Grève du sexe, ventes de terres : les conversations de Nairobi
Edgar C. Mbanza
Les femmes décrètent la «grève de sexe», les fermiers refusent la vente de leurs terres aux riches Qataris et Asiatiques... Conversations et colères des Kenyans.
Je dis souvent, lorsqu'il s'agit des mobilisations sociales, qu'il faut toujours aller au delà du sensationnalisme et du bruit, et voir quelle vision du monde encadre au final le discours, l'action... On reste encore une fois au Kenya, cette semaine, pour parler des dernières expressions populaires face à la vie chère, à la crise et aux tensions politiques qui empêchent le pays de se réformer.
Pour manifester leur mécontentement, les femmes viennent de décréter une grève de sexe, supposée contraindre leurs politiciens de maris à devenir plus raisonnables. Toutes les filles ne sont pas d'accord...
Par exemple, cette grève du sexe n'est pas du goût de l'une de mes meilleures amies ici, féministe et fière de l'être, qui dénonce depuis longtemps les archaïsmes d'une société masculine qui fantasme sur le sexe féminin. «On est entrain de légitimer le fait que la femme est un cadeau qu'on peut offrir à un homme qui s'est bien comporté, et qu'on lui retire s'il a commis des bêtises. Le fond de cette approche est toujours celle de la femme objet sexuel», se révolte Susan. Elle a juste 22 ans, étudiante discrète mais volubile et parle volontiers des problèmes que connaissent tous ceux qui ne s'inscrivent pas dans les schèmas sexuels classiques, comme les homosexuels, les femmes non mariées...
A vrai dire, on a beaucoup jasé ce week-end sur ce dernier coup des ONGs féminines... dont certaines sont devenues le dernier jeu de salon préféré des grandes dames de la capitale. Malta, une amie de Susan : «Elles devraient savoir s'engager pour évacuer le sexe de la politique, et non le contraire». Fortement médiatisée, la grève de sexe fut, tout de même, une entrée de drague efficace pour les plus timides des hommes...
L'autre colère controversée porte sur la question de la vente des terres fertiles du Delta du Tana, au profit du gouvernement du Dakar qui veut y exploiter de l'éthanol principalement.
Vous avez sans doute entendu parler de cette histoire, de ce «land-bragging» auquel s'adonnent depuis ces derniers mois des gouvernements africains, en Angola, en Ethiopie, au Soudan, au Madagascar, au Mozambique... Ce sont au total près de 20 millions de terres fertiles déjà vendues ou en cours de négociation en faveur des Etats riches du Golfe et d'Asie - l'équivalent de la superficie de la France!
Ce bradage des terres fertiles scandalise nombre de personnes. Les colères donc, il y en a qui viennent du fond du ventre, comme celles de ces petits fermiers et paysans qui risquent de perdre sans aucune forme de procès la terre de leurs ancêtres. Le problème, c'est qu'au fond, dans les débats les plus audibles sur la question, peu s'intéressent vraiment au sort des petits paysans.
Le débat tourne plutôt sur la question de la vente ou non des terres aux étrangers, et non aux riches nationaux... Et si les écologistes conservateurs multiplient lobbying et pressions pour faire capoter les contrats, il ne s'agit pas pour eux de défendre les intérêts des fermiers. Ils voudraient même consacrer toute la zone de la rivière Tana à la protection animale et en chasser les habitants. Quant à elle, la grande presse de Nairobi, traditionnellement peu encline aux revendications des ruraux, elle ne s'oppose pas vraiment à l'exploitation industrielle des terres fertiles du Delta du Tana. Mais préfère que ce soient les locaux qui investissent dans des plantations industrielles nouvelles.
En réalité, au fond, la tendance générale est celle qui consiste à cautionner l'expropriation des petits paysans. Le dernier rapport de l'IFPRI-International Food Policy Research appuie justement que cette cession des terres permettrait de créer des «opportunités» en Afrique, tout en précisant qu'elle doit être encadrée, notamment par des obligations sociales et l'interdiction d'exporter en période de grande crise alimentaire.
