Les actions de nos grandes banques soulèvent interrogations et inquiétudes
Claude Chiasson QUEBEC
Édition du samedi 28 février et du dimanche 01 mars 2009
http://www.ledevoir.com/2009/02/28/236493.html
Le secteur bancaire a continué d'être durement secoué au cours des dernières semaines. Tellement que l'action de la Banque de Montréal s'est repliée au point de s'échanger sur la base d'un taux de dividende annuel de plus de 10 %. Les actions des autres grandes banques ont aussi durement écopé. Un fait qui a amené les commentaires suivants de certains lecteurs:
Je remarque avec perplexité qu'il y a vente importante des actions de BMO et de nos grandes banques en général. Leur valeur diminue. Quelles en sont les explications, et devrais-je me précipiter pour en acheter?
M. C.
Le Globe and Mail nous gratifie d'une comparaison (douteuse) entre BMO, Bank of America et d'autres, sur la base qu'un dividende franchissant le seuil de 10 % présenterait automatiquement des risques.
«Still, membership in the double-digit club carries considerable risks, given the track record of previous members, which include Bank of America Corp., Dow Chemical Co. and Canadian Oil Sands Trust. All three had their membership revoked after slashing their dividends, in the case of Bank of America to as low as a penny.»
- http://business.theglobeandmail.com/servlet/story/RTGAM.20090218.WBmarkets
20090218123120/WBStory/WBmarkets
N'est-ce pas là un article simpliste à outrance? Le dividende ne devient-il pas à risque lorsque les flux de trésorerie deviennent insuffisants pour les payer? Or l'article ne dit pas un mot à ce sujet. C'est comme si l'auteur de l'article se servait du cours de l'action et de l'humeur du marché pour estimer les flux de trésorerie à venir. Sans parler que le seul point en commun entre les entreprises énumérées semble être le pourcentage du dividende. - Philippe
Bonjour M. Chiasson,
Merci et félicitations pour votre article: «Effet multiplicateur du système bancaire». Ces choses ne sont pas simples, mais vous les expliquez clairement. Voici quelques questions qui me préoccupent:
1. Trouvez-vous honnête que des banques sortent des actifs de leur bilan? Est-ce légal?
2. Si la crise s'installe, certaines de nos banques risquent-elles la nationalisation?
3. Qu'est-ce qui arrive aux actionnaires lorsqu'une banque est nationalisée?
4. À la suite des nouvelles émissions et conséquemment à la dilution, à combien d'années estimez-vous le temps qu'il faudra aux actions de nos banques pour retrouver leurs valeurs de fin 2006?
5. Faut-il sortir les actions des banques de mon portefeuille?
Un investisseur inquiet,C. D.
Sherbrooke
En fait, les mauvaises nouvelles affligeant les banques et institutions financières fusent de partout.
À commencer par l'Europe. Plusieurs pays de l'Europe de l'Est sont dans l'eau chaude. Leurs économies périclitent ainsi que leurs devises. Les agences d'évaluation financière ont déjà réduit la cote de crédit de certains, d'autres étant sur le point de subir le même sort. Or, les banques européennes sont lourdement exposées à ces pays émergents, en particulier les banques autrichiennes et suédoises. Selon des données divulguées dans le Financial Post, les prêts transfrontaliers en faveur de l'Europe de l'Est se chiffreraient à cinq mille milliards de dollars US dont 75 % proviennent des banques européennes.
De plus, les banques européennes sont lourdement exposées aux entreprises domestiques, celles-ci leur ayant octroyé sous forme de prêts 2 $ pour chaque 1 $ d'avoir propre. L'inverse prévaut dans le cas des banques américaines. Ces dernières sont donc beaucoup moins exposées au risque commercial que leurs consoeurs européennes. Malgré cela, elles éprouvent de sérieuses difficultés financières.
Ces données confirment d'autres que j'ai lues et qui indiquent que les banques européennes montreraient un effet de levier incroyable de 61 pour 1, c'est-à-dire 61 $ de passif pour 1 $ de capital propre, contre 26 $ pour 1 $ pour les banques américaines, ce qui est tout de même très élevé. Imaginez! Avec un ratio de 26 pour 1, certaines grandes banques américaines sont aujourd'hui presque acculées à la faillite. Alors qu'en est-il des banques européennes?
