Geppino, 11 ans, payé 2 euros de l'heure

Publié le par Charlotte sceptix

La Repubblica révèle un phénomène grandissant dans le sud de l'Italie : le travail des mineurs. Portrait de Geppino, "apprenti" à plein-temps dans une imprimerie.

11.10.2011 | Conchita Sannino | La Repubblica

 

De Naples - "L’école ? C’est pour les mioches. Geppino "tête brûlée" te défie des yeux. Pour ce Pinocchio à l’envers, l’école est clairement réservée aux petits. Il a troqué ses manuels scolaires contre des journées autrement plus dures et ne croit pas aux miracles. "Qu’est-ce que je sais faire comme métier ? Tout ce que tu veux. Du moment qu’il y a du travail", dit-il en lançant d’un air bravache des regards d’adulte. Son rire fuse. Un rire nerveux, inquisiteur, de défense. Nom : Giuseppe, dit Geppino. Age : 11 ans. Un des 60 000 disparus du système scolaire en Campanie, la région de Naples. Peau olivâtre, mains fines. Un fichier parmi les dossiers noirs de l’éducation. "Apprenti" dans une imprimerie de l’arrière-pays. Baskets Nike orange et jeans de marque. "Seul mon tee-shirt est chinois, le bon je le porte le samedi pour pas le salir de sueur." Geppino gagne 150 euros par semaine. "Plus quelques pourboires, si je fais des livraisons." Ses collègues sont son unique famille. Il ne veut pas parler de sa mère. Son père, ancien routier, est en prison, condamné pour escroquerie. Le fils se souvient l’avoir accompagné de la banlieue de Naples au front de mer de Riccione, une station touristique branchée du littoral adriatique.

"C’était marrant de s’arrêter sur les aires de repos avec nos sandwichs. J’aimais bien dormir dans le fourgon aussi. Là-bas, c’est la première fois que j’ai vu autant d’hôtels. Et aussi des rangées de parasols bien droites. Pas comme sur les plages de chez nous où tout le monde rapporte ses chaises." Aujourd’hui Geppino vit chez ses grands-parents à Casalnuovo, une ville de la banlieue de Naples, touchée par les scandales immobiliers : pas moins de 29 immeubles, en partie démolis aujourd’hui, y ont été construits et même vendus illégalement il y a quelques années. Geppino l’imprimeur ressemble à ces immeubles. Victimes d’une amnésie collective, témoins d’une complicité tacite. Combien sont-ils ces "braves garçons" que les familles laissent partir et que l’Etat fait mine de ne pas voir ? Une armée. Naples confirme son statut de capitale. Selon la fondation Banconapoli, 40 000 cas ont été recensés dans la seule aire urbaine.

Mais, en croisant les données de l’ex-registre scolaire régional et des très précaires services sociaux, un scénario plus précis se dessine. "Les mineurs déscolarisés de plus de 14 ans sont environ 52 000 en Campanie", affirme Amelia Cozzolino, ancienne responsable de Suaris, l’ex-Programme de soutien à l’insertion, abandonné depuis un an par la région. Mme Cozzolino poursuit : "Naples et son département détiennent le record d’abandon de l'école dans les tranches d’âge les plus basses : 80 cas confirmés dans le centre-ville, dont plus de 50 enfants qui ont entre 6 et 7 ans. Beaucoup d'entre eux ont un handicap physique ou psychique.

Avec la crise et les coupes budgétaires dans les programmes sociaux locaux, quel sort attend ces "ouvriers" invisibles ? Cesare Moreno, fondateur avec Marco Rossi-Doria de l’école de la rue, se méfie des classifications aux relents folkloriques. "N’allez pas chercher des enfants de 8 ans derrière les comptoirs. Cherchez plutôt l’énorme bataillon des adolescents qui tournent le dos à l’école pour grossir les rangs de l’économie souterraine où celle du crime organisé, parce qu’ils s’y sentent respectés."

Sur un autre front, à La voix des mioches, la fondation de Don Luigi Merola, ancien curé d’un quartier du cœur de Naples, les baby-travailleurs passent quelques heures de détente et de formation. Ergan, 15 ans, d’origine slave, travaille chez un fleuriste pour 160 euros la semaine. Il se lève à 2 heures du matin. Il ne fréquente le collège qu’à ses heures perdues. "J’ai perdu deux ans à redoubler le CM1. J’y allais pour dormir. Je me suis même battu avec une prof." Il vit avec ses grands parents : toile de fond classique des mineurs cramponnés à la patience des anciens. "J’ai un bon patron. Quand je dois travailler la nuit, je commence à 3 heures et je finis à 7 heures. Qu’est-ce que je fais de l’argent ? J’emmène ma copine danser dans les boîtes de Sorrento, et je me fringue."http://www.courrierinternational.com/node/839013 Ghetto de Scampia, rue Fratelli Cervi, à Naples. Dans le virage derrière les fameuses vele [ces barres HLM qui forment une sorte de grand bateau à voiles – décor du film Gomorrah], un espace au nom austère accueille ces enfants : la Mission éducative territoriale. A l’intérieur, 100 inscrits, plus de la moitié étiquetés "cas délicats", comprendre : parents en prison. Antonio a 11 ans. Corpulent, de grandes mains habituées à distribuer des coups, il a enchaîné les petits boulots. "Boulanger, livreur, garçon de café, surveillant de rayons de magasin. Je suis prêt à tout faire, sauf croque-mort." Les éducatrices se dépensent sans compter. "Pourquoi me cacher si je travaille ? C’est pas mieux que de dealer ?" insiste l’un d’eux. Les sirènes de l’"autre" travail, le "système", la Camorra sont envoûtantes. Un "guetteur", chargé de repérer la police, prend 150 euros par jour. Mais ils sont nombreux à se contenter d’un (sous-)travail. Comme Geppino, ils semblent sereins. "Si tu travailles, tu t’en sors", rient-ils.

Courrier International

Publié dans SOCIETE

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P
<br /> <br /> chez nous, les gamins travaillent gratuitement ! Quand tu vois le travail que se coltine un apprenti pour 150 euros.... par mois, comment il est traité.... Bref. Je ne parle pas de tous les<br /> stages gratuits que font les étudiants. Ils bossent comme des pros mais sans gagner un rond.<br /> <br /> <br /> Ce que pense Geppino, c'est ce que pensent la plupart des gamins en Europe. C'est donc un enfant européen et non pas italien... c'est beau l'Europe. Sinon, le coût de la vie en général est<br /> nettement moins cher en Italie et en Espagne. C'est vraiment important. En Espagne, un grand chocolat chaud coûte 1,50 euros dans un bar, Plus de 3,50 euros en France. C'est tout comme ça. Mais<br /> je ne pense pas que les italiens ou les espagnols gagnent trois fois moins que chez nous....<br /> <br /> <br /> <br />
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