De Mégara à Wall Street

Publié le par sceptix

De Mégara à Wall Street

  
  
Les plus connues se nomment Xe (anciennement Blackwater), DynCorp International ou MPRI. Dirigées le plus souvent par d’anciens militaires, elles réalisent chaque année un chiffre d’affaires de 200 milliards de dollars, soit environ 145 milliards d’euros (à peu près 4 fois le budget de la Défense en France) : ce sont les sociétés militaires privées, les multinationales des mercenaires du XXIe siècle.
  
La profession est bien sûr fort ancienne, l’emploi de mercenaires ne datant pas d’aujourd’hui : il suffit de relire Salammbô pour constater que leur « usage » constituait la manière « normale » de faire la guerre jusqu’à la naissance des États-nations, aux XVIIIe et XIXe siècles. À ce moment-là, les citoyens deviennent soldats, pour le meilleur comme à Valmy… ou pour le pire quand on songe à la boucherie que fût la guerre de 1914-1918.
  
  
Des barbouzes…
  
Les États ont toujours détesté se « salir les mains » dans des « actions extérieures » où ils ne souhaitent pas se trouver « piégés » ou officiellement engagés. D’où le recours, surtout durant la guerre froide, à quelques troupes de mercenaires dirigées par leurs services secrets pour réaliser un coup d’État ou « orienter » la destinée de plusieurs pays, notamment en Amérique latine ou en Afrique.
  
Pour être détestables et condamnables, ces procédés n’en restaient pas moins limités en « volume » : de la tentative ratée de renverser Fidel Castro aux barouds d’un Bob Denard aux Comores en passant par le coup d’État contre Allende au Chili, on oscillait constamment entre les méthodes de barbouzes et celles des pieds nickelés.
  
  
… à la guerre as a business
  
Cette époque d’« amateurs » est désormais révolue. L’abandon de la conscription et la professionnalisation des armées d’une part, l’immixtion des méthodes de gestion du privé (variabilisation des coûts, recherche d’un retour sur investissement le plus élevé possible…) dans la sphère publique d’autre part, sans oublier le lobbying forcené du secteur militaro-industriel, ont complètement changé la donne : place à la privatisation, à la sous-traitance, à un nouveau business model de la guerre.

Le véritable « décollage » de ces armées privées date de la guerre en Irak et de la volonté du couple Bush-Cheney de donner des gages (et des bénéfices !) à ce qu’Eisenhower appelait déjà, en 1961, le « complexe militaro-industriel ». Dans son dernier discours, il y a près de 40 ans, il soulignait que « nous devons nous prémunir contre l’influence illégitime que le complexe militaro-industriel tente d’acquérir, ouvertement ou de manière cachée. La possibilité existe, et elle persistera, que cette influence connaisse un accroissement injustifié, dans des proportions désastreuses et échappant au contrôle des citoyens… Seuls des citoyens avisés et informés peuvent être conscients de la toile d’influence tissée par la gigantesque machinerie militaro-industrielle… »
  
Vision prophétique de la part d’un Président républicain, qui se révèle aujourd’hui parfaitement exacte : les États-Unis et le Royaume-Uni ont tracé la voie d’un « accroissement injustifié » de l’influence du complexe militaro-industriel en « externalisant » la guerre pour le plus grand profit de ce même complexe. Pour faire passer la pilule au bon peuple, un argument-massue : les décès des mercenaires n’apparaissent pas dans les pertes officielles des armées nationales… Un moyen supplémentaire pour dissimuler la réalité et l’impact des conflits auprès des citoyens.
  
  
Les effets pervers
  
Citons-en deux, particulièrement dangereux et délétères :

• en sous-traitant des actions et tâches de plus en nombreuses à des sociétés de mercenaires, les États ont mis le doigt dans un engrenage fatal : ces sociétés détiennent autant – sinon plus – de renseignements et de savoir-faire que les États et peuvent désormais proposer des « solutions complètes » : recherche de renseignements, scénarios stratégiques puis mise en œuvre du scénario retenu, incluant logistique, présence sur le terrain…
  
En résumé, on peut aujourd’hui acheter la guerre « clés en mains », à condition d’avoir les moyens de se la payer. Dans ce contexte, les multinationales de mercenaires, acteurs « en pointe » du complexe militaro-industriel, ont les moyens d’influer très fortement sur les décisions des États et des organisations de défense internationales (OTAN notamment), participant ainsi à un mouvement général qui renforce le pouvoir des TGE (très grandes entreprises) au détriment des États (voir en ce sens Le monde selon Picsou et Sic transit).
  
La décision de Sarkozy de réintégrer la France dans le commandement intégré de l’OTAN (voir OTAN : tout ce qu’on vous cache) permet donc, indirectement, aux sociétés de mercenaires de « placer leurs pions » pour que, le moment venu, la France suive à son tour « l’exemple » anglo-saxon.

• second effet pervers : l’intérêt des multinationales de mercenaires est de multiplier les conflits et les tensions, quitte à les susciter, non de les résoudre. Quand la guerre est un business, la paix est une ennemie. Toute la stratégie des MPRI et autres Xe consiste donc à prolonger les conflits, à les aggraver si nécessaire et si possible, afin d’augmenter leurs profits.

Le retour du mercenariat sur une grande échelle est donc un élément de plus qui caractérise l’entrée de notre société dans un « nouveau Moyen Âge », abordée dans plusieurs billets. La force armée étant liée au pouvoir financier par une courroie de transmission de plus en plus directe, les multinationales de mercenaires sont un outil de plus dans la « panoplie » des moyens d’action des TGE pour faire évoluer les relations internationales dans une direction conforme à leurs intérêts financiers. Quant aux affaires intérieures, on peut craindre qu’une solution semblable – la mise en place de milices et polices privées – ne soit retenue par ces mêmes TGE pour tenir en laisse les citoyens.
  
  
Lundi
Source : © La Lettre du Lundi 2010

PS de l'Admin :

Le département d’État américain vient de conclure un contrat de 10 milliards de dollars avec des « sociétés de mercenaires » : http://www.wired.com/dangerroom/2010/10/exclusive-blackwater-wins-piece-of-10-billion-merc-deal/

 

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Publié dans OTAN-défense - ONU

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