Merck et Elsevier ont édité une fausse revue médicale: outil marketing pour Fosamax et Vioxx
10.05.2009
Source :
http://pharmacritique.20minutes-blogs.fr/archive/2009/05/10/paye-par-merck-elsevier-a-edite-une-fausse-revue-medicale-ou.html
Le numéro du 30 avril du journal The Scientist révèle dans l’article intitulé "Merck Published Fake Journal" que la firme Merck a payé un montant tenu secret à Elsevier, l’une des plus grandes maisons d’édition scientifiques au monde, pour que la société Excerpta Medica qu'il détient édite une fausse revue médicale intitulée The Australasian Journal of Bone and Joint Medicine. La présentation faisait penser à une revue à comité de lecture (peer-reviewed journal), mais n’était en fait qu’un outil publicitaire pour les médicaments de la firme.
Le British Medical Journal en a rendu compte dans un article paru le 28 avril, mais en insistant sur certaines preuves produites par la défense des victimes du Vioxx et sur la réponse de la firme: "Merck disguised "marketing publication" as medical journal to help promote Vioxx, court hears" (Merck a fait passer une "publication publicitaire" pour une revue médicale, afin de consolider la promotion du Vioxx).
The Scientist s’est procuré les deux premiers deux numéros, parus en 2003 (voir les PDF ici et ici). Outre les éditoriaux non signés, ils ne contenaient qu'une sélection d'anciens articles reproduits ou des résumés, à des fins de marketing et sans aucune déclaration des conflits d’intérêts et du fait que la revue était financée par Merck. La désinformation est d’autant plus criante qu’il n’y avait d’annonces publicitaires explicites que pour le Fosamax (acide alendronique) et pour le Vioxx (rofécoxib). Tout le reste avait l’air d'une vraie revue à comité de lecture.
Cette fausse revue a permis au laboratoire d’influencer les médecins en matière de dépistage et de traitement de l’ostéoporose et d’endormir leur vigilance quant aux risques du Vioxx. Même ceux qui prennent la peine de demander aux visiteurs médicaux ou dans les réunions de formation médicale continue autre chose que de la publicité directe ont pu être bernés.
Nous avons déjà parlé des ghostwriters (auteurs fantôme). Voici maintenant la revue fantôme… Elle parfait la stratégie habituelle de ghost management de l’industrie pharmaceutique (gestion, influence et contrôle invisibles de tous les aspects de la recherche et de l’information médicales, depuis la production jusqu’à la diffusion).
La revue n’a jamais été indexée dans Medline (la base de données médicales de référence au niveau mondial) et n’a jamais eu un site web.
Un regard sur le premier numéro
Il suffit d’ouvrir le premier numéro pour voir que la revue fantôme a tout fait pour promouvoir l’usage très large de l’ostéodensitométrie afin de mettre en lumière les bénéfices du Fosamax (acide alendronique). Les éditorialistes (fantôme) disaient espérer que les initiatives des lobbies australiens de l’ostéoporose allaient être couronnés de succès et permettre - c’était le message indirect de l’ensemble - une médicalisation beaucoup plus étendue des femmes avant même qu’elles souffrent de cette affection. L’ostéodensitométrie et le traitement médicamenteux de l’ostéopénie et de l’ostéoporose - par Fosamax, bien sûr - "pourraient sauver des millions", en prévenant l’apparition de fractures, leur traitement chirurgical et leurs autres conséquences.
Pas un mot des effets secondaires du Fosamax comme de toute la classe des médicaments dont il fait partie, à savoir les biphosphonates (ou bisphosphonates; voir certaines notes de la catégorie "Traitements de l'ostéoporose").
Décidément, les meilleures techniques publicitaires ont été exploitées dans ce chef d’œuvre, y compris le disease mongering, qui consiste à élargir les critères de diagnostic et abaisser les "seuils" de l’"admissibilité" aux traitements médicamenteux d’une maladie.
La créativité des départements de marketing des firmes pharmaceutiques n’a décidément pas de limites, remarque Peter Lurie après avoir lu les deux premiers numéros de The Australasian Journal of Bone and Joint Medicine. Et il ajoute que cela dépasse même l’imagination la plus débordante de quelqu’un qui pense avoir tout vu… Et Lurie en a vu pas mal, en sa qualité de vice-président de l’association de défense des consommateurs Public Citizen.
