La Bosnie au bord de l'effondrement

Publié le par sceptix

Un certain nombre d’articles signalent le danger croissant d’un effondrement de la Bosnie-Herzégovine. Certains parlent de l’éventualité d’une guerre.

En octobre 2008, l’ancien haut représentant pour la Bosnie, Paddy Ashdown et Richard Holbrook, l’actuel envoyé spécial des Etats-Unis pour le Pakistan et l’Afghanistan, avaient mis en garde contre le fait que la Bosnie était une « poudrière » et se trouvait « en réel danger d’effondrement. »

En février 2009, le directeur du renseignement américain, Dennis Blair, a dit au Congrès américain que la survie de la Bosnie en tant qu’Etat multi-ethnique était « sérieusement mis en doute. » Les Accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre en Bosnie en 1995, a poursuivi Blair, avaient « créé un système politique centralisé qui a maintenu au lieu d’éradiquer les préjugés ethniques et les insécurités. »

Le mois suivant, l’International Crisis Group, qui compte parmi ses membres d’anciens présidents, des ministres et des hommes d’affaires, mettait en garde que les Accords de Dayton « font sans doute face à la plus grande menace depuis la fin de la guerre en 1995. »

En mai, le Congrès américain a adopté une résolution sur la Bosnie pour réclamer la nomination d’un nouvel envoyé spécial américain dans la région des Balkans et pour poursuivre la fonction de Haut Représentant, créé par les Accords de Dayton comme responsable proconsulaire exerçant l’autorité en dernier ressort en Bosnie. La résolution en appelait l’Union européenne à revoir ses projets de retrait des troupes européennes de maintien de la paix, EUFOR, qui avaient remplacé celles dirigées par l’OTAN en 2004. En mai également, le vice-président américain, Joseph Biden, s’est rendu aux Balkan en avertissant le parlement bosniaque de ne pas retomber dans « les anciens modèles et les vieilles animosités. »

Le mois dernier, les professeurs Patrice McMahon et Jon Western ont mis en garde dans le magazine Foreign Affairs que 14 ans après la signature des accords, la Bosnie « se trouve au bord de l’effondrement. »

De manière plus sinistre, ils disent que les Bosniaques « une fois de plus parlent de l’éventualité d’une guerre. »

Dans leur article « La mort de Dayton : Comment empêcher que la Bosnie ne s’effondre, » McMahon et Western expliquent que la Bosnie avait autrefois été « la figure emblématique de la reconstruction internationale » en bénéficiant d’une aide financière et logistique qui, comparativement « éclipsait » l'aide reçue par l’Allemagne et le Japon pour leur reconstruction après la Deuxième guerre mondiale

Jusque fin 1996, disent-ils, le pays a été occupé par 60.000 troupes et les efforts de reconstruction étaient répartis entre 17 gouvernements étrangers, 18 agences des Nations unies, 27 organisations intergouvernementales et quelques 200 organisations non gouvernementales. Depuis, le pays a reçu plus 14 milliards de dollars d’aide étrangère, l’équivalent de 300 dollars par habitant par an, contre 65 dollars par personne en Afghanistan. Le gros de cette aide s’est volatilisé. Une enquête a révélé que plus d’un milliard de dollars d’aide, près d’un cinquième de la somme totale octroyée entre 1996 et 1999, a disparu.

En dépit de toute cette assistance, fustigent MacMahon et Western, l’économie de la Bosnie est bloquée et le chômage et la pauvreté prédominent. Le pays reste divisé en deux entités semi-indépendantes créées par les Accords de Dayton : la Fédération de Bosnie-Herzégovine habitée principalement par des Musulmans bosniaques et des Croates bosniaques et la Republika Srpska dominée par les Serbes, chacune disposant de sa propre politique gouvernementale dans les domaines de la fiscalité, de l’éducation et même de la politique étrangère. Une armée bosniaque unique a été créée mais chaque brigade est constituée de bataillons ethniques.

