Céraliers : Bruxelles n'hésitera pas à aider "si nécessaire"
[ 27/04/2010 16:59 ] La Commission européenne observe "avec attention" l'évolution des cours des céréales sur les marchés et "n'hésitera pas à réagir si nécessaire" par des mesures d'intervention pour aider les producteurs, a indiqué mardi un de ses porte-parole. | ||
"L'an passé, pendant la crise laitière, la Commission a réagi avec des mesures de marché additionnelles d'un montant de 600 millions d'euros parce que le marché en avait besoin", a rappélé Roger Waite, porte-parole en charge de l'Agriculture. La prochaine réunion du comité de gestion des céréales est prévue jeudi, a-t-il précisé. Ce comité examine à chaque réunion l'évolution des cours. Dans le cadre de la réforme de la Politique agricole commune, les aides à l'exportation doivent disparaître d'ici 2013 mais elles restent un outil légal d'ici là. En février, le ministre français de l'Agriculture, Bruno Le Maire, avait évoqué la question d'aides aux céréaliers français lors d'une réunion avec ses homologues européens à Bruxelles. Le commissaire à l'Agriculture, Dacian Ciolos, s'était alors dit "conscient" des difficultés sur le marché des céréales fourragères et de l'orge en particulier, tout en disant s'attendre à une "amélioration réélle". Il avait alors estimé que les possibilités d'exportations ne lui semblaient "pas justifier aujourd'hui de mesures particulières". Les producteurs français de céréales, réputés puissants et prospères, sont entrés à leur tour dans la contestation agricole en manifestant mardi à Paris pour dénoncer une baisse de leurs revenus et les projets de réformes de la Politique agricole commune (PAC) en Europe. Environ 1.300 tracteurs sont arrivés en fin de matinée en convoi dans l'est de la capitale pour une manifestation regroupant 10.000 agriculteurs au total, selon un syndicat. L'an dernier, la filière a vu ses revenus baisser de 51% dans le sillage des cours des céréales (-24%) après cependant une flambée spectaculaire en 2007 et 2008. Mais, avec leurs grandes exploitations, ils figurent aussi en bonne place parmi les bénéficiaires de la PAC, dont la liste pour 2009 doit être publiée samedi sur le site internet https://www3.telepac.agriculture.gouv.fr/telepac/tbp/accueil/accueil.action Et ci-dessous, l'article de Fabrice Nicolino "Planète sans visa" Ce mardi 27 avril 2010, des milliers de paysans venus des régions défilent à Paris. Surtout des céréaliers, mais tel n’est pas vraiment le problème. Ils réclament tous qu’on leur garantisse un revenu décent, ce qui semble bien normal. Sauf que, dans cette histoire, rien ne l’est. Non, rien n’est normal. Et pour commencer, comme à l’habitude, le ministre en charge des questions est un petit démagogue dont le rôle unique est d’empêcher l’éparpillement des voix de paysans aux élections présidentielles de 2012. Car Sa Seigneurie Nicolas 1er, entendant bien se représenter, redoute que cet électorat, promis de toute éternité à la droite, ne lui fasse en partie défaut. D’où Bruno Le Maire. Un mot. Ce type, aujourd’hui ministre de l’Agriculture, sujet auquel il ne connaît rien, était encore directeur de cabinet de Villepin il y a trois ans, quand notre Bonaparte de bazar se trouvait être Premier ministre. S’il l’avait suivi dans ses pérégrinations, Le Maire dirait ce que Villepin clame sur la politique de Sarkozy. Qu’elle est néfaste, qu’elle est dangereuse pour la France comme pour les paysans. Mais ayant choisi héroïquement la soumission pleine et entière au Président en titre, il invente des fables sur ces pauvres paysans et ces vilains seigneurs, qu’il arrive peut-être, parfois, à croire. Qui sait ? Jusqu’où une carrière de cette sorte peut-elle mener ? Mais revenons au fond des choses. Michel Debatisse, oublié depuis des lustres, est l’homme de la destruction de l’agriculture française. Plus qu’aucun autre. Le pire est que cet homme était sincère, probablement bon, certainement intègre. Né en 1929 en Auvergne, fils d’authentique gueux, il se forme à la belle école de la Jeunesse Agricole Catholique (JAC), où l’on apprend à lire, à réfléchir, à agir. Il sort de la guerre incandescent, puis crée avec d’autres un mouvement appelé le Centre national de la jeunesse agricole (CNJA). Il croit puissamment dans la soi-disant modernisation de l’agriculture, qui mise tout sur