"Dormez tranquilles, citoyens et justiciables, notre justice est exemplaire. Mieux, elle s’auto-améliore !" Serge Portelli

Publié le par sceptix

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Serge Portelli

29.10.2010

Le procureur Courroye, un grand précurseur

Tous les siècles ont connu des magistrats qu’on dit parfois “grands” et qui, en tout cas, ont marqué leur époque et leur métier. Ils étaient parfois modestes comme le “bon juge Magnaud”, président du tribunal de Chateau-Thierry: à la fin du XIXe siècle, il relaxa une jeune fille-mère, affamée de deux jours, accusée d’avoir frauduleusement soustrait un pain chez un boulanger que le magistrat indemnisa lui-même. Il reste le modèle d’une justice humaine et indépendante. D’autres étaient plus huppés, comme René Cassin, vice-président du Conseil d’Etat puis vice-président et président de la cour européenne des droits de l’homme: son apport fondamental à la construction et à la diffusion des droits de l’homme n’a pas à être rappelé. Il reste le modèle du défenseur des libertés.

Notre siècle connaît un magistrat à la forte personnalité dont le nom est aujourd’hui presque universellement connu, le procureur Courroye. On lui doit une merveilleuse invention qui risque de faire recette dans un siècle obsédé par l’évaluation et la performance: l’auto-évaluation médiatique. Certainement lassé par les critiques incessantes de la presse, des syndicats, des politiques... portant sur sa gestion originale du dossier Bettancourt, ce magistrat innovant a eu le courage de s’adresser directement aux médias et d’oser dire dans une interview au Figaro tout le bien qu’il pensait de lui-même. Son travail, risque-t-il, est “un modèle du genre en matière de rapidité et d’efficacité”; il a “accompli un travail considérable” et a été “pointilleux” sur le respect du secret des sources des journalistes.

Le public ignore peut-être que les magistrats, procureurs compris, sont notés, comme n’importe quel fonctionnaire, comme n’importe quel élève. Ils subissent une grille de notation dans laquelle on relève notamment les rubriques suivantes. “Bon sens et jugement..., force de caractère et maîtrise de soi..., capacité d’écoute et de jugement..., esprit d’initiative.., esprit de synthèse..., puissance de travail et efficacité..., aptitude à constituer et à conduire un dossier..., relations professionnelles avec les magistrats..., capacité à représenter le service, la juridiction ou l’institution judiciaire”.

Il est certain que les appréciations élogieuses que le procureur de Nanterre porte sur l’activité du chef du parquet des Hauts de Seine lui vaudront non seulement la considération de sa hiérarchie mais une promotion bien méritée. Mais là n’est pas la question. L’idée de génie de ce magistrat est de rendre publique cette évaluation et de remplir sa propre grille de notation dans un grand quotidien national. La notation des magistrats est d’ordinaire un exercice mystérieux, souvent taxé d’arbitraire et qu’on dit gros de calculs inavouables. Comme toute appréciation professionnelle elle charrie médisances, jalousies, rancoeurs, doléances sans fin. Face à ce casse-tête déontologique et humain, il fallait de l’audace pour, d’un coup double, tenter l’auto-évaluation et surtout, abolissant tout secret, risquer la publication et braver l’opinion publique.

Nulle doute que cette audace fera des émules et simplifiera la tâche d’une hiérarchie toujours timide. Cette révolution sera surtout du meilleur effet pour l’image toujours un peu défaillante de la justice. Qui ne se réjouirait de voir les magistrats réserver régulièrement quelques colonnes d’une presse si critique, pour redorer leurs blasons et tresser des lauriers qu’on leur distribue si chichement?

Cette révolution est d’autant plus indispensable qu’elle pallie une autre insuffisance du système actuel de notation des magistrats. Elle permet d’affirmer sa farouche indépendance et son attachement indéfectible aux libertés. La public l’ignore aussi: la fameuse grille de notation des magistrats a complètement oublié de mentionner ces deux qualités pourtant essentielles. On aurait pu penser que la mission du magistrat livrée par la constitution (article 64: “l’indépendance de l’autorité judiciaire” et article 66: “L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi”) trouverait sa traduction dans l’évaluation officielle. Mais, dans un fâcheux moment de distraction, le merveilleux inventeur de la grille l’a oublié. Il ne reste donc aux magistrats que deux moyens pour faire valoir ces deux vertus cardinales. Le premier est la décoration. Il est bien vrai qu’aujourd’hui, comme hier, légion d’honneur ou ordre du mérite ont toujours permis de couronner dans le corps de la magistrature des carrières vibrantes d'indépendance et portant haut le flambeau des libertés. Le procureur des Hauts de Seine en est l’un des meilleurs exemples. L’autre moyen est donc l’auto-proclamation, nécessairement promise à un brillant avenir, à Nanterre ou ailleurs.