La révélation publique
L’affaire de la fausse revue comme véhicule du marketing de Merck a été révélée pour la première fois le 9 avril par le journal The Australian, dans le contexte de la couverture du procès intenté à la firme par plus de 1.000 victimes du Vioxx. The Scientist s’est procuré le témoignage du Dr George Jelinek, urgentiste et membre de la World Association of Medical Editors, qui est le principal expert de la défense dans ce procès. Après lecture de quatre numéros datant des années 2003 – 2004, Jelinek pense que le "lecteur moyen" - les médecins non spécialisés, probablement - pouvait en effet être induit en erreur et prendre cette publication marketing pour une revue à comité de lecture.
Selon Jelinek, 4 articles sur les 21 contenus dans le premier numéro ont été consacrés à Fosamax. Dans le deuxième, sur un total de 29 articles, 9 ont porté sur le Vioxx et 12 sur le Fosamax. Et tous, sans exception, ont présenté ces deux médicaments sous une lumière favorable. Et Jelinek de déclarer : "je comprends fort bien l’intérêt d’une firme pharmaceutique à réunir des articles de recherche favorables à leurs médicaments en une seule revue et de la faire parvenir aux médecins. (…) C’est du marketing à l’état pur". Certaines méta-analyses (reviews) ne citaient qu’une ou deux références ; l’une d’entre elles était un simple résumé. Pourquoi estime-t-on que l'impact sur les prescripteurs a dû être très important? Parce qu'une telle compilation d'articles favorables, dans une revue à comité de lecture éditée par Elsevier et ayant dans son comité de rédaction et dans son comité scientifique certains très grands noms des spécialités concernées donne l'impression d'un consensus scientifique sur la base d'études et de méta-analyses indépendantes de l'industrie.
L’intention était de rassurer les médecins sur la sécurité d’emploi du Vioxx et sur son rapport bénéfices – risques, dit Jelinek. Et on peut ajouter qu’il fallait effectivement les rassurer parce que les indices des risques de ce médicament ne cessaient de s’accumuler depuis sa mise sur le marché en 1999. Et l’on sait que la firme Merck était au courant des risques cardiovasculaires depuis les essais cliniques et qu’elle avait choisi de les passer sous silence dans sa demande d’homologation. (Cette note sur le procès que certaines caisses publiques allemandes d’assurance-maladie veulent intenter à Merck au nom des victimes du Vioxx revient sur les étapes de cette mise en danger délibérée de la santé des gens à des fins de profits exorbitants).
Enfin, répondant à Heartwire / The Heart, Jelinek souligne que l'avocat de Merck n'a contesté aucune de ses affirmations lors du contre-interrogatoire... Il affirme la même chose au British Medical Journal (BMJ 2009;338:b1714) et souligne, dans le texte complet de cet article, qu'"une mascarade publicitaire qui se fait passer pour de la recherche médicale est de nature à compromettre les fondements même de l'intégrité scientifique".
L’auteur scientifique insaisissable…
Ghostwriters, guest authors, rédacteurs médicaux sans formation médicale (medical writers)…
Selon l’article initial du journal The Australian, intitulé "Doctors signed Merck's Vioxx studies", les études sur le Vioxx faites par la firme ont été signées après coup par des médecins payés pour prêter leur nom et donner ainsi l’impression d’indépendance et de compétence. C’est le bon vieux problème des dérapages dans la définition d’un "auteur", qui peut avoir diverses variantes, dont la plus courante est celle des auteurs fantôme (ghostwriters). Ce sont des rédacteurs d’articles payés par les firmes, qui "arrangent" les résultats des essais cliniques de façon à les faire paraître (plus) favorables. Leurs noms ne figurent nulle part. C’est la variante scientifique du "nègre" dans l’écriture littéraire, sauf que les conséquences ne sont pas tout à fait les mêmes... Les éditorialistes de The Australasian Journal of Bone and Joint Medicine sont de tels ghostwriters, qui signent juste "B & J Editorial".