Aussi ne faut-il pas se surprendre d'apprendre que le gouvernement allemand s'apprête à voter une loi lui permettant de nationaliser à son gré toute institution financière pouvant se trouver sur le bord du précipice.
Il n'en fallait pas plus pour déclencher une vague de rumeurs sur d'éventuelles nationalisations. Dans le cadre d'une nationalisation, les actionnaires de la banque visée sont assurés de perdre la presque totalité de leur placement. Certes, ces rumeurs portent sur de grandes banques européennes mais aussi sur de grandes banques américaines. Même la Bank of America fait l'objet de telles rumeurs alors que son président a reçu un avis de parution devant la Cour de la part du procureur général de l'État de New York. Ce dernier soulève des doutes quant à la bonne conduite des dirigeants de Merrill Lynch qui se sont empressés de verser des bonis à leurs cadres avant de déclarer des pertes vertigineuses, tout cela sous l'oeil complice de M. Lewis, le président de la Bank of America. Cette dernière vient de se porter acquéreur de Merrill Lynch.
C'est sur ce fond de mauvaises nouvelles que le cours de l'action de la Banque de Montréal a touché de nouveaux bas il y a un peu plus d'une semaine. Notez que les titres des autres grandes banques canadiennes ont aussi vivement reculé. Il est évident que les investisseurs craignent que nos grandes banques doivent éventuellement réduire leur dividende. Ils sont aussi nerveux à l'approche de la période du dévoilement des résultats du premier trimestre commencée cette semaine. Au moment d'écrire cet article, les banques TD, Royale et Nationale avaient déclaré leurs résultats. Des résultats somme toute corrects vu le contexte et de loin supérieurs à ceux de la plupart des banques américaines et européennes (dont plusieurs nagent dans les pertes).
Parmi les grandes banques, la Banque de Montréal est celle dont la proportion du dividende versé par rapport au bénéfice net est la plus élevée à près de 71 %. C'est donc la plus susceptible de devoir réduire son dividende advenant un trop fort ressac de notre économie. En contrepartie, à 24,05 $ l'action (soit à son plus récent plancher), le cours tient déjà compte d'une réduction potentielle de 50 % du dividende actuel de 2,80 $ l'action. Cela signifie que, demain, si la Banque de Montréal décrétait une réduction de 50 % de son dividende, son action serait certes maltraitée. Mais, toutes choses étant égales par ailleurs, ce serait là à mes yeux un signal d'achat.
Cela dit, nos grandes banques ont toujours par le passé défendu leur dividende. Il en sera de même cette fois-ci. Mais, des problèmes, il y en aura. Je pense à Teck Cominco qui risque de faire défaut sur sa dette contractée pour acquérir Canadian Fording Coal Trust au prix faramineux de 14 milliards de dollars. Nos grandes banques ont participé au financement à hauteur de cinq milliards de dollars dont 1 milliard de dollars par la Banque de Montréal. Cette situation avive certainement l'inquiétude des investisseurs. Notez que, depuis cette émission de dette, nos grandes banques ont probablement revendu une bonne partie de ces créances dans le marché.
Conclusion: pour ceux qui possèdent déjà des actions des grandes banques, il vaut mieux les conserver et suivre l'histoire. Pour les autres, attendez que le ciel s'éclaircisse.
À moyen terme, nos banques sont parmi les mieux placées pour participer à une nouvelle reprise économique. Ce sont elles qui montrent l'effet de levier le moins élevé avec 18 $ de passif pour chaque dollar de capital propre.
Aux diverses questions de C. D. de Sherbrooke, oui il est légal de présenter certains actifs hors bilan. Le hic: ces actifs atteignent aujourd'hui une valeur marchande bien supérieure à celle des actifs inscrits au bilan. Ces actifs hors bilan sont souvent là pour contourner le ratio réglementaire de 8 % à maintenir en capital propre par rapport au passif. Il y a fort à parier que les autorités s'attaqueront à ce problème, histoire de limiter l'effet de levier auquel pourront désormais prétendre les banques.
Quant à la nationalisation possible de l'une de nos grandes banques, une telle éventualité m'apparaît peu probable sauf si le contexte économique canadien devait plonger dans une récession aussi sévère qu'aux États-Unis.
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