Confirmé : Hollande ne fera pas la révolution fiscale

Publié le par Charlotte sceptix

Un voyage en Patago-conomie, pays si proche mais aux dialectes si mystérieux. Par Anne-Sophie Jacques, voyageuse néophyte (ou presque) en économie, mais experte en désossage des jargons.


chronique le 11/02/2012 par Anne-Sophie Jacques
Confirmé : Hollande ne fera pas la révolution fiscale
Ma soirée à l'Assemblée avec des fiscalistes
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Hollande a-t-il sabré le projet fiscal du PS ? On pouvait le croire à l’annonce de l’abandon de la fusion CGS/Impôt sur le revenu ainsi que de la volte-face sur le quotient familial, courant janvier. L’éconaute a voulu en avoir le cœur net en participant, jeudi 9 février, à un atelier organisé par Vigiéco à l’Assemblée nationale. L'affiche est alléchante : l'économiste Thomas Piketty, partisan de réformes fiscales radicales, contre un hollandais pur sucre, Dominique Villemot.

J'ignorais l'existence de Vigiéco, organisateur du débat. Je fais donc connaissance avec les membres de ce comité de vigilance et d'analyse économique qui se donne pour objectif, texto, de "promouvoir auprès du public, des décideurs économiques et des journalistes les arguments économiques de fond qui justifient l’alternance portée par François Hollande". Au moins leurs ambitions sont affichées.

Quelles réformes fiscales pour le prochain quinquennat ? La question était posée à Thomas Piketty et Dominique Villemot et le débat animé par Emmanuel Lévy, journaliste de Marianne, auteur du livre Un quinquennat à 500 milliards. Le public, composé de hauts fonctionnaires de Bercy, de fiscalistes et de journalistes (voire de simples curieux accros à la fiscalité, si si, ça existe), était invité à réagir. Après deux heures de discussions techniques quoiqu’aimables, l’éconaute a enfin sa réponse : le grand soir fiscal, les gars, ce n’est pas pour demain.

 


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De gauche à droite : Piketty, Lévy et Villemot

Ancien camarade à l'ENA de François Hollande, aujourd’hui conseiller de campagne et plume occasionnelle du candidat à la présidentielle, Villemot affirme d'emblée que nous arrivons à la fin d'un cycle de réduction des impôts entamé en 1986. Oui sous la gauche : "nous étions pris dans le mouvement du libéralisme, faut bien l’avouer". Mais c’est bel et bien terminé. Obama augmente les impôts, Sarkozy augmente les impôts, et tous les candidats se préparent à taxer davantage pour espérer des recettes entre 30 et 40 milliards d’euros. Hollande promet lui aussi une hausse d’impôts pour 29 milliards de recettes supplémentaires. Il est le seul des candidats à dire où il va précisément prélever cette somme, notamment en créant une tranche supplémentaire à 45% pour les revenus supérieurs à 150 000 € par part (aujourd’hui elle est à 41%).

Hollande est pour l’impôt progressif (donc contre la TVA sociale) et, puisque la mode est de comparer la France à l’Allemagne, Villemot rappelle ceci : la TVA outre-rhin est aujourd’hui à 19%, quasiment au même niveau que la France. L’impôt sur le revenu représente 9,6% du PIB allemand ; en France il représente 2,6 % du PIB ou, en prenant en compte toutes les cotisations (dont la CSG), 7,2%. Conclusion : si on doit converger vers l’Allemagne, mieux vaut augmenter l’impôt sur le revenu.

Le seuil de l'ISF restera élevé, à 1,3 million

Faire passer la tranche la plus haute de 41 à 45%, c’est bien, rétorque Piketty, mais on reste loin du taux record (pas si ancien) de 53%. De plus, de 2007 à aujourd’hui, s’est opéré un hold-up scandaleux : "en cinq ans, le gouvernement a divisé par deux les recettes de l’impôt sur la fortune. De 4,5 milliards au début du quinquennat la somme tombe à près de 2 milliards aujourd’hui. Étant donné l’augmentation du patrimoine en France, on aurait dû encaisser 6 milliards cette année." Sur l’ISF, Hollande restitue les barèmes que Sarkozy a étouffés depuis 2007. Mais, fait remarquer Piketty, il laisse le seuil du déclenchement de l’ISF à 1,3 million, ce qui est très élevé.

Pourquoi, alors, dans les pays qui nous entourent, l’impôt sur le revenu représente-t-il 8 à 10 points du PIB contre 2 points en France ? Première explication de Piketty : "nous ne sommes pas passés au prélèvement à la source. Ce qui semble évident pour la Sécurité sociale ne l’est pas pour l’impôt sur le revenu… mais imaginez qu’on demande aux gens de payer les cotisations santé à la fin de l’année en donnant eux-mêmes les chiffres qui les concernent ! Ça n’a pas de sens. Je rappelle que nous sommes le seul pays à ne pas appliquer le prélèvement à la source. Tous les autres pays le font. Dans la majorité des cas il n'a fallu qu'une année pour le mettre en place. Et bien souvent cela a été fait alors qu'il n'y avait pas encore l'outil informatique. Parfois les fonctionnaires de Bercy devraient regarder de plus près les initiatives de nos voisins."

Piketty regrette également que le projet fiscal de Hollande remette aux calendes grecques le projet de fusion CSG/Impôt sur le revenu comme il me l’avait déjà expliqué dans son bureau de l’ENS. Pour l'économiste, il est regrettable de ne pas s'appuyer sur l'assiette large de la CSG et de rester sur l'assiette archi-percée de l'impôt sur le revenu.

