Un autre point de vue de la piraterie en Somalie
Depuis l’effondrement du gouvernement central en Somalie, ce pays dépourvu de marine et de gardes-côtes a vu ses ressources pillées par de gros chalutiers qui pêchent illégalement dans ces eaux très poissonneuses. Pire encore, des entreprises et des hôpitaux européens se sont débarrassés là de leurs déchets toxiques via des filières mafieuses, provoquant l’apparition de maladies graves dans la population. La piraterie le long des côtes somaliennes, aujourd’hui endémique, est née comme un mécanisme d’auto défense des pêcheurs qui voulaient avant tout protéger leurs eaux ou tentaient de prélever une « taxe » sur les pilleurs. Rappel des faits par Johann Hari, journaliste de The Independent.

Johann Hari, Huffington Post, 4 février 2009 (extrait)
En 1991, le gouvernement de la Somalie s’est effondré. Les neuf millions d’habitants du pays vivent depuis lors au bord de la famine. Mais de nombreuses organisations occidentales de la pire espèce ont mis à profit cette situation pour piller les ressources alimentaires du pays et et se débarrasser de déchets nucléaires dans les eaux somaliennes.
Vous avez bien lu : des déchets nucléaires. Dès que le gouvernement a disparu, de mystérieux navires européens ont commencé à apparaître au large des côtes de Somalie, immergeant des barils dans l’océan. La population côtière a commencé à tomber malade. Dans un premier temps, les habitants ont souffert d’éruptions cutanées étranges, de nausées et des bébés malformés sont nés. Puis, après le tsunami de 2005, des centaines de ces barils laissant fuir leur contenu se sont échoués sur le rivage. Les gens ont commencé à présenter des symptômes d’irradiation, et plus de 300 personnes sont mortes. Ahmedou Ould-Abdallah, l’envoyé des Nations unies en Somalie, m’a déclaré : « Quelqu’un rejette des matériaux nucléaires ici. Il y a aussi du plomb, des métaux lourds comme le cadmium et le mercure. » La provenance d’une grande partie de ces déchets peut être retracée jusqu’à des hôpitaux et des usines européennes, qui semblent les confier à la mafia italienne pour s’en débarrasser à moindre coût. Lorsque j’ai demandé à M. Ould-Abdallah ce que les gouvernements européens avaient entrepris à ce sujet, il m’a répondu en soupirant : « rien. Il n’y a pas eu de nettoyage, d’aucune indemnisation, et pas [d’action] de prévention. »
Dans le même temps, d’autres navires européens pillaient les eaux somaliennes de leur ressource la plus importante : la pêche. Nous avons détruit nos stocks de poissons par la sur-exploitation - et aujourd’hui nous nous en prenons aux leurs. Les grands chalutiers qui pêchent illégalement au large de la Somalie capturent chaque année pour plus de 300 millions de dollars de thons, crevettes, homards et autres espèces dans ces eaux dépourvues de protection. Les pêcheurs locaux ont soudainement perdu leurs moyens de subsistance, et ils sont affamés. Mohammed Hussein, un pêcheur dans la ville de Marka, à 100 km au sud de Mogadiscio, a déclaré à l’agence Reuters : « Si rien n’est fait, bientôt il n’y aura plus beaucoup de poissons dans nos eaux côtières. »
C’est le contexte dans lequel ces hommes que nous appelons « pirates » sont apparus. Tout le monde convient que ce ont de simples pêcheurs qui les premiers ont utilisé leurs vedettes rapides pour tenter de dissuader les chalutiers et les bateaux poubelles, ou tout au moins pour leur imposer une « taxe ». Ces pêcheurs se désignent eux-même comme les Volontaires des Garde-côtes de la Somalie - et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Dans une entretien surréaliste réalisé par téléphone, l’un des leaders des pirates, Sugule Ali, a déclaré que leur motif était « d’arrêter la pêche illégale et l’immersion des déchets , dans nos eaux ... Nous ne nous considérons pas comme des bandits des mers. Nous considérons que les bandits des mers [sont] ceux qui pêchent illégalement et utilisent nos mers comme une décharge et rejettent leurs déchets dans nos mers et viennent [naviguer] en armes sur nos mers. »
Non, cela ne justifie pas la prise d’otages. Oui, certains d’entre eux sont sans aucun doute simplement des gangsters - en particulier ceux qui se sont emparé des livraisons du Programme Alimentaire Mondial. Mais les « pirates » ont l’appui de la population locale pour une bonne raison. Le site de presse indépendant somalien WardherNews a mené la meilleure enquête dont nous disposions sur ce que pensent les Somaliens ordinaires. Ses résultats indiquent que 70% « soutiennent fermement le piratage en tant que forme de défense nationale des eaux territoriales du pays ». En Amérique, durant la guerre d’indépendance, George Washington et les pères fondateurs payaient des pirates pour protéger les eaux territoriales américaines, parce qu’ils ne disposaient pas de leur propre marine ou de garde-côtes. La plupart des Américains soutenaient cette pratique. Est-ce si différent ?