Illustration: Lisa Tener's Writing Blog
Il arrive que les médecins qui signent ces articles ne soient en fait que des auteurs invités (guest authors), qui n’ont rien à voir avec les essais, mais dont les noms sont des garanties de prestige et de scientificité. C’est une pratique très courante, qui veut par exemple que le chef de service figure au moins comme co-auteur de chaque étude faite par les médecins du service respectif. Sans que le terme "auteur invité" soit prononcé.
Des médecins-chercheurs qui n’ont jamais vu les données et/ou n’ont en rien participé à leur interprétation peuvent être bombardés "investigateurs" sur le papier. Leurs noms sont là pour en mettre plein la vue et donner une caution scientifique de haut vol aux messages publicitaires que les firmes veulent faire passer aux prescripteurs. Et ces "auteurs" en profitent, eux aussi, non seulement parce qu’ils sont payés pour cela, mais aussi pour compléter leur liste de publications, par exemple… Car celle-ci est souvent en souffrance dans le cas de praticiens qui passent leur temps à faire de l’argent, que ce soit par l’exercice libéral à l’hôpital public ou alors par les activités de consultance pour les laboratoires, les conférences dans les palaces, les interventions médiatiques et autres... Avec un tel emploi du temps, la recherche médicale effective n’est pas une priorité. Il est plus facile de limiter sa participation à une signature. Et c’est très ironique de voir que ces faux auteurs se servent de cette situation lorsque ça tourne mal, en disant qu’après tout, ils n’étaient que des auteurs invités et n’ont donc pas de responsabilité…
Sociétés de rédaction médicale, au garde-à-vous devant le client
Il existe par ailleurs des sociétés privées de rédaction médicale, des agences de communication spécialisées (MECC en anglais: medical education and communication companies), qui ont pour seule activité le "traitement" marketing des données et la présentation des résultats des essais cliniques en fonction des desiderata des laboratoires. Et il ne faut pas s’imaginer que ces rédacteurs seraient tous des médecins, loin de là, puisque ce n’est pas ce savoir-là qu’on leur demande de maîtriser. Pharmacritique a d’ailleurs donné l’exemple de la société Therapharm, qui a organisé et présenté les études françaises sur le Gardasil, signées par des médecins de renom ainsi que par des employés de Sanofi Pasteur MSD. Qui n’ont bien sûr pas déclaré leurs conflits d’intérêts en France, mais je les ai trouvés dans la revue Gynecologic Oncology qui a publié l’article sur l’étude EDiTH. (Voir la note "Gardasil: conflits d'intérêts du Pr Riethmuller, du Dr Prétet et de l'étude EDiTH, LA référence française intangible").
Impossible de savoir qu’est-ce qui est écrit par les uns et par les autres, mais les extraits du site de Therapharm laissent songeur, parce que cette société ne cesse d’affirmer à quel point chaque étape du processus menant de la conception d’un essai clinique à des articles médicaux est définie et réalisée en fonction des exigences du client : la firme qui paie et qui mène donc la danse. Cujus regio, ejus religio.
J’ai pris cet exemple pour rester dans du connu, même si Therapharm s’occupe aussi de l’organisation entière d'essais cliniques, et pas seulement de la rédaction d’articles.
D’autres sociétés – ou individus - s’y consacrent entièrement, et il existe d’ailleurs des associations internationales qui les réunissent, telle la European Medical Writer Association (EMWA). Le site contient même des directives à l’usage des auteurs fantôme (Ghostwriting Guidelines), ou encore des considérations sur "le rôle des rédacteurs fantôme dans le développement de publications revues par des pairs".
Merck disposait de plein d'auteurs fantôme, auteurs invités et prête-noms pour promouvoir son Vioxx…
Que Merck ait eu recours à des médecins payés pour être des prête-noms, des faire-valoir et des (fausses) garanties d’indépendance est affirmé par les avocats des victimes qui ont intenté ce recours collectif en justice (appelé aussi "action de groupe", possibilité légale qui n'existe malheureusement pas en France).
L’existence de la vraie fausse revue à comité de lecture est une preuve supplémentaire du fait que la firme était prête à tout pour maintenir le Vioxx sur le marché suffisamment longtemps pour se remplir les poches. (On peut se demander si elle applique les mêmes méthodes dans le cas du vaccin Gardasil, puisque c’est bien cette firme-là qui en a la paternité et que Sanofi Pasteur MSD est une firme détenue conjointement - à 50 / 50 - par Sanofi et par Merck. (MSD veut dire Merck Sharp & Dohme). Sanofi Pasteur MSD est simplement chargée de commercialiser le Gardasil en Europe.)
