Des maisons de Rom, à Turda. Les habitants de la rue Arieşului vivent sur un site d'anciennes usines chimiques. Le sol, pollué, n'est pas cultivable. - Fany Grégoire
Les Roms et l'Europe : une histoire à écrire
Depuis 2007, la Roumanie a rejoint l'Europe, emmenant avec elle les « pauvres parmi les pauvres » : les Roms, première minorité de l'Union européenne. Originaire d'Inde, la communauté rom peine à s'intégrer. Culture différente, racisme ambiant, compétence dans des métiers qui n'ont plus leur place dans notre économie mondiale : la Roumanie et l'Europe ont un rôle à jouer dans leur intégration.
Par Fany Grégoire
Une dizaine d'enfants déguenillés jouent avec un ballon dégonflé sur un terrain vague jonché de sacs et de bouteilles en plastique. Les familles, nombreuses, observent sur le pas de leur abri sombre et croulant, les pieds dans la boue de l'impasse dans laquelle elles habitent. Pas d'eau courante, deux pièces pour s'entasser à huit... Nous sommes en Europe, dans le quartier Rom de Turda, une ville roumaine située à 400 km au sud-est de Bucarest.
Sur les 40.000 habitants de Turda, 4000 sont de l'ethnie Roms. La plupart d'entre eux sont regroupés dans les « quartiers roms » de la ville. A Poiâna, ils sont un millier, dont environ six cents enfants. Pour cent maisons et trente points d'eau. Le loyer est très bas (l'équivalent de 7,50€ par mois), mais la facture d'électricité explose : 100€ mensuel, car le chauffage est électrique et le « bâtiment » n'est pas isolé. L'humidité apparaît : les planchers se gondolent et se trouent...
Les habitations de la rue Arieşului sont, quant à elles, construites sur un ancien site d'usines chimiques. Les ruines de ces bâtiments menacent de s'effondrer sur les enfants qui jouent aux alentour. Le terrain est pollué, et non cultivable. Il est peut-être même dangereux d'habiter à cet endroit. Mais où pourraient-ils aller d'autre ?
Vivre de fer et de mendicité
En Roumanie, les Roms se spécialisent dans le travail de zinguerie (toitures, etc.). Mais, pour beaucoup, cela ne suffit pas à les sortir de la misère. A cause de la crise, la situation s'est aggravée ces derniers mois : « Désormais, nous sommes tous chômeurs, se révolte Sofia, maman de trois enfants. Pendant six mois, nous avons droit à des allocations de chômage (environ 120 euros € par mois, ndlr). Après, débrouillez-vous ! »
La commune tente de leur venir en aide : « La Ville emploie de temps en temps des équipes de Roms pour le nettoyage des lieux publics. Il y a 200 lieux de travail pour les Roms, mais ce sont des tâches intermittentes », déplore Mihaly Berci, conseiller Roms et président du parti Roms.
Les équipes travaillent six heures par jour, du lundi au samedi, pour 120€/mois environ. Ces emplois ponctuels ne permettent pas de stabiliser la situation, mais les aident à survivre. Pour pouvoir avoir de quoi manger, certains Roms se font donc ferrailleur. En revendant le fer qu'ils trouvent, soit jusqu'à 35 kilos par jour, ils peuvent gagner 7 lei (2€). D'autres mendient...
Eldorado européen
Depuis l'entrée de la Roumanie dans l'Europe, en 2007, les Roms de Roumanie bénéficient du droit de libre circulation, au même titre que les autres citoyens roumains. Ce qui les pousse à partir tenter leur chance ailleurs, notamment en Belgique. Ainsi, selon l'asbl Le Foyer, près de 75% des 6.000 Roms vivant à Bruxelles viennent de Roumanie. Mais, pendant sept ans, les états européens peuvent poser des restrictions, notamment dans le domaine du travail et de l'aide sociale, aux nouveaux arrivants. Les Roms attirés par l'Eldorado belge se retrouvent ainsi bien vite dans la rue, à mendier.
A Bucarest, le quartier Rom de Magurele s'est vidé de 80% de ses habitants en deux ans. Beaucoup partent en Belgique. Puis reviennent en Roumanie, au bout de quatre ou cinq ans. « Car notre cœur et nos attaches sont ici », explique Marian, père de cinq enfants. Quand ils n'ont plus assez à manger, ils repartent en Belgique.
