Avril, le mois de tous les dangers

Publié le par sceptix

Encore un printemps meurtrier aux Etats-Unis, et personne ne se demande pourquoi, dix ans après la tuerie de Columbine.

Avril est le mois de tous les extrémismes - celui qui fait bourgeonner les paranoïaques, les fous, et les copieurs qui les adulent. La semaine prochaine, nous commémorerons le 16e anniversaire du siège de Waco (76 morts) ; le 14e anniversaire de l'attentat d'Oklahoma City (168 morts) et le 10e anniversaire des fusillades de Colombine (13 morts). Le 16 avril marquait le deuxième anniversaire du massacre de Virginia Tech (32 morts). Chacun de ces événements est lié au suivant, formant une chaîne délibérée, caractérisée par la terreur et le besoin maladif d'attirer l'attention. Et ce qui les relie tous entre eux, c'est la foule de massacres «copies» à moins grande échelle, que nous avons presque oubliés : à Taber, Canada (1 mort) ; à Santee, Californie (2 morts) ; à la réserve chippewa de Red Lake dans le Minnesota (10 morts) et à Montréal, au Québec (1 mort).

Un mois d'avril comme les autres

Ce mois d'avril est déjà le plus mortifère depuis longtemps, avec le massacre par Jiverly Wong de 13 personnes dans un centre communautaire de Binghamton, New York, le 3 avril, et le meurtre de sang froid par Richard Poplawski de trois policiers de Pittsburgh le 4 (les deux portaient un gilet pare-balles et ont été qualifiés de «pseudo commandos»- cherchant l'affrontement avec la police.) Dans l'Etat de Washington, toujours le 4 avril, un homme a tué ses cinq enfants, certains dans leur lit. Deux autres crimes ont eu lieu à Charlotte, en Caroline du Nord, le week-end de Pâques. Et nous ne sommes pas arrivés au milieu du mois : les 19, 20 et 21sont une période où les rêves d'immortalité dérangés ont tendance à s'épanouir le plus follement.

Le fait que nous réagissions aux actes de Bernard Madoff de façon violente et aux fusillades de masse à renfort de nounours et de bougies en dit long sur ce pays. Les articles débordant de frustration s'enchaînent, encore, encore, encore et toujours. Mais nous refusons collectivement de faire le lien entre les folies meurtrières, ou d'accepter que ces événements ne se produisent pas par hasard, comme des météores qui tombent du ciel. Ils sont les conséquences des choix juridiques et politiques que nous faisons chaque jour, et des choix que nous évitons de faire année après année. Nous acceptons de jouer à la roulette russe avec nos enfants et nos voisins -parce que nous voulons penser que cela n'arrive qu'aux enfants et aux voisins des autres- en partant du principe que les armes à feu n'ont aucun rapport avec les morts par arme à feu. Le débat américain sur le contrôle de ces armes débute et s'achève sur l'accord tacite que la liberté se paie au prix d'un massacre de temps en temps. Rien d'étonnant que les nounours et les bougies constituent notre seule politique nationale dans le domaine des armes à feu.

La National Rifle Association

Même si nous ne sommes pas assez courageux pour tenter quoi que ce soit, pouvons-nous au moins montrer notre indignation quand les citoyens sont tranquillement incités à se servir de leur arme ? La National Rifle Association a répandu une rumeur, largement démystifiée, selon laquelle le président Obama aurait un «programme en 10 points visant à «modifier» le deuxième amendement.» Le groupe prétendait qu'Obama avait l'intention «d'interdire le recours aux armes à feu pour défendre son foyer, interdire la possession et la fabrication des pistolets, fermer 90 % des armureries et interdire les munitions de chasse.» Longtemps après qu'il était devenu évident qu'il n'existait tout simplement aucune preuve pour étayer la plupart de ces revendications, la NRA continuait d'asséner : «Nous croyons nos faits.»

Heureusement pour la NRA, beaucoup d'autres Américains croient aussi en ces «faits.» Ils les tiennent directement de [l'animateur] Glenn Beck, qui écumait de rage en mars en évoquant une conspiration d'Obama visant à supprimer les armes, et d'Andrew Napolitano [juge et analyste juridique à la télévision], qui a présenté une émission de Fox News où Alex Jones [fervent partisan de la théorie du complot] «dévoilait» le Nouvel Ordre Mondial et le «programme» d'Obama de confiscation des armes à feu. Comme le souligne Eric Boehlert dans un article intelligent qui fait le lien entre l'incitation et la violence, «ce que Fox News programme aujourd'hui sur une (délirante) base quotidienne est sans précédent dans l'histoire de la télévision américaine.» Une émission d'informations nationale accuse régulièrement le président de socialisme, fascisme, marxisme et de vouloir détruire l'Amérique.

Armés et dangereux

La républicaine Michele Bachmann a annoncé le mois dernier qu'elle voulait que les habitants de son Etat soient «armés et dangereux» en réaction au projet d'Obama de réduire le réchauffement climatique. Or, quand les représentants élus et les pontes de la télévision appellent les citoyens à s'armer, on ne peut pas vraiment reprocher à ces derniers de les suivre.

