De Lacombe Lucien à Mohamed Merah
L’histoire de Mohamed Merah, cherchant à entrer dans la légion, avant de se perdre et d’assassiner sept personnes après avoir rejoint des centres de recrutement djihadiste, en Afghanistan et au Pakistan nous rappelle étrangement un film de Louis Malle, réalisé d’après un scénario de Modiano, se passant pendant les années noires de l’occupation.
Autre époque, autre lieu, autre histoire, mais pas si différente que ça pour ce qui est des hommes.
Lacombe Lucien raconte la dérive d’un jeune homme en mal d’engagement, cherchant à rentrer dans la résistance. Se voyant opposé un refus, il rentrera dans la milice.
Voilà dressé en quelques grands traits grossiers la trame psychologique de ce drame.
Si le mythe est un récit qui se veut représentatif et explicatif d’une pratique sociale,alors « Lacombe Lucien » est un bien un récit mythique, universel, catharsis de sens et d’interrogation.
Cette histoire éternelle nous montre comment à certains moments de crises, par le jeu des hasard et des rencontres, de jeunes hommes influençables peuvent franchir un seuil de non retour, jusqu’à les pousser dans une fuite en avant fanatique et meurtrière.
Bien sûr cela ce fera souvent par degrés d’incorporation et de manipulation successifs, sans parler de l’abandon des acteurs à leurs nouveaux maîtres.
Résumé du film :
Lucien Lacombe mène une vie tristement médiocre. Il fait des ménages dans un hospice. Il tente bien de rejoindre le maquis, mais se voit opposé un refus par l’instituteur qui le dirige. Il va alors donné le nom de celui ci aux miliciens, alliés des allemands. Le voilà maintenant avec un rôle, une arme, et il va jouir du pouvoir qui lui est conféré. C’est un exécutant zélé, fier de se voir accorder une importance, et qu’on lui demande des choses. La grande habileté du réalisateur consiste à montrer comment par glissements successifs, de taches anodines à d’autres de moins en moins équivoques, Lucien devient de façon non réfléchi, le petit soldat endoctriné d’une idéologie d’oppression qu’on pourrait nommer l'horreur « normalisée »
En 1954, Louis Malle fait la rencontre de Pierre-Antoine Cousteau , le frère du célèbre commandant : Il est frappé par le discours doctrinaire et monstrueux de cet ancien collabo finalement libéré de prison. Plus tard, au cours d’un reportage en Algérie, il approche un jeune aspirant, plutôt timide et gentil. Pourtant il se rend rapidement compte que celui-ci est officier de renseignements, et chargé des tortures. Là encore, il se trouve confronté à un discours d’autojustification qu’il juge délirant et effrayant.
Encore plus tard, en 71, il aura le projet d’un film, exploitant cette idée de banalité du mal, lié au hasard des rencontres, et de la jeunesse d’acteurs influençables, par la connaissance de l’affaire des halcones, au Mexique. Les halcones étaient des jeunes gens souvent perdus et misérables que la police utilisait pour renverser les manifestations d'étudiants. Ces miliciens payés agissaient avec un zèle consternant. Malle a finalement dû abandonner son projet, mais, rentré en France en 1972, il transpose celui-ci sous l'Occupation, dans le Lot, où il possédait une maison.
A travers plusieurs séquences, Louis Malle nous montre le contexte psychologique et social : Lucien est jeune, bourré de complexes, il fait croire qu’il est étudiant, puis devient violent quand le mensonge est patent : la jouissance violente du pouvoir est la seule solution que Lucien trouve face à ses frustrations. Plus tard, il tue un oiseau pour oublier un temps son travail d'homme de peine à l'hospice, ou encore, il massacre des lapins tout aussi gratuitement, à la moindre contrariété. Le père est absent, et manifestement, le jeune homme cherche un substitut, à travers d’abord le personnage de l’instituteur.
