La crise bancaire n’est pas terminée

Publié le par sceptix

 par Paul Krugman

Aussi scandaleux soient-ils, les mirobolants bonus qui ont fait les gros titres la semaine dernière ne doivent pas faire perdre de vue les fondamentaux, avertit Krugman. Les banques d’affaires, dont l’emblématique Goldman Sachs, ont apparemment tiré leur épingle du jeu au troisième trimestre en spéculant grâce aux fonds publics, mais les banques du secteur qui compte vraiment pour l’activité économique, celui du crédit, vont à nouveau mal. Si elles avaient réussi à échapper à la nationalisation au premier semestre en affichant des bénéfices grâce à des jongleries comptables, la réalité de la crise profonde que traversent les Etats-Unis les rattrape aujourd’hui, et Citigroup comme Bank of America ont à nouveau annoncé des pertes. Cette fragilité structurelle d’un secteur indispensable à une reprise économique compromet la reprise, avertit Krugman, qui rappelle par ailleurs que les questions de fond ne sont toujours pas réglées. En l’absence d’une réforme de la finance, les banquiers vont continuer à utiliser cette recette qui leur a si bien réussi jusqu’alors : profits privés, pertes publiques.

Par Paul Krugman, New York Times, 19 octobre 2009

Nous vivons une époque formidable qui est la pire de toutes. OK, ce n’est peut-être pas littéralement la pire, mais elle est très dure. Et le contraste entre le bonheur immense de quelques-uns et les souffrances que continuent de subir beaucoup trop de gens augure mal de l’avenir.

Je parle bien évidemment de la situation des banques.

Si quelques chanceux ont fait les gros titres, le plus grand nombre a ressenti de la fureur devant le spectacle des bénéfices records et des énormes bonus de Goldman Sachs, au moment même où l’hémorragie d’emplois se poursuit dans le reste de l’Amérique, victime d’une crise provoquée par Wall Street.

Mais l’histoire ne se résume pas uniquement à celle de banques florissantes face à des travailleurs en difficulté : les banques dont le métier est le crédit - par opposition aux banques d’affaires - sont toujours en difficulté. En particulier, Citigroup et Bank of America, qui avaient pourtant réduit au silence les partisans de leur nationalisation au début de l’année en affirmant qu’elles avaient renoué avec la rentabilité, affichent à présent - vous l’aviez deviné - de nouvelles pertes.

Si vous interrogez les gens de Goldman, ils vous diront que leurs salaires ne regardent personne en dehors d’eux. Pourtant, comme un critique l’a exprimé récemment : « il n’existe aujourd’hui aucun établissement financier qui ne soit le bénéficiaire direct ou indirect des milliers de milliards alloués par les contribuables pour soutenir le système financier. » C’est bien le cas. Goldman a gagné beaucoup d’argent dans ses activités de courtage, mais elle n’a pu rester dans la partie que grâce aux politiques qui ont risqué énormément d’argent public dans des interventions allant du plan de sauvetage d’AIG aux garanties octroyées sur un grand nombre d’obligations émises par Goldman.

Au fait, qui donc était ce tonitruant critique des banques ? Rien moins que Lawrence Summers, économiste en chef de l’administration Obama - l’un des architectes des politiques bancaires de l’administration - qui était jusqu’à présent plutôt conciliant avec les établissements financiers, et espérait qu’ils se rétablissent.

Pourquoi ce changement de ton ? Les membres de l’administration sont furieux de la façon dont le secteur financier, quelques mois seulement après avoir bénéficié d’un plan de sauvetage gigantesque aux frais du contribuable, déploie un lobbying intense contre toute réforme sérieuse. On peut se demander à quoi ils s’attendaient. Ils ont choisi d’adopter une politique toute en douceur, en octroyant une aide en échange de bien peu de contreparties, lorsque tout Wall Street risquait de s’effondrer. Ce qui ne leur a laissé que très peu d’influence sur des entreprises comme Goldman qui gagnent à nouveau beaucoup d’argent.

Mais il y a plus important. Alors que les opérations de courtage des établissements financiers sont de nouveau extrêmement rentables, l’activité bancaire qui compte vraiment - les crédits qui soutiennent l’investissement et la création d’emplois - ne l’est pas. Les principales banques restent dans une situation financière précaire, et cette faiblesse nuit à l’économie dans son ensemble.

Vous vous rappelez peut-être qu’au début de l’année se tenait un grand débat sur la façon de relancer l’activité de crédit des banques. Certains analystes, dont moi-même, affirmaient qu’au minimum quelques grandes banques avaient besoin d’un apport de capitaux publics, et que la seule façon de procéder était de nationaliser temporairement les banques les plus en difficulté. Ce débat a tourné court après que Citigroup et Bank of America- les maillons faibles du système bancaire - aient annoncé des profits inattendus. Tout allait bien, nous a-t-on dit. Désormais, les banques étaient à nouveau rentables.

Il s’est pourtant passé quelque chose d’étrange sur ce trajet de retour vers un système bancaire solide : la semaine dernière, Citigroup et Bank of America ont toutes deux annoncé des pertes au troisième trimestre. Qu’est-il arrivé ?

Une partie de la réponse tient à ce que ces bénéfices antérieurs étaient en partie le fruit de l’inventivité des comptables. Mais en fait, nous assistons surtout à un retour de bâton de l’économie réelle. Durant la première phase de la crise, Main Street a subi le contrecoup des méfaits de Wall Street. Désormais, c’est l’ampleur des difficultés économiques, en particulier la persistance d’un chômage élevé, qui provoque de lourdes pertes sur les prêts hypothécaires et les cartes de crédit.

Le point clé est celui-ci : La faiblesse persistante de nombreuses banques contribue à prolonger ces difficultés économiques. Les banques restent réticentes à octroyer des prêts, et ce resserrement du crédit, dont souffrent en particulier les petites entreprises, se dresse sur le chemin de la reprise économique vigoureuse nous avons besoin.

Et maintenant ? M. Summers proclame encore que l’administration a fait les bons choix : relever la capitalisation avec des fonds publics, dit-il, n’aurait pas été « une stratégie permettant de résoudre les problèmes. » Quoi qu’il en soit, au plan politique le moment opportun pour une action radicale sur les banques est d’évidence passé.

L’essentiel, pour le moment, est sans doute de faire autant qu’il est possible pour soutenir la création d’emplois. Avec un peu de chance, cela enclenchera un cercle vertueux dans lequel l’amélioration du climat économique renforcera les banques, qui seront alors plus disposées à octroyer des prêts.

Ensuite, il faudra absolument mettre en oeuvre une réforme efficace de la finance. Si tel n’est pas le cas, les banquiers prendront bientôt des risques encore plus grands qu’ils ne le faisaient avant cette crise. Après tout, la leçon de ces derniers mois est très claire : Quand les banquiers parient avec l’argent des autres, face ils gagnent, pile nous perdons.


Publication originale New York Times, traduction Contre Info
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