu’ici. »

Pour en savoir plus, écoutez le reportage audio de notre correspondant :

MP3 - 1.6 Mo

De l’autre côté du pont, rue Vojvode Misić, le bidonville a été victime de l’incendie. Deux Rroms écoutent de la musique en buvant de la rakija. L’un deux, visiblement éméché, s’agace lui aussi de sa situation : « Moi c’est Voja. Je vis ici depuis quatorze ans. Regardez dans quelles conditions nous vivons. Nous n’avons ni l’eau ni l’électricité. Des fois, me vient l’idée me pendre. J’ai une femme, six enfants, cinq petits enfants. Je ne sais pas comment subvenir à nos besoins. Des souffrances, toujours des souffrances. J’espère que Dieu nous aidera. »

« L’incendie a été un enfer. De nombreux papiers administratifs, des passeports, des actes de naissance mais aussi des billets sont partis en fumée. En hiver, les gens font du feu dans leurs baraques pour se réchauffer. Une d’entre elle s’est embrasée, puis le vent a fait son travail. L’incendie a détruit une dizaine d’habitations au total. Comme elles sont faites de carton, je vous laisse imaginer la rapidité avec laquelle elles ont brûlé » raconte Hasim, le voisin de Voja.

« Les pays occidentaux nous donnent des aides, pourquoi les voleurs de Serbes ne font pas la même chose ? Au lieu de nous permettre de nous sortir de notre situation, ils s’en mettent plein les poches. » s’emporte un troisième Rrom.

Le lendemain de l’incendie, des heurts ont eu lieu dans le camp, opposant les Rroms aux journalistes et aux forces de l’ordre venus constater les dégâts. Deux jours après, la tension est encore palpable. De nombreux débris jonchent le sol, témoins des baraques en carton qui s’élevaient il y a deux jours à peine. À côté de ces décombres, de petits préfabriqués arborent le logo Caritas. Ce sont les maisons que la ville de Belgrade a financé. Dragan Zvecerović, un habitant du camp, dénonce les conditions dans lesquelles ces logements ont été attribués aux familles.

« Avant de choisir à qui l’on va donner ces maisons, il faut faire une étude afin de définir qui doit être prioritaire. Ici, certaines familles sont plus dans le besoin que d’autres. Malheureusement, les logements ont été répartis au hasard, sans analyse préalable. Certaines des familles qui ont le plus grand nombre d’enfants à charge bénéficient des aides les plus petites. Il y a des gens dont les maisons n’ont pas brûlé qui se sont installés dans ces logements offerts par la ville pendant que d’autres qui n’avaient plus de toit ont dû dormir dehors. Qu’est-ce-que ça veut dire ? Moi, ma maison est toujours debout mais elle a été pillée par des voleurs, des Rroms du coin. Il faut de l’ordre et de la justice ici. »

La baraque de la soeur de Dragan a également été cambriolée. Ils ont emporté ses économies, sa télévision et sa cuisinière après avoir découpé les murs en carton. « Ils m’ont même pris mes médicaments pour le coeur » sanglotte-t-elle.

« Que voulez-vous qu’elle fasse maintenant ? Qu’elle aille mendier jour et nuit, se prostituer pour regagner l’argent qu’on lui a volé ? » demande Dragan avant de s’emporter. « Que dois-je faire ? Aller tuer ceux qui nous ont cambriolé et me retrouver en prison ? On lutte pour survivre et on se fait voler par nos propres frères. C’est mal de se voler entre Rroms, cela donne une mauvaise image de nous. Nous sommes pauvres mais nous devons gagner notre vie honnêtement. Pourtant, certains choisissent la violence. Quand la police est venue hier, ça s’est terminé en bagarre générale. Personne n’a voulu ne serait-ce que constater nos conditions de vie. Celui qui est censé nous représenter s’est enfui pendant la bagarre. »

Une rue à l’intérieur de Gazela
© www.beogradgrazela.net

Les pieds dans la boue, il se dirige péniblement vers la bâtisse de Baja, le chef du camp, tandis que deux enfants conduisent une voiture cabossée entre les décombres. « C’est pas facile de circuler par ici » maugrée Dragan.

« Vous savez, après les heurts d’hier, vous avez eu beaucoup de chance de ne pas vous être fait tabasser. Les Rroms d’ici en veulent aux journalistes, aux politiques et aux forces de l’ordre » explique Baja avant d’entrer dans le vif du sujet.

« La ville de Belgrade a décidé de déménager ce bidonville dans un quartier situé à 30 kilomètres d’ici. La date butoir est fixée au 31 août 2009. Nous espérons que cela sera synonyme d’amélioration. Depuis huit ans on nous promet des aménagements, des aides, des relogements mais jamais rien n’a changé. Nos enfants ne sont toujours pas scolarisés, ce qui empêche leur intégration. Pourtant tout commence par l’éducation.

Vous pouvez le constater par vous-même, les gens d’ici sont nerveux, ils ne tolèrent pas la manière dont les autorités de la ville les traitent. Ils ont sans doute tort de s’en prendre aux journalistes mais il faut les comprendre : certains habitent le camp depuis plus de dix ans sans que leurs conditions de vie ne se soient améliorées. À cause de l’incendie, de nombreuses personnes sont aujourd’hui sans-abris. La ville a fourni des préfabriqués mais ils ont été donné au hasard, sans concertation. Cela a crée de nouvelles tensions à l’intérieur du camp. »

L’incendie qui a ravagé l’un des camps de Gazela illustre les conditions déplorables dans lesquelles les Rroms vivent au quotidien. La médiatisation du sinistre a pour une fois mobilisé les responsables politiques serbes. Pourtant, aux yeux des Rroms, ce qu’ils ont pu faire n’est qu’une goutte d’eau dans un océan de problèmes.
Source http://balkans.courriers.info/article12230.html

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