Cuba est "absent"… Des rapports américains sur l’Aide internationale à Haïti suivi de Médecins aux pieds nus

Source Illustration : http://www.legrandsoir.info/article3634.html
Il y a seulement deux médias américains qui ont relaté la réponse de Cuba au tremblement de terre qui a frappé Haïti. L’un était Fox News, qui a affirmé, à tort, que les Cubains étaient absents de la liste des pays voisins qui fournissaient de l’aide. L’autre était le Christian Science Monitor (une publication respectée qui a récemment supprimé son édition imprimée), qui relevait, à juste titre, que Cuba avait envoyé 30 médecins dans le pays sinistré.
« The Christian Science Monitor », dans un second article, cite Laurence Korb, ancien Secrétaire-adjoint à la Défense et actuellement basé au « Center for American Progress », qui déclare que les Etats-Unis qui dirigent les opérations de secours en Haïti, devrait « envisager de faire appel aux connaissances spécialisées des voisins de Cuba », dont il a noté, « que Cuba possède quelques-uns des meilleurs médecins du monde et nous devrions voir comment travailler avec eux ».
Quant au reste des médias américains, ils ont tout simplement ignoré le rôle de Cuba et de ses actions.
En fait, il a été passé sous silence que la réalité c’est que Cuba possédait déjà plus de 400 médecins arrivés récemment en Haïti pour suppléer au quotidien aux besoins de santé de ce pays le plus pauvre des Amériques ; et que ces médecins ont été les premiers à réagir à la catastrophe par la mise en place d’un hôpital d’urgence juste à côté de l’hôpital principal de Port-au-Prince, qui s’est effondré lors du séisme.
Loin de « ne rien faire » lors de la catastrophe, comme les propagandistes d’Extrème-Droite de « Fox-TV » le déclarent, Cuba a été l’un des intervenants les plus critiques et efficaces lors de la crise, parce qu’elle avait mis en place une structure médicale bien avant le séisme. Laquelle a été en mesure de mobiliser rapidement et commencer à traiter les victimes immédiatement.
L’Intervention d’urgence américaine, de façon prévisible, a surtout porté, au moins en termes de personnel et d’argent, sur l’envoi de la très coûteuse et inefficace US Army (Une flotte d’aéronefs et un porte-avions), un facteur qui doit être pris en compte lorsqu’on l’examine à la lumière des 100 millions de dollars réclamés par l’Administration Obama comme allocation à l’aide d’urgence à Haïti. Considérant que le coût d’utilisation d’un porte-avions, y compris celui de l’équipage, se monte à environ 2 millions de dollars par jour, le simple fait d’envoyer un transporteur navette à Port-au-Prince durant deux semaines représenterait un quart de l’effort annoncé de l’aide américaine. La majorité des personnels militaires envoyés effectueront certainement un travail concret, d’aide, de livraison de matériel et de gardiennage des fournitures, mais étant donné la longue histoire militaire américaine de contrôle colonial et brutal d’Haïti, ils consacreront inévitablement leur temps à assurer la survie et le contrôle des élites politiques parasites pro-américaines sur les lieux.
En d’autres termes, les Etats-Unis ont pratiquement ignoré jour après jour la crise des Droits de de l’homme en Haïti, tandis que Cuba faisait un travail inestimable en fournissant des soins de santé de base.
Mais ce n’est pas une « histoire » que les médias capitalistes américains voudraient raconter.
Dave Lindorff
Dave Lindorff est un journaliste et chroniqueur basé à Philadelphie. Il est l’auteur de “Marketplace Medicine : The Rise of the For-Profit Hospital Chains” (BantamBooks, 1992), et son dernier livre est "The Case for impeachment" Press (St. Martin’s, 2006).
Son travail est disponible à www.thiscantbehappening.net
Traduct Gilong. (révision partielle par le Grand Soir)
http://www.commondreams.org/view/2010/01/15-6
Version française : http://bellaciao.org/fr/spip.php?article97025
via :le Grand Soir
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Un article du Monde Diplomatique paru en Aout 2006 :
Nouveaux « médecins aux pieds nus »
Peu après son élection à la présidence du Venezuela, en 1998, M. Hugo Chávez signa avec le gouvernement cubain un accord donnant naissance à un programme massif de santé publique, la Misión Barrio Adentro. Au Venezuela, 14 000 médecins cubains soignent désormais gratuitement les plus pauvres. Rarement médiatisée, cette opération n’est toutefois que la partie émergée d’une coopération sanitaire de La Havane avec les populations défavorisées des pays du Sud.