 

Villemot-paris Match

 

Le public attend la réplique de Villemot, ennuyé. On le sent plutôt en phase avec les réformes fiscales souhaitées par Piketty, mais il est là pour défendre le programme de Hollande. Il louvoie : oui c’est faisable mais c’est compliqué encore que, non, mais tout de même, ce n’est pas facile à expliquer aux électeurs. Le prélèvement à la source par exemple. Villemot doute de sa faisabilité, car cela pose trop de questions : est-ce l’Urssaf qui récoltera les cotisations ? Si oui, il craint une grève à Bercy. Mais bon, une grève, ça se surmonte. Villemot soupire puis enchaîne son topo sur la fiscalité des entreprises.

C’est dit, le projet de Hollande mettra fin au déséquilibre criant : les grands groupes sont taxés en moyenne à 8% quand les PME le sont à 33%. Le PS instaure trois nouveaux taux d’imposition : 15% pour les petites entreprises, 30% pour les entreprises de taille intermédiaire, 35% pour les autres. Enfin, Hollande souhaite resserrer le crédit impôt recherches dévoyé : j’apprends à l’occasion qu’il bénéficiait aux banques. Bah tiens. C’est vrai qu’en termes de recherche, les banques sont à la pointe, surtout quand il s’agit de bonus. J’en profite pour vous conseiller la lecture savoureuse du dernier petit livre signé Pascal Canfin, Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire. Fin de la page de pub.

 

Canfin_livre

 

La parole est donnée au public. Une haut-fonctionnaire de Bercy, malicieuse, interpelle Piketty : "sachez que le ministère s’intéresse de près à ses voisins, puisque je viens de finir la rédaction d’un rapport sur le prélèvement à la source en établissant une comparaison des différents pays." Sourires dans la salle. Vos conclusions ? lui demande Piketty. "Le prélèvement à la source est intéressant pour deux raisons : son automaticité et parce qu’il s’adapte en temps réel. Toutes les objections à sa mise en place sont surmontables." Regards vers Villemot : et toc. Cela dit, précise-t-elle, le rapport final, qui devrait sortir mi-février, préconisera une mise en place du prélèvement à la source dans le cadre d’une fusion CSG/Impôt sur le revenu. Le toc tombe à plat. La jeune femme se tourne alors vers Villemot : "allez-vous revenir sur le taux de TVA réduit dans la restauration ?"

On retrouve notre Villemot gêné aux entournures. Comme Hollande, il préconise une grande discussion avec les restaurateurs pour savoir comment ils vont remplir les objectifs de prix et d’emploi, aujourd’hui non atteints. L’éconaute intervient : "quand la TVA a été réduite et que les résultats se sont fait attendre, l’actuel gouvernement a déjà eu cette grande discussion avec les restaurateurs non ?" Piketty embraye : "vous allez leur reposer la question, c’est ça ?" J’insiste : "allez-vous oui ou non revenir sur ce taux réduit ?" Fin du louvoiement de Villemot : "ce n’est pas dans le programme, donc non." Et vous ne pouvez pas l’ajouter au programme, justement ? "Le programme est définitif… sinon quelle crédibilité on aurait si on devait le changer à tout bout de champ ?" Soit.

Enfin, Villemot n'échappe pas au retour sur l'épisode quotient familial et la volte-face très médiatisée du candidat Hollande. Sur ce coup-là, explique-t-il, Sarkozy a très bien joué : "alors qu’il fait une campagne navrante sur tous les points, on s’est fait piéger sur le quotient familial. En vingt-quatre heures nous étions devenus les pourfendeurs de la famille. C’est vrai que du coup, on a reculé." Et quel recul ! estime Piketty : "aujourd’hui la proposition est de baisser le plafond du quotient familial de 2 300 euros à 2 100. Quel progrès! Dans trois ans on passera à 1 900 et dans un siècle on l’aura supprimé."

 

Piketty

En sortant de l’Assemblée, je rejoins le métro en compagnie de Piketty. Je lui dis mon désarroi face au fossé entre ses propositions et le programme fiscal de Hollande. "On est d'accord mais je ne suis pas amer pour autant", nuance-t-il, faisant allusion au titre d’une de mes brèves publiée ici. "Je pense qu'une fois au pouvoir, ils vont être très vite rattrapés par la réalité : ils devront faire quelque chose pour le pouvoir d'achat, ils savent que la prime pour l'emploi ne fonctionne pas, et ils devront aussi trouver une vraie alternative à la TVA sociale. Tout cela les ramènera à la CSG progressive."

Fabius : "si une réforme fiscale était possible, je l'aurais faite !"

Mais quand même, il n’est pas déçu de ce manque d’ambition affichée ? "J’estime avoir fait ma petite part du boulot. Je trouve que notre livre sur la révolution fiscale a déjà eu un impact considérable. C’est drôle car j’ai fait il y a quelques jours une intervention pour Mediapart (lien payant) où je dis que Hollande manque d’audace. Dans le fond je ne suis pas sûr qu’il soit allergique à un changement de structure en profondeur. D’ailleurs, avant Noël, lui comme Villemot semblaient vouloir aller de l'avant." Alors quoi ? "Alors Cahuzac n’en veut pas, et Fabius répond que si une réforme fiscale était possible, il l’aurait déjà faite il y a dix ans. En gros, l’équipe de campagne a finalement estimé qu’ils n’ont pas besoin d’une révolution fiscale pour gagner, et que cela ne sert à rien de prendre des risques."

Pari risqué ?

ASI
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