Nous attendions-nous à ce que les somaliens affamés restent passivement sur leurs plages en pataugeant dans nos déchets nucléaires, et nous regardent capturer leur poisson afin que nous puissions le déguster dans les restaurants de Londres et de Paris et de Rome ? Nous n’avons pas agi contre ces crimes - mais lorsque les pêcheurs ont riposté en désorganisant le couloir de navigation par lequel transite 20% de l’approvisionnement mondial en pétrole, nous avons commence à crier haro. Si nous voulons vraiment lutter contre la piraterie, nous devrions mettre fin à ses causes profondes - nos crimes - avant d’envoyer nos canonnières éradiquer les criminels Somaliens.
C’est un autre pirate, vivant au quatrième siècle avant JC, qui a le mieux résumé l’histoire de cette guerre contre la piraterie. Il avait été capturé et emmené devant Alexandre le Grand, qui voulait savoir « ce qu’il attendait en voulant conserver sa maîtrise des mers ». Le pirate a souri, et répondu : « Ce que vous attendez en vous emparant de la terre entière ; mais comme je le fais avec un petit bateau, je suis un voleur, alors que vous qui le faites avec une grande flotte, vous êtes appelé empereur ». A nouveau, notre grande armada impériale cingle aujourd’hui sur l’océan - mais qui est le voleur ?
Documents
Programme des Nations Unies pour l’Environnement : Rapport préliminaire sur la situation en Somalie après le Tsunami (pdf, 2005)
Somalia is one of the many Least Developed Countries that reportedly received countless shipments of illegal nuclear and toxic waste dumped along the coastline. Starting from the early 1980s and continuing into the civil war, the hazardous waste dumped along Somalia’s coast comprised uranium radioactive waste, lead, cadmium, mercury, industrial, hospital, chemical, leather treatment and other toxic waste. Most of the waste was simply dumped on the beaches in containers and disposable leaking barrels which ranged from small to big tanks without regard to the health of the local population and any environmentally devastating impacts. (...)
The impact of the tsunami stirred up hazardous waste deposits on the beaches around North Hobyo (South Mudug) and Warsheik (North of Benadir). Contamination from the waste deposits has thus caused health and environmental problems to the surrounding local fishing communities including contamination of groundwater. Many people in these towns have complained of unusual health problems as a result of the tsunami winds blowing towards inland villages. The health problems include acute respiratory infections, dry heavy coughing and mouth bleeding, abdominal haemorrhages, unusual skin chemical reactions, and sudden death after inhaling toxic materials.
AFP : l’Envoyé de l’ONU lance un cri d’alarme contre la pêche illégale et le rejet de déchets en Somalie (25/7/08)
Because there is no (effective) government, there is so much irregular fishing from European and Asian countries," Ahmedou Ould Abdallah told reporters.
Ould Abdallah said the phenomenon helps fuel the endless civil war in Somalia as the illegal fishermen are paying corrupt Somali ministers or warlords for protection or to secure fake licenses.
East African waters, particularly off Somalia, have huge numbers of commercial fish species, including the prized yellowfin tuna.
Foreign trawlers reportedly use prohibited fishing equipment, including nets with very small mesh sizes and sophisticated underwater lighting systems, to lure fish to their traps. (...)
Ould Abdallah cited the case of a Spanish trawler captured by pirates while illegally fishing for tuna off Somalia in April.
He said payment of a ransom for the release of the crew "was done in a very sophisticated manner" with the pirates arranging by phone "to be paid in Macau."
WardheerNews - Piraterie en Somalie : un acte de terrorisme ou un mécanisme de défense territoriale ? (7/12/08)
A more comprehensive view, often held by those who know Somalia well, persuasively explains [piracy] in terms of Somali’s national interest, whatever that is, and the protection and preservation of that nation’s marine resources. The kidnapping and abduction of ships and boats within the boundaries of the internationally recognized waters of Somalia, which is where most piracy took place, maintains this view point, is in essence a form of loosely organized national defense mechanism of what legally belongs to Somalia.
WardherNews conducted an unscientific survey and called its regular focus groups (two groups with each consisting of 15 Somali citizens) to gauge the collective opinion on the piracy in Somalia. About 70 percent of those who participated in our sampling strongly viewed the piracy as a form of crude, primitive, if you will, national defense of the country’s territorial waters.
Almost all of those participated in the focus groups agreed that with the absence of any meaningful national defense system (Somalia has not had its own government for the last 17 years), any protection to their territorial waters from violators is dubbed as “people defending their God-given" natural marine resources. Despite that piracy is illegal internationally, most Somalis seem to agree that it is the only way available to protect what is left off of the Somali national existence.
Publication originale Huffington Post, traduction Contre Info
J'en profite pour reposter cet article paru sur Tlaxcala en Décembre 2008 : une autre analyse sur le sujet .
Pirates du IIIe millénaire-Une mise en scène réussie: qui tire les ficelles? |
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AUTEUR: Brigitte QUECK Traduit par Horizons et débats |
Selon la presse, les premiers pirates étaient là-bas des pêcheurs privés de plus en plus de leurs moyens d’existence par les usines de pêche de tous les pays du monde qui agissent illégalement. Comme il n’y a pas de surveillance côtière étatique, les pêcheurs ont, au nom de leurs communes et de leurs clans, choisi la défense armée. Ils ont abordé les navires de pêche et exigé des droits des navires marchands qui déversaient illégalement des déchets sur les côtes de Somalie, et même – on le sait maintenant – des déchets radioactifs.
Source : Seepiraten des 3. Jahrtausend - Eine gelungene Inszenierung |