L’argent des migrants, une ressource en péril
Alors que la Banque Mondiale prévoit une baisse des envois de fonds des migrants, les études prouvent que les pays receveurs dépendent fortement de ces sommes.
« Une mère de famille peut-elle envoyer une dose d’amour à son fils à des milliers de km ? La réponse est oui ! ». Signée Western Union, cette prose si positive figure parmi les multiples slogans de la nouvelle campagne publicitaire de la société de virement de fonds. L’entreprise a mis le paquet. Les spots télévisés et les campagnes d’affichage sur panneaux publicitaires ou sur le web sont visibles dans plus de 200 pays. Logique, si l’on considère que Western Union est le leader mondial des transferts internationaux. Les migrants seraient-ils désormais un marché à conquérir ? L’idée peut sembler farfelue à première vue, et pourtant… selon la Banque Mondiale, les pays en voie de développement reçoivent deux fois plus d’argent par les envois de fonds que par l’aide officielle. Et d'après une étude de la Banque Africaine de Développement portant sur quatre pays, en 2007, les transferts de fonds représentaient entre 9 et 24% du PIB des pays receveurs.
En 2008, 305 milliards de dollars ont été envoyés ainsi de par le monde. Et il ne s’agit là que des sommes qui passent par les canaux officiels – les banques ou sociétés de transferts de fonds principalement. Or, comme le souligne Jean-Baptiste Menetrier, directeur du FORIM[1], « En réalité, beaucoup de gens préfèrent passer par un ami, une connaissance qui retourne au pays ». Flore Gubert, chercheuse à l’IRD[2], confirme : « Les chiffres officiels peuvent pratiquement être doublés si l’on considère ces réseaux informels ».
N’empêche, pour l’année à venir, dans le contexte de crise économique mondiale, les prévisions sont à la baisse (en anglais, en pdf). Les chiffres du dernier semestre 2008 publiés par la Banque Mondiale le prouvent. Et pour 2009, l’institution financière table sur une diminution des envois de l’ordre de 5 à 8%. La situation varie bien entendu selon les pays. « La Banque Mondiale comprend dans ses études les mouvements de fonds entre les Etats-Unis et le Mexique, ou encore en direction des Philippines. Il est vraisemblable qu’à ces échelles-là, une baisse soit envisageable », explique Guillaume Cruse, conseiller migrations à l’Agence Française de Développement (AFD).
Sans surprise, la crise touche plus violemment les plus vulnérables. Et une part importante des immigrés appartient à cette frange fragile. Logiquement, leur précarité accrue devrait être une cause de la baisse des transferts d’argent. Une idée que Jean-Baptiste Menetrier du FORIM tient à nuancer : « On sait que les primo-arrivants sont ceux qui envoient le plus, alors que ce sont ceux dont la situation est la plus difficile. Même des clandestins, au chômage de surplus, envoient de l’argent au pays », rappelle-t-il.
Vu de France, quel impact la crise aura-t-elle sur les habitudes des migrants ? « Il y aura probablement quelques infléchissements, mais de quel ordre ? », s’interroge prudemment Guillaume Cruse. Mystère. Jusqu’à présent, les envois de fonds ont connu une croissance rapide. Les migrants, qui envoient entre 5 et 20% de leur salaire en moyenne, se tournent même vers l’investissement. « La grande majorité des fonds est destinée à la famille, mais ce schéma évolue, explique Guillaume Cruse. De plus en plus, on constate que les migrants veulent investir dans leurs pays d’origine, notamment dans l’immobilier ». Pour passer du stade familial à celui du développement, le FORIM permet par exemple aux migrants de se regrouper, afin d’envoyer collectivement et non plus individuellement. Car les frais inhérents aux transferts de fonds sont lourds. Environ 10% de la transaction est prélevée par des organismes de type Western Union. Alors envoyer une dose d’amour, certes, mais à quel prix ?
http://www.youphil.com/fr/article/0486-l-argent-des-migrants-une-ressource-en-peril?ypcli=adm-13