Le coup de gueule du JAMA en avril 2008 avait pour point de départ précisément la découverte d'une tromperie induite par le ghost management de Merck à propos du Vioxx
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que Catherine de Angelis, la rédactrice en chef du JAMA (revue de l’association américaine de médecine: AMA) a poussé son coup de gueule d’avril 2008 et a formulé son appel à une politique de restriction et de contrôle des conflits d’intérêts dans les publications médicales. Le point de départ de son éditorial est précisément la découverte du fait que le JAMA s’était fait avoir par Merck en acceptant de publier des articles sur le Vioxx signés entre autres par des auteurs fantôme (ghostwriters) et par des médecins qui n’ont pas déclaré avoir été payés par Merck pour diverses activités publicitaires (conférences, consultance, formation médicale continue, etc.).
L’éditorial du JAMA dénonce les "auteurs invités" (guest authors) au même titre que les auteurs ou rédacteurs fantôme (ghostwriters) et demande que seuls des individus ayant participé à la recherche médicale en question puissent être appelés "auteurs". Et que le degré de participation de chacun soit mentionné en même temps que leurs conflits d’intérêts.
Voir à ce sujet la note de Pharmacritique contenant une traduction du texte intégral de cet éditorial du JAMA, avec les 11 propositions de Catherine de Angelis et de son adjoint : "Virulent éditorial du JAMA et propositions pour limiter conflits d'intérêts, ghostwriting, manipulation par les firmes". Puis celle parlant de la réponse de Merck au JAMA. La firme Merck dit être "intègre" et "éthique"... Et enfin cette note qui détaille l’amende payée par Merck et parle du lanceur d’alerte qui a permis de retirer le Vioxx du marché, le Dr David Graham de la FDA (agence états-unienne du médicament). Ce dernier forme avec le sénateur Charles Grassley un tandem qui donne les pires cauchemars de l'industrie pharmaceutique. Infiniment pires pour Merck que les 4,85 milliards de dollars d'amende et de dommages qu'il a dû payer pour contenir les actions en justice venant de l'Etat fédéral comme des victimes.
D’autres détails sur la fausse revue, la réaction d’Elsevier, celle de Merck et celle d’un membre du comité scientifique de l’Australasian Journal of Bone and Joint Medicine
Peter Lurie, le vice-président du chien de garde Public Citizen, remarque selon The Scientist qu’en fin de compte, créer de toutes pièces une pseudo-revue ne diffère pas tellement des pratiques habituelles des firmes. Celles-ci paient pour des tirés à part et/ou pour des compilations d’articles de recherche qui manquent de rigueur scientifique, d’où leur nom de "throwaways" ("destination poubelle", presse poubelle), terme qui désigne les "publications à circulation contrôlée". Contrôlée par les laboratoires qui les financent et les font parvenir aux médecins. La "documentation" à l’allure scientifique apportée à ces derniers par les visiteurs médicaux en contient un bon nombre.
Sans parler de la presse "médicale" gratuite, dans laquelle la "publi-information" n’est jamais vraiment distincte de ce qui veut se faire passer pour de l’information. Cette presse détenue par des grands groupes liés à l’industrie pharmaceutique, tel celui dirigé par Gérard Kouchner, ne vit que des publicités. Voir cette note de Pharmacritique sur la presse cadeau française, vue par l’usager lambda.
Merck se défausse sur Elsevier
En réponse aux questions de The Scientist, un porte-parole de Merck Australia (MSDA) affirme dans un mail que la firme s’attendait à ce que l’éditeur Elsevier complète le contenu de la revue fantôme par d’autres articles tirés de ses nombreuses revues médicales telles The Lancet, Bone, Joint Bone Spine et d’autres, afin de livrer aux médecins une information diversifiée et de qualité. Et en effet, certains articles parus dans la fausse revue étaient des reproductions ou des résumés d’articles originaux, triés sur le volet selon le critère de la "positive attitude" envers Merck, et qui avaient déjà été publiés dans d’autres revues d’Elsevier.