Simple petite frappe, le hasard des rencontres d’abord, puis le jeu des événements porte au pire ce personnage sans consistance. Une arme en bandoulière, et voilà que sa jouissance va s’en trouver exacerbée. Le film ne permet jamais d'enlever à Lucien la responsabilité de ses actes. La bêtise et la cruauté du personnage souligne ses traits pervers, jusqu’au boutisme. Il n’a aucun d’état d’ame, et descend les hommes aussi facilement que les lapins du début de l’histoire : L’auteur donnant à travers ce petit fait tout de même l’idée d’une certaine prédisposition au mal, ou en tout cas, une fascination à infliger la souffrance. Une fois lancé, il reste entier, et refuse obstinément tout « rachat » et il s'obstine dans le sadisme malgré la proposition d’un résistant arrêté.
C’est l’homme type dont nous parle Anna Arendt, quand elle nous parlait de la banalité du mal, après avoir vu le procès Eichman, ce tortionnaire nazi jugé par les israéliens au début des années soixante.
Des gens tristement et abominablement ordinaires, sans doute il y en a des tas dans chaque guerre. Certains seront simplement plus zélés que d’autres, tant ce genre d’événement et d’embrigadement centrifuge les passions, les faiblesses, dans des cocktails qui peuvent s’avérer hallucinants d’engagement inconditionnel et de férocité.
Cette jihad hallucinée dans laquelle s’est lancé Mohamed, endoctriné après ses passages en Afghanistan et au Pakistan, il l’a sans aucune doute vécu comme une guerre, et lui même s’est hissé naturellement au rang de combattant. Dés lors, que le cocktail est préparé dans le tube à essai, il produit d’une époque à l’autre les même résultats.
Je n’épiloguerais pas longtemps sur la façon dont ce jeune homme sans travail, au père absent, sortant de prison, a pu prendre pour argent comptant les divagations de quelques intégristes auquel il s’est converti, en échange d’une arme, d’un entraînement, d’une foi caricaturée, recette primaire à sa vie, et d’un sens vers lesquels il allait pouvoir orienter ses pulsions les plus morbides, croyant pouvoir s’exonérer des lois humaines les plus sacrées, tuer sauvagement des innocents, qui plus est, des enfants.
De tous temps, ces gens ont su exploiter le potentiel et les difficultés existants en pré disposition à cet age de tous les dangers. Quand il s’agit de faille béante, le travail est d’autant plus facile.
Les jeunes gens font les têtes brûlées les plus faciles. Les gamins fanatisés de quatorze ans envoyés le front par Hitler, dans les derniers jours du troisième reich, se battirent souvent jusqu’à la mort, inconscients des enjeux, de la manipulation, et du détournement de leurs enthousiasme et de leur force vive.
Plus d’un homme, sans aller jusqu’à ces dérives sanglantes ultimes, se souvient parfois en frissonnant, alors qu’il a pris des années, que lui aussi a bien failli faire des « bêtises » et mal tourner…Chez Georges Simenon, ce traumatisme d’avoir échappé de peu au pire, après qu’il ait flirté avec des gens « peu recommandables », lui fournira au fil des années, matière à développement romanesque .. ( Pedigree, les trois crimes de mes amis, le pendu de saint Pholien……)
Heureusement, le pire n’est jamais sûr, en tout cas pas jusqu’à ce scénario effrayant, inédit.
Le parallèle entre ces deux affaires et d’autres à d’ailleurs ses limites, liées aux temps et aux époques, mais on peut voir malgré tous bien des convergences.
Bien des jeunes s’ils font des mauvaises rencontres, en font aussi d’étayantes. Sans nier leur responsabilité dans les événements où ils font corps, la société a tout autant intérêt à se substituer à ces bons référents, ou résilients, au cas où ils manqueraient, et permettre à chacun d’entrevoir un espoir de solidarité, de fraternité, et d’égalité, idéaux républicains qui commencent un peu à sonner creux.
Ceci dit sans aucun angélisme. Bien au contraire. Je parle en réaliste.
Car se évidemment ce genre d'événement ne peut rencontrer d'ambiguité d'opinion au niveau du rejet des valeurs barbares et du crime, en même temps que la condamnation de tous ceux qui ont influencé son auteur ; on ne peut le mettre à l'écart d'une tentative de compréhension.
Et ainsi de déminage de cette bombe.
Car la misère sociale, la tribalisation, le déclassement, et le manque de projection font le terreau de tous les fanatismes.
Agoravox