Chez nous, la mendicité peut en effet rapporter gros : « Quand nous mendions avec les enfants, observe Sperenza, maman d'une petite fillette aveugle de 7 ans, nous pouvons recevoir jusqu'à 30 euros par jour. » Beaucoup plus qu'en Roumanie.
Des actions concrètes
La Roumanie n'est pas inactive, et tente d'améliorer la situation des Roms. A Turda, une Commission spéciale a été créée pour traiter des problèmes de la Communauté rom. Des propositions concrètes sont trouvées, en concertation entre les élus roms (deux sur vingt élus communaux) et des représentants de diverses institutions de la société civile: directeurs d'école, police, représentants des médecins,...
Les principales actions concernent l'hygiène (par la création de blocs sanitaires ou d'égouts) et l'enseignement (école des devoirs pour instaurer une certaine rigueur dans les études, etc.). Mais, souvent, le budget manque.
L'aide peut alors venir d'ailleurs : certaines associations belges sont sensibilisées par la situation des Roms en Belgique, mais également en Roumanie. L'asbl Mergem déploie ainsi plusieurs projets dans différentes villes roumaines : un système de parrainage dans un orphelinat à Targu Frumos, où sont notamment organisés des camps pionniers durant les vacances, le soutien d'un projet d'appartements supervisé pour les orphelins jeunes adultes qui quittent Targu Frumos, et une aide au problème de logement à Turda et à Bucarest... Ces projets portent leurs fruits.
Mauvaise réputation
Les aides ont parfois du mal à se mettre en place à cause de la mauvaise réputation des Roms. Nombreux sont ceux qui les voient comme des paresseux et des voleurs.
« Les Roms ont souvent mauvaise réputation, explique Marian Oprea, journaliste pour un hebdomadaire de Turda. Mais certains font tout pour la mériter... c'est un cercle vicieux : ils ont mauvaise réputation, personne ne leur fait confiance, ils n'ont pas de travail, ils volent pour survivre, donc ils ont mauvaise réputation... »
« Ils sont très paresseux, témoigne Thomas, 30 ans, traducteur. Ils demandent toujours « Que puis-je recevoir ?» au lieu de se demander « Que puis-je faire pour que l'on m'aide ? ».
Esclaves pendant des générations, de l'Eglise, puis des riches, paysans ayant migrés vers les villes au temps de la prospérité industrielle, au début du vingtième siècle, les Roms ont refusé de quitté la ville après la crise, en 1989, suite à la révolution. Ils avaient oublié les techniques agraires pratiquées par leurs ancêtres, et voulaient retrouver du travail. Ils sont donc restés, marginaux au reste de la population.
Dotés d'une culture très différente, notamment basée sur la réussite par le mariage et la famille et non par le diplôme et le travail, les Roms ont du mal à s'intégrer. La culture étrangère représente pour eux la déliquescence des valeurs morales. De plus, beaucoup n'ont pas le sens du commerce par l'argent. Ils fonctionnent par troc, si bien qu'ils ne s'adaptent pas au travail rémunéré en argent. Mais si certains font preuve d'une mauvaise volonté apparente, comme dans toutes les ethnies, les généralités font plus de tort que de bien.
Il existe un grand nombre de Roms qui se battent pour s'en sortir. Comme Margareta, 30 ans, qui élève seule ses trois enfants de 16, 10 et 8 ans. Ses enfants vont tous à l'école et réussissent brillamment, et elle tente de trouver un travail, tout en maintenant droit son minuscule deux-pièces en ruine.
Malheureusement, une fois le racisme à leur égard dépassé, les Roms se trouvent confrontés à une économie mondiale qui ne laisse plus la place aux petits métiers, dans lesquels ils sont spécialisés.
http://www.levif.be/actualite/europe/72-57-33080/les-roms-et-l-europe---une-histoire-a-ecrire.html
A lire sur le sujet "Enterrez moi debout" par Isabel Fonseca.
Nuance à apporter à l'article sur les métiers traditionnels des Roms qui n'existent plus depuis la mondialisation : un de leur métier était la récupération des vieilles férailles, métier récupéré aujourd'hui par nos parc à container, donc pas disparu.