Selon McMahon et Western, le dirigeant serbe bosniaque, Milorad Dodik, est activement engagé dans la voie de la sécession de la Republika Srpska et les politiciens croates bosniaques réclament plus d’autonomie au sein de la Fédération. Haris Silajdzic, le représentant musulman bosniaque au sein de la présidence collégiale, prône un Etat plus centralisé (il existe déjà 160 ministres gouvernementaux) et la dissolution de la Republika Srpska.

Dodik s’efforce de minimiser les mises en garde contre un effondrement et la guerre. Dans une lettre au New York Times (du 21 septembre 2009), il affirme qu’il « n’y a pas de risque de retour à la violence » et que ceux qui lancent des « cris alarmistes » cessent de le faire. Mais dans la même foulée, il se vante que sa Republika Srpska a mieux survécu la tempête financière que la Fédération et que « Nous ne soutenons pas le modèle centralisé que certains au sein de la communauté internationale ont cherché à imposer à la Bosnie Herzégovine. »

Au moment où Dodik écrivait, Rajko Vasic, le secrétaire général du plus grand parti serbe, l’Alliance des sociaux-démocrates indépendants, réagissait aux déclarations faites par le Parti musulman bosniaque d’Action démocratique en disant que les « patriotes de Bosnie » empêcheraient la dissolution du pays comme étant en soi « une menace directe de guerre. »

Nulle part ailleurs la division ethnique n'est plus claire qu’à Mostar, la capitale de la Fédération. La majorité croate vit à présent principalement dans la partie Ouest de la ville et les Musulmans bosniaques à l’Est. Sur les 24.000 Serbes qui vivaient à Mostar avant la guerre, seule une poignée subsiste. De nombreux Croates ont profité de leur droit lié à leur citoyenneté croate pour émigrer en Croatie. Un récent rapport signale que leur nombre a chuté d’environ 820.000 avant la guerre à 466.000 aujourd’hui.

L’administration de la ville de Mostar est en train de se décomposer suite aux tentatives de politiciens croates d’imposer une entité croate à la ville. Ils affirment que Sarajevo est « musulman » et Banja Luka est « serbe », mais les Croates ne disposent pas de leur propre capitale. En conséquence, la ville n’a ni maire, ni budget ou conseil municipal depuis les élections d’octobre 2008. Les salaires des travailleurs municipaux n’ont pas été payés depuis des mois. Les conseillers n’ont 14 fois de suite pu élire de maire ou mettre sur pied des institutions conjointes. A Mostar, même des services de base tels les services d’eau opèrent comme deux structures parallèles, un directeur et un personnel croates supervisent l’approvisionnement du côté croate à l’Ouest tandis qu’un directeur musulman bosniaque assure l’approvisionnement du côté Est de la ville.

La situation en Bosnie est un désastre pour la politique étrangère des Etats-Unis et de l’Union européenne et une tragédie pour les peuples des Balkans. La région des Balkans était censée être l’arène où les Etats-Unis établissaient les règles de base et où l’Union européenne prendrait la relève, en faisant jouer pour la première fois ses muscles après le lancement, il y a dix ans, de la politique de Sécurité et de Défense commune. La principale stratégie de l’UE dans la région a été d’avancer la possibilité d’une adhésion à l’UE mais plusieurs Etats membres de l’UE s’opposent à présent à tout nouvel élargissement du bloc tant que des « réformes » fondamentales n’ont pas été mises en œuvre.

Un nombre croissant de gens s’interrogent dans la région balkanique sur les avantages que peut avoir en période de récession mondiale une adhésion à l’UE. La Bosnie a été obligée de contracter un prêt d’urgence de 1,6 milliards de dollars auprès du Fonds monétaire international. En conséquence, un programme « d’ajustement structurel » sera activé prévoyant davantage de privatisations, de réductions de salaire, de coupes sociales et de réductions des allocations de victimes de guerre, entraînant ce que le FMI qualifie de « malaise public extrême » et d’une menace à « la stabilité sociale. » Et ceci se passe dans un pays où la population endure déjà un taux de chômage 27 pour cent et un taux de pauvreté de 25 pour cent.