les tracteurs, les engrais, les pesticides, le remembrement, l’arasement des talus, le recalibrage des ruisseaux et rivières, la mise à la retraite anticipée des vieux pedzouilles. Sitôt le retour du général De Gaulle au pouvoir, en 1958, Debatisse devient l’interlocuteur privilégié. Car il est jeune. Car il représente ces paysans nouveaux, ivres d’une idéologie progressiste, qui ne demandent qu’à marcher avec l’État gaulliste. La grande aventure commence. Sur fond de Marché commun naissant, il s’agit de rationaliser, de regrouper, d’emprunter, d’équiper, puis de pulvériser les records de productivité, et bien entendu de conquérir des parts de marché. En Allemagne, en Italie, et bientôt dans ce qu’on appelle depuis peu le tiers monde. Debatisse trouve en Edgard Pisani, ministre de l’Agriculture de De Gaulle un partenaire idéal, qui lui offre les moyens de la France pour dynamiter le vieux monde agricole. Et tout explose en effet. Et la Beauce comme la Brie, qui comptent parmi les plus belles plaines agricoles au monde, voient leur sol mourir un peu plus année après année, matraqué par la chimie. L’élevage hors-sol et la barbarie qui l’accompagne déferlent. Les centres techniques et scientifiques de l’Inra - institut public - mettent au point des méthodes Frankenstein à la demande. Nous y voilà : le formica apparaît dans les fermes, puis la Renault 12, puis la télé grand écran. Enfin. Par un système de vases communicants parfait, les paysans, eux, disparaissent. En 1945, ils étaient environ 6 millions, quand la France comptait 40 millions d’habitants. Nous sommes 64 millions, et il reste probablement moins de 400 000 agriculteurs à plein temps. Debatisse, l’homme de la modernisation, doit se retourner dans sa tombe, car ce n’est pas, je crois, ce qu’il avait imaginé. Qu’importe ! Il est bien normal d’être jugé sur ses actes plutôt que sur ses intentions. La destruction systématique de la civilisation paysanne est aussi un bouleversement radical du paysage et de l’esprit. Et leur remplacement par un vide bourré d’électronique, d’objets interchangeables, d’écrans et d’impulsions à la milliseconde n’est-elle pas un pur miracle de la technique ? Poursuivons. Debatisse a non seulement créé le CNJA, mais aussi présidé la FNSEA, le « syndicat » qui cogère avec l’État, depuis soixante ans, toutes les décisions concernant la campagne. Imaginez la CGT apposer sa marque sur toutes les grandes décisions publiques touchant l’industrie, et vous serez encore loin de compte. En tout cas, Debatisse a dirigé la FNSEA de 1966 à 1978, d’abord comme secrétaire général, puis comme président. Et il est entré immédiatement derrière dans le gouvernement de Raymond Barre, où il fut, entre 1978 et 1981, secrétaire d’État, je n’invente rien, aux Industries agricoles et alimentaires. Telle est l’une des savoureuses particularités de cette affaire : tous les chefs de la FNSEA sont de droite, et (presque) tous finissent par entrer en politique. Debatisse, donc. Mais aussi François Guillaume, président de la FNSEA de 1979 à 1986, puis député du parti de droite de 1993 à 2007. J’ajoute deux choses sur le même. Un, il a été ministre de l’Agriculture de Chirac entre 1986 et 1988. Une référence. Et, deux - ne fêtons-nous pas l’anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl ? -, il a déclaré le 6 mai 1986 : « Le territoire français, en raison de son éloignement, a été totalement épargné par les retombées de radionucléides consécutives à l’accident de Tchernobyl ». Où en étais-je ? Oui, Guillaume. Son successeur, ô combien de droite, n’est autre que Raymond Lacombe, chef de la FNSEA dans l’Aveyron, puis président national entre 1986 et 1992 (il est mort en 2002). Ce n’est pas qu’on lui aurait refusé un poste de député, c’est qu’il n’en a pas voulu. Mais il accepta en revanche, et à partir de 1984, un poste tranquille au Conseil économique et social. On ne présente plus le suivant, Luc Guyau, militant UMP de longue date. Président de la FNSEA entre 1992 et 2001, il a si merveilleusement servi les siens que Son Excellence Sérénissime Nicolas Sarkozy lui a offert une sinécure de luxe à la FAO, qui siège à Rome. Chut ! Luc travaille. Comme président. On espère pour lui que la cantine romaine est bonne. Le président en titre de la FNSEA, Jean-Michel Lemétayer, lui aussi UMP, a finalement refusé