Fin août 2005... L’ouragan Katrina vient de ravager le sud des Etats-Unis. Les autorités sont vite dépassées par l’ampleur de la catastrophe. La gouverneure de Louisiane, Mme Kathleen Babineaux Blanco, lance un appel à la communauté internationale pour réclamer une aide médicale urgente. A La Havane, le gouvernement cubain réagit immédiatement. Il propose d’envoyer à La Nouvelle-Orléans, mais aussi au Mississipi et en Alabama, Etats également affectés par le cyclone, sous forme d’aide humanitaire et dans un délai maximum de 48 heures, un contingent de 1 600 médecins formés pour intervenir dans ce type de catastrophes. Ils apporteront avec eux tout l’équipement nécessaire et 36 tonnes de médicaments. Mais cette proposition, ainsi que celle faite directement au président George W. Bush resteront sans réponse, alors que plus de 1 800 personnes, surtout des pauvres, décéderont, faute d’aide et de soins.
Ce drame est encore proche lorsque, le 8 octobre 2005, le Pakistan connaît, dans la région du Cachemire, l’un des pires tremblements de terre de son histoire. Les conséquences humaines et sanitaires sont dramatiques, surtout dans les zones les plus déshéritées et isolées du nord du pays. Le 15 octobre, un premier contingent de 200 médecins cubains urgentistes arrive avec plusieurs tonnes d’équipement. Quelques jours plus tard, La Havane expédie le matériel nécessaire pour monter et équiper 30 hôpitaux de campagne, dans des zones de montagne qui, pour la plupart, n’ont jamais reçu la visite d’un médecin. De nombreux habitants découvrent l’existence d’un pays appelé Cuba.
Pour ne pas aller contre la tradition dans ce pays musulman, les Cubaines – 44 % des presque 3 000 médecins déplacés au Pakistan jusqu’en mai 2006 – dissimulent leurs cheveux sous un foulard. La bonne entente s’établit en peu de temps : de nombreux Pakistanais acceptent que leur épouse ou leur fille soit soignée par un homme. Fin avril 2006, peu de temps avant son départ, l’équipe médicale cubaine a soigné un million et demi de patients, principalement des femmes, et a effectué environ 13 000 interventions chirurgicales. Seuls quelques patients atteints de traumatismes très complexes ont dû être transportés à La Havane. Le président Pervez Musharraf, grand allié des Etats-Unis et ami de M. Bush, remercie officiellement les autorités de La Havane et reconnaît que l’aide de ce petit pays antillais a été la plus importante de toutes celles reçues à l’occasion de cette catastrophe.
La première brigade médicale internationale cubaine a été formée en 1963. C’est dans l’Algérie tout juste indépendante que se rendirent alors les 58 médecins et techniciens qui la composaient. En 1998, le gouvernement cubain a commencé à structurer l’aide médicale massive aux populations de pays pauvres touchés par des catastrophes naturelles. Après le passage des cyclones George et Mitch en Amérique centrale et dans les Caraïbes, La Havane offre ses médecins et infirmiers pour travailler dans le cadre des programmes intégraux de santé. La République dominicaine, le Honduras, le Guatemala, le Nicaragua, Haïti et le Belize acceptent cette proposition.
En Haïti, où la population modeste connaît un manque chronique de soins médicaux, Cuba offre d’envoyer une aide médicale massive. La Havane propose même, en 1998, au gouvernement français, ancienne puissance coloniale, une sorte d’association humanitaire pour venir en aide à la population haïtienne. Mais Paris garde le silence, et choisit finalement, en 2004, d’y envoyer des troupes... Cuba déploie ses médecins – 2 500 se sont succédé depuis 1998 – et autant de tonnes de médicaments que son économie fragile le lui permet.