Richard Poplawski -l'assassin de flics de Pittsburgh- a été très clair sur ce qui a inspiré sa folie meurtrière. Il craignait «l'interdiction des armes à feu d'Obama qui est en train d'arriver» et «n'aimait pas que l'on porte atteinte à nos droits.» (Sa tante, Marianne Klimczyk, a déclaré aux journalistes que la mitrailleuse, les fusils et les pistolets [de son neveu] servaient «pour ses loisirs et pour la chasse au cerf.») Jiverly Wong, le meurtrier de Binghamton, avait gaiement déclaré à un collègue avant l'élection qu'il allait tuer soit Obama, soit McCain. Et Jim David Adkisson a laissé un manifeste de quatre pages expliquant précisément pourquoi il a ouvert le feu dans une église de Knoxville, Tennessee, l'année dernière : «C'était un crime inspiré par la haine,» a-t-il écrit. Il voulait simplement tuer les «généraux» du mouvement libéral : «Je voulais tuer tous les démocrates du Sénat et de la Chambre, les 100 personnes du livre de Bernard Goldberg [voir 100 people who are screwing up America, les 100 personnes qui foutent l'Amérique en l'air]. Je voudrais tuer tous les gens des grands médias. Mais je savais que ces gens étaient inaccessibles.»

Personne n'assume la responsabilité du contenu des livres, blogs et des vidéos d'information qui ont contribué à élaborer la vision paranoïaque et violente de ces tueurs. A quoi bon ? Les livres et les infos, ça n'a jamais tué personne. Ce sont les gens qui tuent les gens.

Explosion des ventes d'armes

Les constantes et bruyantes évocations des programmes anti-armes à feu, liberticide et pro-Nouvel Ordre Mondial du président n'inspirent pas seulement les suicidaires, les psychotiques et les sociopathes. Le Christian Science Monitor rapporte cette semaine que l'Amérique moyenne est prise «d'une frénésie d'achat d'armes et de munitions» au point que les armureries sont en rupture de stock. Ceux qui font des réserves d'armes et de balles partagent la peur de Poplawski, causée par l'initiative (fictive) d'Obama de contrôle des armes, et croient eux aussi que l'Amérique est confrontée à une vague (fictive) de criminalité. Peu importe que les chiffres du FBI -cités dans le même article- reflètent un déclin de la criminalité. Comme Tom Lee, membre de la Virginia Citizen Militia, l'explique au Christian Science Monitor : «les gens voient arriver un effondrement économique qui entraînera une rupture prolongée, voire s'aggravant, de la loi et de l'ordre, pour finir sur un scénario du genre «nous le peuple contre les représentants armés du gouvernements.»

La droite a perdu la tête aujourd'hui, suite à la parution d'un nouveau rapport du département de la Sécurité nationale, s'alarmant d'une montée «des activités d'extrême droite» et du danger provoqué par l'augmentation de l'activité des milices. Comme l'observe Glenn Greenwald, il est un peu tard pour pleurer sur la protection de la vie privée. Mais alors que l'extrême droite s'inquiète à l'idée que les troupes d'assaut présidentielles viennent piétiner ses pétunias, elle reste coite sur la question de savoir si un pays peuplé de citoyens mal lunés, apeurés et furieux a raison de s'armer.

Que fait Obama?

Où se situe l'administration Obama dans tout cela ? Le président s'est montré plus tendre avec le deuxième amendement que beaucoup de ses prédécesseurs démocrates. Il a affirmé qu'il croyait au droit garanti par le deuxième amendement de détenir une arme «soumise à des réglementations raisonnables,» et prétend ne vouloir que de modestes mesures de contrôle des armes à feu. Quand Robert Gibbs, porte-parole de la Maison-Blanche, a été interrogé sur les massacres de Binghamton et de Pittsburgh et sur les projets de l'administration pour faire face à la violence par arme à feu, il a évoqué à quel point il était merveilleux que «le Recovery Act ait mis davantage de policiers dans la rue pour nous protéger.» L'administration n'a pas été claire sur son éventuelle volonté de rétablir l'interdiction des armes d'assaut, qui a expiré sous le président Bush. Que doit faire Obama ? Soixante-cinq démocrates de la Chambre des représentants lui ont demandé de ne pas tenter d'imposer l'interdiction des armes d'assaut.

L'hystérie extrême qui entoure les débats sur le contrôle des armes fait naître des arguments absurdes sur les relations de cause à effet. Personne ne prétend que Glenn Beck est responsable de meurtres. Personne ne pense que les armes à feu sont intrinsèquement néfastes. Mais comment avoir un débat national honnête sur la violence par arme à feu si nous ne sommes même pas en mesure de reconnaître le lien entre des gens qui nous exhortent à devenir «armés et dangereux,» et la décision d'un citoyen de s'armer pour tuer ? Nos tueries frénétiques d'avril ont pu en compliquer les causes, et on ne peut imputer la faute à un facteur unique. Mais c'est s'aveugler volontairement que de ne pas voir le moindre lien entre le nombre croissant d'armes à feu en Amérique, le déclin du contrôle des armes et les prédictions bruyantes qui viennent tous les soirs nous mettre en garde contre l'émergence d'une police d'Etat totalitaire et apocalyptique. Tant que nous ne reconnaîtrons pas l'existence de ces liens, le nombre de tueries augmentera, dans les semaines et les années à venir. Apportez les bougies. Je me charge des nounours.

Article de Dahlia Lithwick publié le 15 avril sur Slate.com.

Traduit de l'anglais par Bérengère Viennot.

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Publié dans USA

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