Une position qui irrite les ONGs spécialisées dans la sécurité alimentaire ainsi que les écologistes sociaux. Même indignation dans les propos du petit fermier Odere qui me racontait ses déboires et sa rage samedi dernier à Nairobi : «Pour pouvoir manger et aussi vivre en harmonie avec notre nature, nous n'avons besoin de personne, ni de ceux qui préfèrent nos animaux plutôt que nos enfants, ni des dollars des Qataris».
En juillet prochain, les chefs d'Etat de l'Union africaine travailleront sur la question. Des sources proches du commissaire africain à l'agriculture, M. Timusiime, me signalent déjà qu'un document de travail préconisant une «cession encadrée», avec «termes et conditions aux investisseurs étrangers» comme l'écrit le document signé il y a une semaine par des ministres de l'UA, est déjà sur la table.
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Chemk'Africa
Un regard d’Afrique. Sur le blog Chemk’Africa - effervescence en swahili - le journaliste Edgar C. Mbanza fait partager ses rencontres, ses impressions et son expérience du terrain.
Nouvelles d'Afrique ou la malédiction du maïsLe cargo qui a échappé aux pirates somaliens a livré du maïs à Mombassa. En Afrique du Sud, un «bug» de Monsanto crée «des monstres de plantes».
Avant de s'attaquer au cargo américain chargé de l'aide alimentaire «gift of america» du Programme Alimentaire Mondial, les bandits-pirates somaliens venaient de commettre d'autres forfaits, cette fois au sein de leur propre village où ils ont pillé, violé.
Ce sont les vieux du pays qui racontent cela à une radio kenyanne. Non sans peur, car les malfaiteurs sont des «gens puissants (...), de cette caste de sans-bras qui du jour au lendemain sont devenus riches, tandis que les bons pêcheurs se sont retrouvés décapités par l'écrasement de la pêche et de l'agriculture»....
Le Maersk Alabama, lui, décharge depuis ce dimanche au port de Mombassa le maïs et de l'huile venus des Etats Unis pour secourir les Ougandais, les Somaliens et autres réfugiés kenyans.
Dans un village du Nord-Ouest de l'Ouganda, ceux qui s'intéressent à la vie rurale me racontent que les paysans ne sont pas contents. Depuis quelques années, ils ont accepté en aide des semences de maïs importés. Le problème, c'est qu'ils se retrouvent totalement dépendants des multinationales, parce que le maïs OGM qu'ils ont reçu ne peut plus être replanté, et ce dès la deuxième génération.
Alors, il faut à chaque fois acheter les semences. Les petits paysans qui n'arrivent pas à respecter les contraintes du circuit financier finissent par abandonner leur terre. Il faut dire que leur autonomie était intimement liée au système du «grenier», ces paniers ou puits dans lesquels la famille et la communauté apprennent, de génération en génération, à conserver, à protéger et à améliorer naturellement les graines.
Aujourd'hui, le rythme paysan est complètement mort, au profit des exploitants plus «modernes», eux même rapidement écrasés par les grandes productions .
Ce qui vient de se passer en Afrique du Sud à propos du maïs génétiquement modifié -OGM- suffit largement pour en parler sans que l'on soit nécessairement un radical sur la question. Les petits exploitants avancent 100 millions de dollars de pertes. Le semencier géant mondial Monsanto parle d'une « petite erreur », d' «un bug» de laboratoire. Les semences auraient ont été mal manipulées, « insuffisamment fécondées en laboratoire », reconnaît la multinationale.
Ce sont en réalité des milliers de producteurs, des dizaines de milliers de hectares, sans doute des millions de consommateurs qui se retrouvent avec des plantes étranges. De mémoire de paysans, on n'avait jamais vu des tiges de maïs adultes mais sans épis ni graines. Des monstres de plantes, disent les anciens.
Trois variétés de maïs sont concernées et ce sont trois provinces qui doivent faire face à des risques de rupture de stocks céréaliers. Comment peut-on éviter ce genre de mauvaises surprises, s'interrogent les plus pro-OGM, très nombreux en Afrique du Sud. A Johannesburg, le Centre Africain sur la Biosécurité a été chargé de mener une enquête indépendante.