Selon Elsevier, le passé, c’est le passé… Aujourd’hui, tout est nickel
Un porte-parole d’Elsevier déclare au Scientist qu’il aurait été effectivement préférable que The Australasian Journal of Bone and Joint Medicine indique plus clairement son financement par Merck. Plus clairement ? Bel euphémisme. Les deux premiers numéros ne contiennent aucune mention de ce type, aussi vague soit-elle.
L’éditeur reconnaît le financement intégral de la fausse revue par Merck, mais refuse de dévoiler combien il a été payé pour accepter de mettre en pratique cette tromperie. Il aurait certes fallu être plus clair à l’époque, mais c’était il y a 6 ans, quand les règles de déclaration (disclosure) n’étaient pas encore aussi strictes, dit son porte-parole. De plus, il s'agirait d'une filiale régionale d'Excerpta Medica - "société de communication médicale" appartenant à Elsevier et ayant les firmes pour clients - et non d'une décision centrale. Le même porte-parole ajoute qu’aujourd’hui, Elsevier respecte à la lettre les exigences des déclarations d’intérêts – des conflits d’intérêts – et qu’il ne confond pas une compilation d’anciens articles avec une revue médicale (qui accepte des artciles originaux). L’éditeur ne sait pas combien de copies de la fausse revue ont été distribuées en Australie et par quel réseau. Et pour lui ce sujet est clos. Nous sommes priés de croire Elsevier sur parole. Jusqu’au prochain scandale...
Des membres du comité scientifique et/ou du comité de rédaction qui n’ont rien à lire ou à relire, mais ne posent pas de questions...
Etonnant que les membres du comité scientifique d’une revue qui prétendait être à comité de lecture (peer-reviewed) n’aient jamais reçu le moindre article à relire et à évaluer… Mais cela n’étonne que le commun des mortels, les non initiés dont nous sommes, parce que prêter son nom est courant pour les grands pontes (leaders d’opinion, VRP ou pantins du pharmacommerce) du monde médico-pharmaceutique. Mais il en va dans cette élite-là comme dans celle économique et financière : les mêmes occupent (et verrouillent) tous les conseils d’administration et/ou de surveillance…
Ainsi, le rhumatologue australien Peter Brooks, membre du comité de rédaction de l’Australasian Journal of Bone and Joint Medicine, était l’un des conseillers de Merck depuis le milieu des années 90 jusqu’en 2004. (Mais il "conseillait" aussi Pfizer, Amgen et d’autres). Alors comment aurait-il pu ne pas répondre à la demande de la firme qui le paie ? Et pour laquelle il est allé jusqu’à signer des publi-reportages (advertorials), c’est-à-dire des articles rédigés par la firme, dont la forme ne diffère pas du reste, et qui ont pour but de faire passer une publicité cachée pour une information indépendante. Cette méthode fait partie des stratégies élémentaires des firmes, du ghost management, justement, comme toutes les cachotteries. Et elle est utilisée partout.
Peter Brooks se défend en disant qu’arrivé à ce niveau-là, un médecin participe à tellement de choses (whole bunch of things) qu’il lui est impossible de vérifier le sérieux et la réalité des publications… La vraie fausse revue contenait certes quelques études qui sentaient le marketing, mais ce médecin VRP "pense qu’il est injuste de dire qu’elle n’était qu’une publication publicitaire et rien d’autre".
Il lui faut se défendre sans fâcher Merck et Elsevier, on le comprend, le pôvre… Vu la constance et la multiplicité de ses liens d’intérêt avec plusieurs firmes, il ne faut pas que l’industrie pharmaceutique lui coupe les vivres. Ou qu’un éditeur de la taille d’Elsevier se mette à le boycotter…
J'apprends par l'association Healthy Skepticism que le comité scientifique honorifique de la revue fantôme incluait certains "experts" très influents, dont le Pr Ric Day, qui a dirigé le Australian Governement's Pharmaceutical Health and Rational Use of Medicines Committee, c'est-à-dire le comité officiel australien chargé de définir les critères qualitatifs et d'usage rationnel des médicaments ainsi que de conseiller les autorités sur la politique de santé. Comme le montre ce communiqué, en 2003 / 2004, Ric Day était effectivement le directeur de ce comité mis en place par le ministère australien de la santé. Un conflit d'intérêt majeur. Merck ne pouvait pas rêver mieux pour faire avancer la "cause" du Vioxx et du Fosamax...