Les puissances occidentales sont en grande partie responsables de la division territoriale en régimes basés sur l’ethnie et dominés par des nationalistes. Les Etats-Unis et l’Allemagne en particulier ont délibérément machiné l’éclatement de la Yougoslavie selon des critères ethniques avec une indifférence totale quant aux conséquences tragiques de leur intervention. Il était inévitable, compte tenu de l’histoire et de la politique yougoslaves, que l’éclatement de la fédération en pièces détachées n’entraînât la guerre civile en créant de nouveaux Etats sur une base ethnique et qui sont incapables de fournir une solution progressiste aux problèmes auxquels le peuple des Balkans est confronté, embourbé qu’il est dans la pauvreté, le chômage, la criminalité et la corruption.

La situation crée par les puissances occidentales et les politiciens nationalistes de Bosnie a mené à l’effondrement du soutien accordé aux institutions politiques du pays. Un récent sondage montre que la Bosnie « dépasse de loin tous les autres [Enquête mondiale sur les Valeurs, World Values Survey] pays en voie de transformation » qui font preuve d’« un manque absolu d'intérêt » pour la politique. La plupart des jeunes gens se trouvent « en marge du processus politique, » et près de 80 pour cent de tous les Bosniaques ont le sentiment qu’aucun parti politique ne représente leurs intérêts.

L’incapacité de l’UE, des Etats-Unis et des divers gouvernements fondés sur l’ethnie à résoudre le désastre social dans les Balkans ne peut être surmontée que par la construction d’un parti internationaliste fondé sur la perspective des Etats unis socialistes des Balkans.

(Article original paru le 8 octobre 2009)

WSWS

La Bosnie, membre non-permanent du Conseil de sécurité des Nations unies en 2010 ?
le courrier des Balkans Par notre correspondante en Bosnie-Herzégovine
Mise en ligne : mercredi 14 octobre 2009
La Bosnie-Herzégovine devrait être élue membre non-permanent du Conseil de Sécurité, jeudi 15 octobre, pour un mandat de deux ans. Elle bénéficie du soutien unanime des pays de son groupe régional. Ce serait la première fois que la Bosnie accèderait à cette instance. Plusieurs problèmes se posent toutefois : la situation en Bosnie figure justement à l’agenda du Conseil de sécurité, et la politique extérieure du pays dépend de la présidence collégiale, divisée entre représentant des trois peuples.

Par Nadine Ravaud

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© UN Photo / Paulo Filgueiras

Initialement en concurrence avec la Pologne qui s’est retirée de la course en octobre 2008, la Bosnie-Herzégovine a disposé du soutien de son groupe régional dès le 28 janvier 2009, puis de celui de l’Organisation de la Conférence islamique en mai 2009. Elle est donc théoriquement assurée d’être élue par l’Assemblée générale, mais doit tout de même passer l’étape formelle des votes secrets. Ainsi, les candidats des cinq représentations régionales devront obtenir deux tiers des voix des 192 membres de l’Assemblée générale, soit un minimum de 128 voix, si tous les membres sont présents et prennent part au vote.

Un possible premier mandat pour la Bosnie-Herzégovine

La Bosnie-Herzégovine n’a été « représentée » au Conseil de sécurité qu’en tant que République fédérée de l’ancienne Yougoslavie à quatre reprises (1950-1951, 1956, 1972-1973 et 1988-1989). État membre de l’ONU depuis 1992, ce possible premier mandat au Conseil de sécurité permettrait à la Bosnie-Herzégovine de succéder à la Croatie pour représenter le groupe de l’Europe orientale. Ce groupe comprend seulement 23 membres : c’est donc le plus petit groupe de l’Assemblée générale, mais pourtant celui dont le nombre de membres s’est le plus accru depuis 1991, avec quinze nouveaux membres. C’est une pratique peu courante de parvenir à un consensus sur un candidat unique (« clean slate election ») aussi longtemps avant l’élection elle-même : depuis 1990, six élections sur neuf [1] ont ainsi été contestées.