L’efficacité et la gratuité de l’aide, le fait que ces nouveaux « médecins aux pieds nus » interviennent dans des zones où leurs confrères locaux refusent d’aller (en raison de la pauvreté de la « clientèle », de l’insécurité ou de la difficulté d’accès...) font que d’autres pays, principalement d’Afrique, demandent à bénéficier du programme. Les personnels de santé cubains sont payés par leur propre gouvernement.
De 1963 à la fin de 2005, plus de 100 000 médecins et techniciens de la santé sont intervenu dans 97 pays, surtout en Afrique et en Amérique latine (1). En mars 2006, 25 000 professionnels se trouvaient répartis dans 68 nations. Un déploiement que même l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne peut assurer. Quant à Médecins sans frontières (MSF), l’organisation non gouvernementale (ONG) a dépêché 2 040 médecins et infirmiers à l’étranger en 2003, 2 290 en 2004 (2). A cela s’ajoutent les soins effectués sur le territoire cubain même, où sont souvent acheminés les malades les plus graves de quelque pays que ce soit. C’est à La Havane, par exemple, qu’a été soignée Kim Phuc, cette petite fille dont la photo de Nick Ut avait ébranlé le monde, qui courait nue sur une route du Vietnam, la peau brûlée par les bombardements au napalm de l’armée américaine. Cuba a également reçu des enfants et des adultes, plus de 19 000 en tout, venant des trois républiques soviétiques touchées par l’accident nucléaire de Tchernobyl, en 1986.
Profitant de son expérience dans la prévention du sida (la prévalence du VIH y est de 0,09 % face aux 0,6 % des Etats-Unis, par exemple), Cuba a offert, durant la session extraordinaire de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) réunie sur le sujet, en juillet 2001, « les médecins, pédagogues, psychologues et autres spécialistes nécessaires pour conseiller et collaborer dans les campagnes de prévention du sida et autres maladies. Les équipements et kits de diagnostics nécessaires pour les programmes de base de prévention du sida, le traitement antirétroviral pour 30 000 patients... » Et, si le projet était adopté, « il suffirait que la communauté internationale apporte les matières premières pour les médicaments. Cuba n’en tirerait aucun bénéfice, et fournirait même les salaires de son personnel ».
La proposition n’a pas été retenue. Mais 8 pays d’Afrique et 6 Etats d’Amérique latine bénéficient du projet Intervention éducative sur le VIH/sida, qui a permis la diffusion de programmes de radio et/ou de télévision, ainsi que la possibilité, pour plus de 200 000 patients, d’être soignés et pour plus d’un demi-million de travailleurs de la santé d’être formés.
A l’heure actuelle, quelque 14 000 médecins cubains opèrent dans les barrios (quartiers défavorisés) du Venezuela. Dans la foulée, Caracas et La Havane ont mis en route l’opération « Milagro » (« miracle ») qui, au cours des dix premiers mois de l’année 2005, a permis de rendre la vue, gratuitement, à près de 80 000 Vénézuéliens dont beaucoup, victimes de la cataracte ou du glaucome, durent être transférés à Cuba pour y être opérés (3). Le programme concerne plus largement des Latino-Américains et des Caribéens touchés par la cécité et par d’autres déficiences oculaires. Le Venezuela apporte le financement, Cuba les spécialistes, le matériel opératoire et l’infrastructure pour les soins aux malades pendant la durée de leur traitement dans l’île.
Jusqu’à aujourd’hui, aucun gouvernement, aucune entité privée ou organisme international n’était parvenu à structurer un programme médical mondial d’une telle ampleur, capable d’apporter une réponse à grande échelle aux personnes en demande de soins. Dans le cadre de l’opération « Milagro », il est prévu d’opérer des yeux près d’un million de personnes par an...
Quelques heures avant de prendre ses fonctions, c’est avec La Havane que le nouveau président bolivien Evo Morales a signé, en décembre 2005, son premier accord international. Il crée une unité cubano-bolivienne pour pratiquer des soins ophtalmologiques gratuits. Outre l’Institut national d’ophtalmologie de La Paz, récemment équipé par Cuba, le programme disposera d’un centre médical dans les villes de Cochabamba et de Santa Cruz. Les jeunes médecins boliviens qui viennent d’obtenir leur diplôme à l’Ecole latino-américaine de médecine (ELAM) participeront à ce programme.
