Éléments de langage et réalité

Publié le par sceptix

 

La réforme des retraites est une “réforme juste” car “l’effort est partagé” pour “sauver le régime de retraite par répartition” auquel “les Français sont attachés“… Voilà quelques motifs obligés de la communication gouvernementale, ces fameux éléments de langage que chaque porte-parole intègre dans sa propre rhétorique et que les médias reprennent à l’envi, jusqu’à ce qu’ils s’inscrivent comme des évidences de bon sens dans la conscience collective. Ou non… car, si tel est bien leur but, l’effet de saturation est parfois contreproductif. 

Cette réforme serait “juste” car, selon leurs dires, elle partagera l’effort entre le capital et le travail.  Certes les hauts revenus vont être touchés — effleurés serait un terme plus exact ; ainsi les 3 milliards de stocks options exonérés de cotisations sociales seront réduits à… 2,93 milliards et les 25 milliards d’exonération de la part patronale des cotisations seront ramenés à 23.  Le capital et les hauts revenus contribueront donc en tout pour 4,4 milliards, mais l’essentiel du poids de ladite réforme pèsera sur le travail  qui devra fournir 22,6 milliards.  Voilà ce que dans la novlangue Sarkosyenne, on appelle “justice sociale” !  L’économiste néo-sarkozyste Jacques Attali, qu’on ne risque pas de soupçonner d’antilibéralisme, déclare lui-même : L’âge de la retraite détermine la classe sociale qui paie la retraite. Plus l’âge de la retraite est bas, plus les classes élevées paient la retraite. Si l’âge augmente, ce sont les ouvriers qui paient” (émission de Public Sénat du 11 juin 2010).

Ce serait justice aussi d’aligner la cotisation des fonctionnaires sur celle du privé, disent-ils, la bouche en cœur.  En oubliant seulement que la cotisation du privé inclut un régime complémentaire dont ne bénéficie pas la fonction publique et qu’en substance, comme la pension des fonctionnaires est versée directement par l’État, cela revient tout bêtement à baisser leur salaire.  C’est vrai, comme le veut un autre segment de cette novlangue que “tous les autres le font, nous ne pouvons pas être la seule exception: gel des salaires, réduction ou suppression des 13ème mois (qui ne sont pas du luxe au vu des bas revenus) en Grèce et en Hongrie, réduction de 5% des salaires dans l’Espagne du “socialiste” Zapatero, de 7% en Irlande, naguère paradis libéral, et jusqu’à 15% en Lettonie où l’on applique consciencieusement les recettes libérales du bon docteur Strauss-Kahn : c’est le dogme du moins d’état, de la réduction du déficit, et partout, les fonctionnaires, qu’on prétend privilégiés et qu’on oppose au reste de la population, sont les premiers à trinquer : diminution des effectifs, baisse des salaires.  Je parlais des retraites, je glisse aux méfaits de l’eurolibéralisme ; ce n’est pas un hasard, juste une anticipation de la suite de mon propos.  mais revenons à la réforme présentée hier.

Un autre argument gouvernemental est que la situation des salariés usés par leur boulot est désormais prise en compte : ils continueront à partir à 60 ans, les veinards !  Mais pas tous ! il ne s’agit pas d’appliquer cette grande mansuétude à tous ceux qui sont astreints à des travaux usants, non, surtout pas de droit collectif. Ce n’est pas en fonction de la dureté de la tâche que ce privilège leur sera accordé, mais au cas par cas : il faudra que la pénibilité de la vie professionnelle ait déjà déterminé une dégradation de leur état de santé se traduisant par un taux d’incapacité égal ou supérieur à 20%.  Bref, il ne s’agit que de constater les dégâts déjà faits.  Cette mesure ne concernerait qu’environ 10 000 personnes par an, alors qu’on relève 20 000 nouveaux cas de cancer professionnel !