l’invitation qui lui avait été faite de représenter son beau parti aux élections européennes. Et, tiens, ce noble syndicaliste est au départ producteur de lait. Or, comme chacun sait, la situation de ces derniers est désespérée. On parle de dizaines, voire de centaines de suicides. Cela ne donne pas l’envie de se moquer, non pas. Mais cela commande en revanche de comprendre un peu. Et comprendre, c’est accuser. Directement, sans état d’âme, d’une voix ferme. Tout ce que vivent les survivants du cataclysme de la modernisation, ils le doivent aux hommes - surtout des hommes - qui ont conduit les choix publics depuis 1945. Essentiellement ce duo dramatique formé par le ministère de l’Agriculture et la FNSEA. Ce sont eux qui ont créé le cadre et défini les lois. Ce sont eux les responsables et les coupables. Et, sauf erreur, les manifestants envoyés sur Paris ce mardi le sont par la FNSEA. Imparablement logique. Il y a beau temps que ce « syndicat » ne (se) pose plus aucune question intéressant la société et notre avenir commun. Ce qu’il veut, c’est grappiller, obtenir une dernière fois l’obole que les gouvernements de droite et de gauche lui ont toujours octroyée. « Encore une minute, monsieur le bourreau ! ». Une minute, rien qu’une minute, car cette fois, cela sent l’hallali. Le couple maudit prétendait jadis - hier - vouloir nourrir le monde.Telle était la base de leur propagande conjointe. Il fallait cracher des quintaux de blé pour nourrir ces malheureux petits Africains. Avez-vous remarqué le retournement complet ? Ces gens-là, qui n’ont plus comme objectif que de fourguer ce qu’ils produisent dans des conditions écologiques dantesques, réclament de concert des aides pour la fabrication de carburants d’origine végétale ! Des biocarburants ! Des nécrocarburants ! Voilà où ils en sont, dans un monde où un milliard de frères humains souffrent de famine chronique. Ils préfèrent changer du colza, du blé, du tournesol en carburant de bagnole plutôt que de mettre en question le système qui les a fait rois. Dans ces conditions, serez-vous surpris ? Bien que désolé - ce n’est pas de l’hypocrisie, je les plains pour de vrai - que tant de paysans soient aujourd’hui les victimes de cette fuite en avant, je ne défilerai pas ce mardi en leur compagnie. En revanche, oui, je signerais des deux mains un pacte qui engagerait la société d’un côté et les restes de l’armée paysanne de l’autre. Un pacte écologique et social qui permettrait de refonder sur des bases totalement neuves une agriculture paysanne et biologique, réoccupant peu à peu les territoires d’où elle a été chassée. Je ne suis pas pour le compromis, qui serait ici pure absurdité. Ce système moribond ne peut plus sortir de l’impasse dans laquelle il s’est enfoncé, nous entraînant tous dans son aventure. Il est trop tard. Et ceux qui réclament de passer de 2 à 6 % d’agriculture bio en France en 2012 - tu parles !- ou qui rêvent d’une diminution de l’usage des pesticides - mon œil ! - servent en réalité de faire-valoir à l’agriculture industrielle. Une seule solution : la destruction. Quand on veut aller en train de Paris à Montpellier et qu’on se rend compte qu’on est dans le train de Metz, que doit-on faire ? A : demander au contrôleur s’il ne serait pas possible d’aller moins vite. B : descendre à la première gare venue, et trouver le train qui conduit bel et bien à Montpellier. N’hésitez pas à me répondre, j’adore les problèmes simples et compliqués. PS : J’ajoute une interrogation subsidiaire. Pourquoi José Bové et ses soutiens, dont je fus, ont-ils loupé à ce point le coche ? J’ai toujours pensé et souvent écrit que le démontage du MacDo de Millau, à l’été de 1999, ouvrait un espace inattendu, mais vaste, à une grande discussion sur l’avenir de l’agriculture en France. Il était possible alors d’imaginer un projet ambitieux et neuf, qui mette en mouvement une bonne partie de ceux qui refusent le monde mortifère dans lequel on nous oblige à vivre. En 2003, de mémoire, quelque 250 000 personnes se sont rassemblées sur ce plateau du Larzac cher à mon âme. Et puis quoi ? Et puis, rien. La responsabilité de Bové dans cet énorme gâchis, que nous paierons longtemps, est certaine à mes yeux. Mais la nôtre également. Mais la mienne aussi, cela va de soi. Que s’est-il passé ? Ou plutôt, pourquoi ne s’est-il rien passé ? |