Dormez tranquilles, citoyens et justiciables, notre justice est exemplaire. Mieux, elle s’auto-améliore

 

Serge Portelli

 

Serge PORTELLI, magistrat, est actuellement vice-président au tribunal de grande instance de Paris. Il préside la 12ème  chambre correctionnelle. Âgé de 57 ans, il est entré dans la magistrature en 1973 et a exercé successivement ses fonctions à Melun, Créteil puis, depuis 2000, Paris. Avant d’être président de chambre, il a été juge d’instruction, (doyen à Melun et Créteil) et président d’une Commission d'Indemnisation des Victimes d'Infractions. Comme juge d’instruction, il traitait aussi bien les affaires de mineurs que des affaires économiques et financières (l’affaire de Didier Schuller et de l’Office Public des HLM des Hauts de Seine par exemple). Il a été de novembre 2001 à juin 2002, conseiller du Président de l’Assemblée Nationale pour la justice, l’intérieur, les droits de l’homme et les questions juridiques. Il est aujourd’hui membre du Syndicat de la Magistrature dont il  est délégué syndical au Tribunal de Paris et membre du Conseil d’administration de plusieurs associations telle que Droit et Démocratie.

Parallèlement à sa carrière judiciaire, Serge PORTELLI poursuit une activité d’enseignement. Il a été notamment pendant 14 ans maître de conférences à l'Institut d'Etudes Politiques de PARIS, pendant 4 ans chargé d’enseignement à l’Université de CAEN, et, depuis 1995, il assurait la direction de plusieurs sessions de formation continue à l’Ecole Nationale de la Magistrature (les atteintes graves à la personne, les techniques d'entretien judiciaires, la responsabilité pénale des médecins). Il est actuellement, et depuis 1995, enseignant à Ecole de psychologues praticiens (Psychoprat, dépendant de l'Université Catholique de PARIS ). Il anime régulièrement des sessions de formation ou des séminaires en France ou à l’étranger notamment sur le thème de l’interrogatoire et des techniques d’entretien, des victimes, de la procédure pénale.

Il a été entendu plusieurs fois par la Commission des lois de l’Assemblée Nationale lors de l’élaboration de lois concernant la procédure pénale ou les victimes. En  2003 il a été entendu comme expert à Conférence de consensus organisée par la Fédération française de psychiatrie sur la prise en charge judiciaire des enfants victimes d’abus sexuels.

Serge PORTELLI est l’un des signataires de l’appel sur le numérus clausus (il a participé à la réunion de lancement à Lyon). Il est membre du conseil d’administration de L’APCARS (association qui procède aux enquêtes de personnalité dans les tribunaux parisiens), de Paris Aide aux Victimes (association d’aide aux victimes) et de Droit et Démocratie au sein de laquelle il a participé à l’organisation de plusieurs colloques   (décembre 2005, “état d’urgence, état de droit?” à la Maison du Barreau à Paris; mars 2006, “Outreau, l’horreur judiciaire”, mars 2006, Mairie de Paris; “l’indépendance de magistrats à ‘épreuve de leur responsabilité”, avril 2006, Sénat; “en finir avec la torture” mai 2007, Maison du Barreau; “la justice des mineurs au péril de la récidive” en juillet 2007; “La folie en jugement”, novembre 2007, Maison du Barreau). Il participe par ailleurs aux travaux de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme.


PUBLICATIONS


- " Création et Prison" , Edition de l'Atelier, 1995
- “Justice et psychiatrie, normes, responsabilité, éthique”, Collectif sous la direction de Claude LOZOUN et Denis SALAS, 1998, Erès
- “Enfants victimes de violences sexuelles: quel devenir?”, Collectif sous la direction de Carole DAMIANI, Hommes et Perspectives, 1999
- “Traité pratique de l'instruction”, SOFIAC, Directeur scientifique de la publication depuis 2000
- “L’interrogatoire”, SOFIAC, septembre  2001 avec Sophie CLEMENT.
- “Les droit des victimes”, DALLOZ, septembre 2003, réédition 2007, en collaboration avec le Docteur Gérard LOPEZ et Sophie CLEMENT.
- “Conséquences des maltraitances sexuelles, reconnaître, soigner, prévenir”, Collectif sous la direction de Nicole HURASSIUS et Philippe, 2004, John Libbey, Eurotext, (Conférence de consensus organisée par la Fédération française de psychiatrie les 6 et 7 novembre 2003).
- “Traité de démagogie appliquée”, Editions Michalon, mai 2006
- “Nicolas Sarkozy: une République sous haute surveillance”, L’Harmattan, mai 2007
- “Récidivistes, Chroniques de l’humanité ordinaire”, Grasset, mars 2008
- “Bloc-notes sur la justice”, magazine Culturedroit, depuis 2006

 

Source : Chronique de l'humanité ordinaire

 

Et si vous ne l'avez pas encore entendu : S. Portelli, paroles de résistance (plateau des Glières) :

A ÉCOUTER, MÉDITER, DIFFUSER ET A NE PAS OUBLIER


Publié dans justice & police

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<br /> <br /> Merci pour cette information qui me confirme l'état affligeant de la justice actuellement.<br /> <br /> <br /> <br />
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