Mais, disent-ils, cet ensemble de mesures permettra de sauver le système par répartition auquel les Français sont attachés… ce dernier petit segment, histoire de donner à croire qu’ils prennent en compte les souhaits du bon peuple.  mais qu’en est-il ?  41,5 annuités, départ à 62 ans, taux plein à 67 alors que le taux d’emploi des seniors n’est que de 80,5% entre 50 et 54 ans, tombe à 56,3% pour les 55-59 ans et n’est que de 16,3% pour les 60-64 ans: le seul résultat prévisible est une baisse générale des pensions et par conséquent —et pour ceux qui le pourront— le recours inévitable à de plus en plus de capitalisation pour bénéficier d’une vieillesse décente — cela fait si longtemps que les marchés lorgnent sur les masses financières que draine notre système de protection sociale !   Comptons sur eux, une fois qu’ils auront entrouvert la porte, pour y coincer un pied, savoir, avec détermination, gagner du terrain, et finalement se substituer au système par répartition qu’on aura rendu délibérément incapable de faire face aux besoins.  Quant à la protection des fonds de pensions, on en a eu quelques exemples : souvenons-nous d’Enron dont la faillite a mis sur la paille des milliers de retraités américains, et pensons à ce qui va advenir aux seniors britanniques : 17 % des revenus des fonds de pensions anglais sont constitué par les dividendes de BP…  Ils omettent juste de rappeler que si les français sont bien attachés au système par répartition, ils le sont aussi au départ à 60 ans, comme le révèle encore un sondage publié aujourd’hui (CSA-Le Parisien) : 60% désapprouvent le recul !

Bref, cette réforme est injuste, impopulaire, ne sauve en rien le régime par répartition et de surcroît sera inefficace car elle contribuera à tarir la consommation intérieure ce qui ne peut guère favoriser l’emploi, alors que l’équilibre en 2018 ne pourrait être atteint qu’avec une croissance suffisante et moins de 6,5% de chômage…

Pourquoi tout à l’heure ai-je évoqué l’Europe dans cette affaire ?  La crise grecque, la menace sur l’Euro, allez-vous me dire, rendent nécessaires des mesures de rigueur… Même si ce dernier mot est un tabou des fameux éléments de langage. Eh ! bien non !  Ce ne sont que des prétextes.  On nous présente un certain nombre de mesures comme les suites obligées de la crise grecque, c’est un mensonge ! Si l’Allemagne met en place un plan d’austérité drastique et décrète 80 milliards d’économies d’ici 2014, si la France s’apprête à pire encore (sans oser le mot “austérité” toutefois…) en annonçant 100 milliards dans le même délai, c’est en fait un plan de longue date : dès le 28 avril 2009, la commission européenne avait adressé des “recommandations” de gel des dépenses publiques ; en février et novembre 2009, elle avait lancé des procédures de déficit excessif (dernière étape avant sanction) pour 15 pays dont la France sur les 27 et en janvier 2010, elle a mis en doute le plan français, recommandant 3 axes de réduction : le budget de l’Etat, celui des collectivités territoriales et la protection sociale.  Cette fois, on y est : la tare est au cœur du modèle européen actuel dont la nouvelle étape est d’institutionnaliser le libéralisme en soumettant les budgets nationaux à l’examen préalable de la commission de Bruxelles, voire en constitutionnalisant la lutte contre les déficits.

Ici et maintenant, la vraie lutte est celle pour la défense des retraites et toute la gauche, sans exception, devra se retrouver dans la rue le 24, nouveau jalon d’une mobilisation qui devra mettre un coup d’arrêt au projet gouvernemental à la rentrée.  Et pour cela, pas une énergie de gauche ne doit faire défaut.  Au-delà de ce projet, l’autre urgence est combattre le modèle actuel de construction européenne reposant sur la dépendance totale aux marchés financiers, sur la mise en concurrence des peuples et sur le déni de démocratie et de souveraineté populaire : on ne peut pas se dire de gauche et ne pas être de ces combats-là!

Source : http://contrepoint.org/wordpress/?p=2027

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