DECRYPTAGE. Les questions posées par le spectaculaire geste de la Fed
La décision de la Réserve fédérale américaine, mercredi dernier, d'acheter pour 300 milliards de dollars de bons du Trésor a stupéfié. Cette stratégie n'est pas sans risques et conduit à s'interroger sur les raisons d'un tel geste.
La décision de la Réserve fédérale américaine, mercredi dernier, d'acheter pour 300 milliards de dollars de bons du Trésor de maturité longue a stupéfié les décideurs publics et le monde de la finance et marque une nouvelle étape dans la gestion de la crise économique. La Fed n'avait pas surpris les marchés financiers depuis bien longtemps, la règle des banques centrales étant au contraire de préparer le terrain à leurs actions ou au moins de tester des mesures potentielles.
D'autres banques centrales ont pris ce type de mesures et Ben Bernanke, le patron de la Fed, en avait certes parlé depuis longtemps. Mais personne n'anticipait qu'il agisse si vite. Passer aussi franchement de la phase 1 de la lutte contre la crise - la baisse des taux d'intérêt directeurs jusqu'à zéro et le prêt massif de liquidités aux banques - à la phase 2 - celle de l' " assouplissement quantitatif " assumé - était d'autant plus inattendu que les statistiques économiques publiées ces derniers jours étaient plutôt bonnes.
La stratégie d'assouplissement quantitatif poursuivie désormais par la Fed consiste donc à créer de la monnaie pour acheter directement des titres sur les marchés financiers dans le but de faire baisser des taux d'intérêt qu'elle ne maîtrise pas. Son objectif : stimuler l'activité économique. La banque centrale américaine avait déjà acheté pour 500 milliards d'emprunts immobiliers dans le but, d'une part, d'abaisser les coûts d'emprunts afin que les ménages en difficultés puissent renégocier leurs prêts et, d'autre part, de relancer les achats de maisons. Elle a annoncé mercredi qu'elle en achèterait 750 milliards supplémentaires.
Mais ce sont paradoxalement les achats de 300 milliards de bons du Trésor qui sont les plus ambitieux et signale le vrai passage à l' " assouplissement quantitatif ". Le but de la manoeuvre est d'abaisser les taux d'intérêt sur ces titres mais également sur tous ceux qui se calent sur leur valeur, c'est-à-dire une énorme partie des taux de l'économie américaine. La Fed espère également que si elle achète aux établissements financiers ces bons du Trésor, ils placeront les liquidités libérées sur des titres finançant plus directement de l'activité économique, comme des dettes d'entreprises.
Cependant, cette politique comporte des risques. D'abord, créer de la monnaie engendre de l'inflation : le risque n'est pas imminent aujourd'hui en période de ralentissement mais pourra l'être très vite. Ensuite, ce risque d'inflation fragilise le dollar, qui a d'ailleurs très mal réagi à l'annonce de la Fed. Au final, le pays, qui a besoin des investisseurs étrangers pour financer ses déficits, pourrait finalement se retrouver avec des taux d'intérêt plus élevés, soit l'inverse de ses intentions. La position des membres du Comité de politique monétaire (FOMC) incite donc à s'interroger, d'autant qu'elle est unanime.
Est-ce un moyen de contourner un Congrès qui ne veut plus rien concéder au système financier ?
Depuis la présentation du budget expansif de Barack Obama et le scandale provoqué par l'assureur AIG, qui a utilisé des fonds publics pour payer des bonus et honorer ses engagements avec des banques étrangères, les élus ne veulent plus verser d'argent aux banques. Or le système financier, essentiel au redémarrage de l'économie, est loin d'être remis sur pied. Pour beaucoup de spécialistes, il faudrait même nationaliser plusieurs banques. L'assouplissement quantitatif par la Fed, même si l'institution est indépendante, est un moyen de soulager leurs bilans sans passer par le Capitole.
La Réserve fédérale nous cache-t-elle son pessimisme ?
