Le G20, trop tôt, trop tard ?
On attend énormément du sommet du G20 qui se tiendra, début avril, à Londres. Qu'il marque la fin du cauchemar financier et économique dans lequel on vit depuis l'automne. Et qu'il redessine l'architecture de l'ensemble du système de telle façon que pareille catastrophe ne puisse plus jamais se reproduire
Si on en attend "énormément", c'est parce que les dirigeants politiques qui y participeront ont "énormément" promis. Le présentant comme un événement capital, presque une question de vie ou de mort pour l'économie, annonçant un "nouveau Bretton Woods". Ce n'est pas rien. C'est "un défi primordial", note le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, Joaquin Almunia. Le ministre espagnol de l'économie, Pedro Solbes, évoque "le risque que cela ne soit pas un succès et, si c'est le cas, nous connaîtrons un moment très difficile". Le risque est moins d'échouer que de décevoir des attentes artificiellement créées et excessivement gonflées. De faire crever la bulle spéculative de l'espoir suscité dans les opinions publiques. Le G20 de Londres arrive à la fois trop tôt et trop tard.
Trop tard en ce qui concerne les plans de sauvetage bancaire et de relance économique. Heureusement, les pays n'ont pas attendu cette grand-messe pour commencer à réparer les ravages causés par la crise. Pour éviter la banqueroute de leurs banques, empêcher la faillite de leur industrie automobile ou prendre des mesures sociales d'urgence en faveur des premières victimes. Chacun a tiré de son côté, sans concertation. Les Américains ont engagé 787 milliards de dollars dans la bataille, les Chinois 40 000 milliards de yuans. Les Européens beaucoup moins, et en ordre dispersé. L'Australie a fait son plan, Singapour le sien, le Chili, etc. Cette stratégie du chacun pour soi était inévitable dès lors que l'argent public était mobilisé. Il n'y a pas de contribuable mondial, mais des contribuables américains, australiens, français, chiliens. De même qu'il n'y a pas d'électeur mondial, mais des électeurs américains, australiens, français, chiliens.
Le retour de l'Etat sauveur et du citoyen payeur allait de pair avec la résurgence des égoïsmes nationaux. Qu'un Français accepte de verser plus d'impôts pour sauver d'autres Français du chômage n'est déjà pas chose facile. Qu'il le fasse pour secourir des Polonais ou des Roumains l'est encore moins. Avec la crise mondiale, la générosité a vite trouvé ses limites : celles des frontières de chaque pays, au-delà desquelles citoyens et hommes politiques considèrent que leurs propres intérêts ne sont plus en jeu.
Le G20 de Londres n'y changera rien. L'histoire bégayant déjà assez, les chefs d'Etat feront sans doute leur possible pour que celui-ci ne ressemble pas à la conférence économique mondiale de juillet 1933. Celle-ci s'était terminée par un fiasco avec la mort du système monétaire international. Mauvais présage ? - elle s'était tenue dans la capitale britannique.
Tous essaieront de faire passer l'addition des politiques individuelles pour une coordination historique. Les Européens se garderont de faire publiquement le procès de la responsabilité des Américains dans la crise. Et ces derniers tairont leurs critiques sur l'indigence du plan de relance européen. Les apparences seront sauves.
Ce G20 arrive aussi trop tôt. Il ne se sera passé que sept mois depuis la faillite de Lehman. C'est peu pour reconstruire un système que les hommes ont mis plusieurs milliers d'années à édifier. Surtout, les vrais projets alternatifs manquent. Les croyants de la décroissance ne convainquent plus qu'eux-mêmes. Le communisme ne fait plus rêver grand monde, surtout pas ceux qui s'en réclament encore. La Chine et le Vietnam ont déjà trop goûté à la drogue de l'économie de marché - qui a fait sortir en vingt ans plusieurs centaines de millions de leurs habitants de la pauvreté - pour vouloir et pouvoir s'en défaire dès à présent. Et pour condamner la liberté d'entreprendre, l'enrichissement personnel, la société de consommation et la libéralisation des échanges.
Faute de le refonder, le G20 se contentera de le réaménager. A la marge, très très mince. On y dira du mal des paradis fiscaux - sans les supprimer -, des agences de notation - sans remettre en cause leur existence -, on s'engagera à mieux superviser les hedge funds - sans les interdire - et à mieux réguler les activités des banques - sans les contrôler entièrement. Pas de quoi enthousiasmer les foules, donc.
S'il se montre particulièrement audacieux, peut-être le G20 arrivera-t-il à la conclusion qu'il n'est lui-même pas adapté à la situation. Idéal pour naviguer par beau temps, mais impossible à piloter par grosses tempêtes. Trop lourd pour répondre à l'urgence et prendre très vite des décisions très fortes. "Une nouvelle structure bureaucratique à réflexes lents", selon la formule de Valéry Giscard d'Estaing, qui inventa le G5 en 1975. Peut-être est-ce justement vers ce type de commandement de choc, réduit, qu'il faudrait revenir. Il comprendrait les quatre premières économies mondiales (Etats-Unis, Japon, Chine, Allemagne) auxquelles on convierait la Grande-Bretagne en raison du rôle de la City dans la finance mondiale. Il est toutefois permis d'imaginer que Nicolas Sarkozy jugera cette idée incongrue.
http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2009/02/28/le-g20-trop-tot-trop-tard-par-pierre-antoine-delhommais_1161707_1101386.html