Conclusion : l’imagination d’un paranoïaque n’est pas à la hauteur de l’omniprésence du ghost management…
Force est de constater que Merck maîtrise parfaitement le ghost management (gestion de l’ombre, management fantôme ou gestion invisible et d'autant plus facilement ubiquitaire) qui fait passer pour de l’information indépendante le message publicitaire voulu, en contrôlant chaque étape du processus, depuis le financement et la conception des essais cliniques (design, settings, objectifs, critères de jugement, durée, comparateur…) jusqu’à l’interprétation des données suivie de leur présentation biaisée et de leur diffusion par tous les réseaux (formation médicale continue sponsorisée, visite médicale, experts des autorités sanitaires, media, etc.) Le moindre rouage est financé, donc sous contrôle et sous influence. La désinformation dans toute sa splendeur, sous les dehors d’une scientificité garantie par les leaders d’opinion qui verrouillent et sclérosent toutes les articulations du système de santé et de soins…
Nous avons vu tout un pan de l'algologie se développer sur la base d'études et essais cliniques plus ou moins fantomatiques, dont l'auteur - Scott Reuben - a lui aussi été payé par les laboratoires produisant les médicaments qu'il s'agissait d'imposer dans des indications nouvelles (Lyrica, Neurontin, Celebrex, Effexor, Oxycontin, Vioxx...). Il a émargé aussi chez Merck. C'est un véritable séisme pour cette discipline, et Pharmacritique en a rendu compte en détail dans cette note.
Mais une vraie fausse revue… Voilà ce qui manquait encore pour confirmer le constat alarmant de Marcia Angell, dans cet excellent texte traduit par Pharmacritique : "Marcia Angell dénonce la manipulation de la recherche clinique et le contrôle de l’information médicale par les laboratoires."
PS / Liens complémentaires
J'ai suivi l'article original de The Scientist, puis donné des exemples (JAMA, la presse cadeau, les ghost writers, les guest authors, la fraude en algologie, les sociétés de rédaction médicale, l'analyse de Marcia Angell, les leaders d'opinion, etc.) pour mieux faire comprendre les choses. Comme l'article du Scientist n'est pas en libre accès, voici deux blogs anglophones qui en reprennent des extraits ou commentent le scandale, ainsi qu'un lien permettant de compléter l'information.
- Science Blogs: Fake medical journals.
- Blog Bioethics.net: Merck Makes Phony Peer-Review Journal.
- The Heart: Merck begins defense in Vioxx case.
Et voici la réponse intégrale de Merck aux affirmations du Pr George Jelinek, aux accusations de ghostwriting concernant en particulier un article co-signé par un cardiologue, destiné à défendre le Vioxx contre les reproches de plus en plus sérieux d'effets secondaires cardiovasculaires: c'est un communiqué de la firme en date du 30 avril.
La controverse autour de l'article du cardiologue en question - le Dr Marvin Konstam de la Tufts University aux Etats-Unis - est relatée par The Heart dans l'article "Fresh questions raised about prominent cardiologist's role in "ghostwritten" 2001 meta-analysis of Vioxx trials". A noter que ce médecin est un consultant de Merck et l'a été lors de la parution des articles sur le Vioxx (rofécoxib) qu'il a co-signés.
Enfin, ceux qui ont accès au British Medical Journal devraient lire les explications invraisemblables données par Merck en réponse à certaines des preuves produites par la défense des victimes australiennes. Ray Moynihan cite des échanges de courriels entre des cadres de Merck, qui démontrent une fois de plus le fait que la firme a délibérément occulté les effets secondaires cardiovasculaires et cherché des médecins obéissants et pas trop regardants.
Et des commentaires...
Mais combien de médecins ont vraiment regardé de près ce qui se passait? On sait qu'ils ne sont pas formés à se pencher sur les effets indésirables, qu'ils ne les signalent presque jamais à la pharmacovigilance, d'où une sous-notification chronique. Des estimations disent que le taux de signalement ne dépasserait pas les 5 à 10% des effets secondaires survenus. Certaines estimations américaines parlent même de seulement 1%. Et ce sachant que les médecins états-uniens signalent beaucoup plus que les médecins français, par exemple. J'ai voulu en avoir le coeur net et ai donc fait une comparaison pour le même médicament en France et aux Etats-Unis. (Avec la paperasse de l'AFSSAPS que j'ai eue par une association). Le constat est accablant pour les professionnels de santé de France et de Navarre. On ne peut même pas comparer.