La Fed pense peut-être que les récentes statistiques économiques favorables (indices de prix...), ou le fait que des banques comme Citigroup ou Bank of America aient déclaré être rentables depuis le début de l'année indiquent que la crise est à un tournant et qu'il faut agir fort pour aider au rebond. Mais ce n'est pas certain. Dans son précédent communiqué, le 28 janvier dernier, le FOMC indiquait qu' " il anticipait un rebond graduel de l'activité plus tard cette année ". Cette mention a disparu mercredi. La Fed pourrait au contraire ne pas avoir été impressionnée par les récentes bonnes nouvelles. Dans ce cas, la Réserve fédérale pourrait craindre au moins deux choses, justifiant son geste. Que les investisseurs étrangers ne veulent pas financer les plans de relance, même si elle assure que les achats de bons du Trésor sont destinés à uniquement à détendre les marchés de crédit. Que les bilans des banques soient plus fragiles qu'elles ne le disent.
Que se passe-t-il si cela ne marche pas ?
Aujourd'hui, les économistes se réjouissent de l'audace de la Fed et saluent sa détermination. " Au moins, on en pourra pas dire que la Fed n'aura pas essayé, " notait un spécialiste cité par le " Wall Street Journal ". Pour l'heure, les taux se sont détendus, ce que voulait Ben Bernanke. Mais que se passerait-il si, pour les raisons évoquées plus haut, ils se relevaient à nouveau. Ou si les vendeurs cédant leurs bons du Trésor gardaient l'argent reçu dans leur bas-de-laine ? L'action de la Fed serait un coup d'épée dans l'eau et les investisseurs risqueraient de perdre confiance dans cette institution, d'autant que certains estiment déjà que le geste d'hier est une palinodie signalant un malaise. Ce serait une catastrophe alors que les marchés attendent aujourd'hui leur salut des autorités. La Fed aurait alors toujours la possibilité d'acheter davantage de bons du Trésor - les 300 milliards de dollars sont faibles relativement à la taille de l'économie comparé aux 75 milliards de livres (108 milliards de dollars) de dettes d'Etat (des " gilts ") achetés par la banque d'Angleterre. Mais les craintes que cette politique soit contre-productive augmenteraient, au détriment, non seulement du dollar, mais cette fois également des autres actifs.
Que va faire la Banque centrale européenne ?
Quatre banques centrales - Angleterre, Japon, Suisse et Etats-Unis - pratiquent désormais l'assouplissement quantitatif. La Banque centrale européenne (BCE) va-t-elle vouloir ou devoir utiliser cet instrument ? Le problème ne se posera pas avant que la BCE ait abaissé son taux directeur, aujourd'hui au niveau élevé de 1,5 %, à un niveau proche de zéro. Une chose est sûre, la pression sur l'institut de Francfort s'accroît de l'étranger, en particulier à l'approche du G20 d'avril. Aux Etats-Unis, notamment, on accuse la BCE et les gouvernements européens de compter sur l'Amérique et la Chine pour les sortir de la récession. Avec l'envolée de l'euro face au dollar, qui pénalise les exportations du Vieux continent, la pression va désormais également s'accentuer de la part des agents économiques européens eux-mêmes.
Jusqu'ici, la BCE s'est montrée hésitante sur l'assouplissement quantitatif. Elle en a pourtant la possibilité. "Juridiquement, la BCE n'a pas le droit d'acheter des titres de dette publique sur le marché primaire, mais elle peut le faire sur le marché secondaire, à condition de 'respecter l'esprit du Traité'", indique Natacha Valla, économiste chez Goldman Sachs. La BCE a indiqué début mars qu'elle était déjà engagée dans une voie non-conventionnelle, à travers son mode d'injections de liquidités dans le système bancaire. En réalité, la création de monnaie déplaît fondamentalement à la banque européenne, car elle contrevient à son objectif premier, la lutte contre l'inflation.
Pour certains, il y a peu de chances que l'institution francfortoise se lance dans cette voie. L'économie réelle, dans la zone euro, se finance à 70% via l'intermédiation bancaire. Une intervention sur les marchés de taux serait dès lors moins efficace qu'aux Etats-Unis, par exemple. En outre, s'il devait y avoir une forme d'assouplissement quantitatif, la BCE préférerait d'abord une solution plus ciblée : l'achat de titres de dettes d'entreprises pour remédier à un éventuel refus des banques de prêter. Sauf si cela ne suffit pas... Dans ce cas, la BCE serait contrainte de créer de la monnaie en achetant de la dette d'Etat. De plus en plus d'économistes se préparent à cette éventualité.
http://www.lesechos.fr/info/inter/300337898-decryptage-les-questions-posees-par-le-spectaculaire-geste-de-la-fed.htm