L’école a été inaugurée en 1998, quand Cuba commençait à envoyer des médecins dans les Caraïbes et en Amérique centrale. Située dans une ancienne base navale, dans la banlieue de La Havane, elle forme des jeunes provenant de familles pauvres de tout le continent américain, y compris des Etats-Unis (mais il y a aussi des centaines d’étudiants africains, arabes, asiatiques et même européens). Les 21 facultés de médecine dont dispose Cuba participent à cette formation. En juillet 2005, les 1 610 premiers étudiants latino- américains ont reçu leur diplôme. Chaque année, quelque 2 000 jeunes sont admis à l’école. Formation, nourriture, logement, ainsi que les éléments pour la pratique leur sont fournis gratuitement. En échange, ils doivent s’engager à retourner dans leur pays pour soigner leurs compatriotes (4).
Inspirés par des considérations idéologiques, les ordres de médecins et d’ophtalmologistes de plusieurs pays ont lancé des campagnes contre cette initiative. La revue du Conseil argentin d’ophtalmologie, par exemple, s’insurge contre les ophtalmologistes cubains : « Nous ne savons pas s’ils sont médecins (5). » Du coup, le Conseil a annoncé qu’il va « commencer les démarches » avec des ONG humanitaires pour financer un programme semblable.
Au Nicaragua, hier, lorsque le président Arnoldo Alemán, malgré l’ampleur du désastre provoqué par l’ouragan Mitch, commença par refuser la présence de ces praticiens cubains actifs, au Venezuela depuis 2002, et en Bolivie aujourd’hui, les médecins liés aux secteurs conservateurs – qui conçoivent la médecine comme un commerce auprès de populations solvables et qui refusent de se rendre dans les bidonvilles – se déchaînèrent contre ces « médecins aux pieds nus » : « incompétence », « exercice illégal de la médecine », « concurrence déloyale »... En avril 2005, une décision judiciaire de l’Etat brésilien de Tocantins obligea 96 médecins cubains qui soignaient des indigents à partir. En désaccord avec la décision, le gouverneur de l’Etat ne put que « reconnaître le courage professionnel des médecins qui ont été très bien reçus ici et [que] nous nous devons de remercier ».
Les protestations et pressions politiques des ordres de médecins augmentent à mesure que grandit le nombre de jeunes diplômés arrivant des universités cubaines. Ces nouveaux confrères pourraient faire chuter les tarifs ou même offrir gratuitement une partie de leurs services, les soins médicaux cessant ainsi d’être un service élitiste et marchand.
Une menace pèse d’ailleurs sur la reconnaissance à l’étranger des diplômes obtenus à Cuba. Au Chili, beaucoup de jeunes formés dans l’île n’ont pas pu faire valider leurs titres médicaux en raison du coût trop élevé des frais. Mais, relève la BBC, si les ordres de médecins d’Amérique latine s’obstinent dans leur opposition, « ils pourraient avoir des difficultés à obtenir le soutien d’une population qui a de moins en moins accès aux services de santé et pour qui ce projet apparaît comme une petite lueur d’espoir dans l’obscurité (6) ».
La situation la plus difficile concerne les étudiants de nationalité américaine, qui risquent une peine de dix ans de prison et des amendes allant jusqu’à 200 000 dollars. Les lois du blocus leur interdisent en effet d’entrer à Cuba ! Pourtant, dans leur pays où 45 millions de personnes vivent sans couverture médicale, les études pour devenir médecin coûtent environ 300 000 dollars.
Certains estiment que cette aide « humanitaire » ne serait qu’une manœuvre de communication, un « investissement » permettant au gouvernement de La Havane de récolter des appuis diplomatiques inattendus face à l’hostilité persistante des Etats-Unis. Ils peuvent noter, par exemple, que l’élection de Cuba au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, créé en mars 2006, a été acquise, lors d’un scrutin secret, avec le soutien d’au moins 96 des 191 Etats membres de l’ONU (alors que, dans le même temps, les candidatures du Nicaragua, du Pérou et du Venezuela, où le pluralisme politique est respecté, n’avaient pas été retenues). Cela étant, un diplomate occidental est bien obligé de concéder que l’envoi de médecins cubains à l’étranger constitue « une initiative qui profite à tant de personnes qu’elle devrait être applaudie même par ses ennemis politiques (7) ».