C'est donc une désinformation et un manquement aux obligations légales des professionnels de santé et des laboratoires, définies par l'article ... Un pharmacologue de l'AFSSAPS n'avait pas tout à fait tort de me dire, dans un tout autre contexte, que si la pharmacovigilance n'avait aucun signalement, elle n'avait aucune base de travail. Devrait-elle inventer?
Mais...Ce n'est pas tout blanc, tout noir. C'est du gris partout.
Comment se fait-il que les informations en français soient à ce point proches du niveau zéro, par rapport à celles en anglais? Je parle des package inserts (notices) et des product informations (RCP) ou monographies, tous en libre accès, contrairement à la France.
Chez nous, médecins et pharmacovigilance ferment les yeux, ne veulent surtout pas regarder ce qui se passe ailleurs, en disant par exemple que les notices anglophones - et surtout celles américaines - sont des "parapluies". C'est-à-dire qu'à cause de la législation anglo-saxonne très contraignante, les laboratoires se protégeraient en mentionnant même des effets secondaires rarissimes, voire invraisemblables (!), pour ne pas payer trop d'amendes si des victimes venaient à leur intenter un procès. Sous-entendu: les jurys populaires états-uniens prennent plaisir à infliger des dommages punitifs à l'industrie pharmaceutique, alors la pôôôvre doit anticiper en disant aux victimes qu'elles avaient bien vu sur la notice que tel médicament pouvait provoquer tel effet secondaire. Donc, si elles l'ont pris quand même, c'est à leurs risques et périls... Il est vrai que les amendes et les dommages et intérêts sont moindres en cas d'effets secondaires déjà mentionnés dans la notice.
C'est légèrement plus compliqué que cela, mais on sait bien que tout le monde se renvoie la balle, que médecins et pharmacovigilance regardent d'un air soupçonneux les personnes qui se plaignent d'effets indésirables, s'accusent mutuellement - surtout pour la forme -, mais finissent par se soutenir mutuellement... Le cas de l'Agréal l'a encore parfaitement démontré. Après tout, les autorités de pharmacovigilance, ce sont des médecins... Avec quelques bureaucrates, certes.
Alors vive la justice!!
C'est là-dessus qu'on peut compter, c'est donc le cadre législatif-juridique (liberté d'information, protection des usagers, recours collectifs en justice, bases pour l'action associative, etc.) qu'il faut créer en France aussi. Ce n'est qu'un tel cadre qui rappelle à tous les acteurs du système de santé et de soins - pharmacovigilance, médecins, laboratoires et patients - qu'ils sont tous responsables de leurs actes. Oui, aux patients aussi. Nous devons apprendre à nous renseigner et à ne plus gober les discours médicaux et pharmaceutiques et les pilules les yeux fermés. Les moyens existent désormais.
La confiance, les médecins doivent la mériter, pas la prendre comme un préalable et un acquis. Et elle n'est pas synonyme de crédulité et d'aveuglement, mais de raisonnement et de lucidité - comme de responsabilité partagée.
Un seul mot d'ordre: empowerment.
Le commentaire d'un médecin
Merci pour cet article très documenté.
Et encore ne s'agit-il que de la partie émergée de l'ice-berg...
Les médecins de l'industrie pharmaceutique, les ghost-writers, ne comprennent pas dans quelle escroquerie ils sont impliqués. Je suis horrifié par leurs pratiques et au moins autant que par les universitaires qui acceptent de vendre leur âme.
Il faut dénoncer les tricheurs de la fac mais aussi les tricheurs de l'industrie.
Ce système est pourri mais il s'agit d'un système et quiconque entre dans l'industrie doit s'attendre à devoir faire des choix éthiques et les accepter.
Mais pourtant il y a des gens de valeur dans l'industrie qui ne demandent qu'à bien travailler et à ce qu'on les aide à bien travailler.
Je propose dans un premier temps de boycotter les produits Merck and Co.
Tout simplement.
Docteur JC GRANGE
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