Ainsi, la Bosnie-Herzégovine a fait des efforts diplomatiques intenses pour s’assurer du soutien d’un maximum d’Etats pour sa candidature, notamment en établissant des relations diplomatiques avec des Etats tels que la République de Djibouti, l’Etat indépendant des Samoa, Saint-Vincent et les Grenadines (mars 2009), avec la République dominicaine (juin 2009) ou le Burundi et le Bénin (septembre 2009), pour ne citer que les plus récents. Elle a fait valoir que son expérience de la transition démocratique post-conflit serait un atout pour le Conseil de sécurité qui gère tant de crises et de conflits majeurs dans le monde. Toutefois, pour remplir pleinement son rôle au Conseil de sécurité, il lui faudra s’assurer que ses problèmes de fonctionnement interne n’auront pas d’incidence sur sa participation effective aux travaux.

Les problèmes majeur du prochain mandat

En effet, c’est avant tout le fait que la Bosnie-Herzégovine se trouve elle-même sur l’agenda officiel des questions discutées par le Conseil de sécurité qui fait débat. En effet, l’article 27 paragraphe 3 [2] de la Charte des Nations unies prévoit que, si un État membre faisant partie du Conseil de sécurité est en cause dans une question discutée, il s’abstient de voter. Cette disposition est parfois appelée « abstention obligatoire », mais n’a en réalité pas de valeur contraignante comme l’illustre le cas du Rwanda suite au génocide de 1994 [3]. Il reste à voir si la Bosnie-Herzégovine jouera le jeu du « conflit d’intérêts » en essayant de manière informelle de décaler les sujets sensibles sur l’agenda du Conseil de sécurité, ou bien si des pressions diplomatiques seront nécessaires pour faire valoir la règle de l’« abstention obligatoire ».

De plus, suite aux accords de paix de Dayton de 1995, la compétence en matière de politique étrangère incombe à une présidence tripartite composée d’un membre serbe, d’un membre croate et d’un membre bosniaque musulman, donc la direction est assurée de manière tournante tous les huit mois. Il faudra donc impérativement que les membres de la Présidence s’accordent pour ne pas laisser paraître leurs dissensions internes : comment réagira-t-elle lorsque des questions comme l’indépendance du Kosovo, le conflit russo-géorgien ou l’extension du mandat du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie seront évoquées au Conseil de sécurité ? Sa position dépendra-t-elle de celui qui exercera la présidence à ce moment-là ?

Il faut noter par ailleurs que, près de quinze ans après la fin de la guerre, le Haut Représentant (OHR) - qui veille à la mise en œuvre des accords de Dayton - peut imposer des lois et démettre de leurs fonctions y compris un membre de la Présidence démocratiquement élu, ce dont il ne s’est pas privé par le passé. Il est certes question de mettre fin au mandat de l’OHR, mais pas avant que toutes les conditions posées par le comité directeur du Conseil de mise en œuvre de la paix (PIC) ne soient remplies. Il est donc souhaitable que la Bosnie-Herzégovine retrouve au plus vite la pleine gestion de ses affaires internes pour pouvoir remplir son rôle au sein de la communauté internationale.

Enfin, rappelons que le mandat 2010-2011 est crucial car trois États membres d’importance (le Japon, le Brésil et le Nigeria) sont particulièrement intéressés par l’extension du nombre d’Etats permanents disposant du droit de véto au Conseil de sécurité. Le Japon et le Brésil font en effet partie du G4 créé en 2004, ainsi que l’Inde et l’Allemagne qui concourent tous deux pour le mandat suivant en 2011-2012. Il reste donc à déterminer comment la Bosnie-Herzégovine va tirer son épingle du jeu en présence de ces poids lourds diplomatiques. Si aucun nouveau candidat n’apparaît à la dernière minute, les neuf membres élus du Conseil de sécurité aux côtés de la Bosnie-Herzégovine seront l’Autriche, le Brésil, le Gabon, le Japon, le Liban, le Mexique, le Nigeria, la Turquie et l’Ouganda.

 

 

 

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