Les malheurs du nouveau World Trade Center
Huit ans après les attentats du 11 septembre 2001, la base de l’édifice conçu sur le site de Ground Zero est enfin visible. Mais la polémique autour de son nom et de son usage n’est pas terminée.
http://www.courrierinternational.com/article/2009/09/10/les-malheurs-du-nouveau-world-trade-center10.09.2009 | Rick Hampson | USA Today
État actuel des fondations de la future Freedom Tower, la tour située à gauche sur le projet du cabinet d’architectes Skidmo.
La Freedom Tower [Tour de la liberté] devait incarner la détermination des Etats-Unis à reconstruire rapidement et en grand sur le site de Ground Zero après les attentats du 11 septembre 2001. Avec une flèche asymétrique évoquant le flambeau de la statue de La Liberté, elle devait s’élever, en référence à la date de l’indépendance américaine, à une hauteur de 1 776 pieds [environ 541 mètres], ce qui allait en faire l’édifice le plus haut au monde. Fascinés, les New-Yorkais et les Américains ont attendu, encore et encore. Et ils ont fini par perdre patience.
Pourtant, l’ossature de la tour – sur une vingtaine d’étages – commence enfin à poindre après des années de délais non respectés et de blocages bureaucratiques – et au beau milieu d’une récession. Elle mesurera certes 1 776 pieds, mais il ne s’agira pas du plus haut bâtiment du monde. L’édifice n’évoquera pas non plus la statue de La Liberté. Et il n’ouvrira pas ses portes pour le dixième anniversaire des attentats, en 2011, ni pour le onzième, ni pour le douzième. Enffin il ne portera pas officiellement le nom de Freedom Tower. Selon Chris Ward, directeur de l’Autorité portuaire de New York et du New Jersey, l’entité responsable de la construction de la tour, cette saga montre ce qui arrive quand on en exige trop d’un bâtiment. La tour devait être à la fois le symbole d’une idée politique, un monument en l’honneur de ce qui se trouvait autrefois sur le site et une entreprise immobilière rentable.
Un chantier d’envergure au beau milieu de la récession
Quand l’économie a plongé dans la récession, à l’automne 2008, le projet était trop avancé pour y renoncer. Il peut sembler paradoxal de voir une tour s’élever à une époque où le marché de l’immobilier de bureaux est au plus bas. Pourtant, les bâtiments les plus élevés ont souvent été conçus au plus fort d’un boom économique et construits pendant le ralentissement subséquent. Seul chantier d’envergure de la ville, le nouveau World Trade Center est l’un des rares pôles de croissance économique à New York. Selon l’Autorité portuaire, il devrait générer des dizaines de milliers d’emplois d’ici à 2016. Le site comprendra notamment une gare souterraine, un musée et un mémorial dédiés au 11 septembre 2001, la tour elle-même et au moins un immeuble de bureaux appartenant au promoteur privé Larry Silverstein. La Freedom Tower à elle seule coûtera au moins 3,1 milliards de dollars [2,1 milliards d’euros] et sera financée par l’Etat de New York, l’Autorité portuaire et les assureurs de l’ancien World Trade Center. Selon Anthony Wood, directeur du Conseil des bâtiments élevés et de l’habitat urbain, l’état actuel du marché de l’immobilier de bureaux n’aura aucune incidence sur le succès final du projet. La tour sera finie dans quatre ou cinq ans, et, d’ici là, l’économie aura sûrement redémarré, ainsi que la demande pour des bureaux avec vue plongeante sur la ville.
Dès les premières heures qui ont suivi les attentats, les New-Yorkais ont éprouvé le besoin de retrouver leur paysage disloqué par les attaques terroristes. L’entrepreneur Brian Lyons a assisté à l’effondrement des tours depuis son bureau. Son plus jeune frère, Michael, un pompier, était à Ground Zero. Le lendemain, il s’est rendu sur le site pour se joindre aux équipes de recherches. Il était là quand on a découvert le corps de Michael. Même à ce moment-là, raconte-t-il, il a pensé qu’“il fallait reconstruire Ground Zero. Je me suis dit : ‘Nous allons nettoyer cet endroit et bâtir quelque chose de plus grand, de mieux que n’importe quel autre endroit reconstruit’.” Les plans de la Freedom Tower, nom imaginé par George Pataki, le gouverneur de l’Etat de New York de l’époque, ont été dévoilés au public en décembre 2003. Celui-ci avait promis que la tour serait achevée pour le cinquième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001 et occupée pour le dixième. Si ces délais avaient été respectés, elle aurait été un temps le plus haut édifice au monde. Mais le projet s’est retrouvé dans l’impasse quand Larry Silverstein, le détenteur du bail de l’ancien World Trade Center, a revendiqué le droit de reconstruire sur le site. L’année suivante, la police de New York, non consultée au préalable, a estimé que la proximité d’une artère importante rendait la future tour trop vulnérable aux attaques par camion piégé. Les architectes ont donc été contraints de dessiner une nouvelle tour, à un endroit plus éloigné de la circulation.
Mais qui pourrait bien vouloir travailler dans un bâtiment dont le nom et l’architecture semblent en faire une cible parfaite pour les terroristes ? L’Autorité portuaire, dont les bureaux se trouvaient dans l’ancien World Trade Center, a pris ses distances par rapport à l’appellation Freedom Tower. L’adresse One World Trade Center a commencé à apparaître sur ses documents officiels. Certains pensent que le nom a été modifié pour atténuer les craintes d’une nouvelle attaque terroriste et faciliter ainsi la location des espaces. L’Autorité portuaire affirme, de son côté, qu’utiliser l’adresse légale de la tour constitue le meilleur moyen pour trouver des entreprises souhaitant occuper les bureaux. “Nous voulons présenter la tour de la meilleure façon possible”, explique Anthony Coscia, président de l’Autorité portuaire, et “les gens s’identifient plus facilement” à l’adresse One World Trade Center.
Les New-Yorkais trouveront un autre nom pour la tour
Pour George Pataki, quel que soit son impact sur les affaires, ce changement de nom est une honte. One World Trade Center était l’adresse de la tour nord de l’ancien World Trade Center, un nom “sacré” qui ne devrait pas être employé à des fins commerciales.
Certains proches des victimes du 11 septembre remettent eux aussi en question cette décision. “Tous ceux qui croient que le nom donné à ce bâtiment en fait plus ou moins une cible pour les terroristes ne comprennent pas comment raisonnent nos ennemis”, affirme Debra Burlingame, la sœur du pilote du vol 77 d’American Airlines dont l’avion s’est écrasé sur le Pentagone. “Ils se moquent du nom. Tout ce qu’ils veulent c’est le détruire.” Pour Brian Lyons, le nom de la tour a peu d’importance. “On ne l’a jamais vraiment appelée Freedom Tower”, souligne-t-il. A 49 ans, il a perdu un frère mais trouvé une mission. Devenu contremaître sur le chantier de Ground Zero, il n’a jamais raté une journée de travail depuis les attentats du 11 septembre. “Après toutes ces années, c’est plutôt satisfaisant de voir le projet se concrétiser”, confie-t-il. Selon lui, les New-Yorkais trouveront de toute manière un autre nom pour baptiser la tour – comme le pont Robert F. Kennedy, qu’ils ont surnommé le “Triboro”. Malgré tout, il considère qu’elle est un hommage à tous ceux qui sont morts lors des attentats du 11 septembre 2001. “Je suis fier de travailler ici. Et je resterai jusqu’à ce que le dernier boulon soit vissé”, assure-t-il.