La Gendarmerie au minitère de l'intérieur

Publié le par sceptix

LA GENDARMERIE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR - Par le Général d’armée (2ème Sion) Yves CAPDEPONT - Ancien major général de la gendarmerie - Ancien inspecteur général des armées

mardi 20 octobre 2009, par Comité Valmy

Cette prise de position du Général d’armée (2ème Sion) Yves Capdetpont, confirme que même dans l’armée, à un haut niveau, certains qui ne sont pas nécessairement isolés, sont inquiets face à une dérive "autoritaire" du chef de l’Etat. Nous avons pensé utile de publier ce texte significatif, qui nous est parvenu. Fleurus.

LA GENDARMERIE AU MINISTERE DE L’INTERIEUR.

Depuis 1536 et François 1er, la maréchaussée, puis la gendarmerie, ont toujours été des forces militaires dotées de compétences de police. Depuis quelques années, on a tendance à considérer la gendarmerie comme une police à statut militaire.

Cette inversion des termes n’est pas sans conséquences et elle devrait se traduire par le passage de la gendarmerie sous la coupe de ministre de l’intérieur le 1er janvier 2009.

Si tel est le cas, la gendarmerie ira rejoindre la police sous les ordres d’une même autorité ministérielle pour la quatrième fois de son histoire, les trois précédents étant le Premier empire, le Second empire pour une courte période, et Vichy.

Le décret de 2002.

En mai 2002, un premier pas avait déjà été fait dans cette direction par un décret disposant que, pour l’exercice de ses missions de sécurité, le ministre de l’intérieur était responsable de l’emploi de la gendarmerie nationale. Ce texte a été présenté par les media comme une grande nouveauté et une commission sénatoriale a même récemment écrit : « depuis 2002, la gendarmerie nationale a été placée pour emploi auprès du ministre de l’Intérieur pour ses missions de sécurité intérieure ». En réalité, cette mesure figurait depuis longtemps dans les deux textes qui règlent le service de la gendarmerie, une loi de 1798 et un décret de 1903, dont les dispositions sont toujours en vigueur. Ces textes précisaient que la gendarmerie avait à répondre aux sollicitations des différents ministres dont, évidemment, le ministre de l’intérieur, dans le domaine de leurs attributions.

Notons au passage que les gendarmes consacrent plus de 30% de leur activité au profit du ministère de la justice et qu’il n’a pas été jugé utile, en 2002, de préciser que ce ministère était responsable de l’emploi de la gendarmerie dans l’exercice de ses missions judiciaires. Les mêmes textes le prévoyaient aussi.

Force est toutefois de reconnaître que cette « fausse nouveauté », associée il est vrai à une volonté politique, a permis de prendre des dispositions qui ont amélioré la coopération et la coordination de la police et de la gendarmerie au niveau des deux directions générales et des offices centraux. Mais les mêmes dispositions auraient pu, et même dû, être prises depuis longtemps en se basant sur les textes existants.

Ce décret a, par contre, eu l’inconvénient majeur de créer une grande confusion car les gendarmes ne savent plus à quel chef se vouer. Ils sont surpris, quand un événement grave se produit dans une unité, de voir deux ministres se précipiter sur les lieux. Ils sont surpris, de la même façon, quand le ministre de l’intérieur est seul à réagir dans les média lorsqu’un gendarme, dans l’exercice d’une mission judiciaire à Draguignan, fait usage de son arme. En effet, il eût été plus logique dans ces circonstances de voir intervenir le ministre de la défense, son chef organique, ou le garde des Sceaux au profit duquel il agissait au moment des faits. Ils sont également surpris quand le ministre de la défense invite les responsables des associations d’anciens élèves des écoles de formation d’officiers pour évoquer avec eux les conclusions du livre blanc sur la défense et la sécurité, en « oubliant » d’associer à cette réunion un représentant de l’association des anciens élèves de l’Ecole des officiers de la gendarmerie nationale.

Un projet de loi.

Le gouvernement veut donc maintenant aller plus loin dans ce que certains policiers appellent déjà l’« absorption » de la gendarmerie, en présentant un projet de loi qui rattachera cette dernière organiquement au ministère de l’intérieur, à compter du 1er janvier 2009. Il ne s’agit plus cette fois d’un simple ajustement technique mais bien d’un réel bouleversement institutionnel.

Cette mesure est réclamée, depuis longtemps et de façon récurrente, par certains syndicats de police qui, malheureusement, ont trouvé des alliés objectifs parmi des officiers de l’armée de terre, exerçant parfois de très hautes responsabilités. En effet, ces derniers remettent régulièrement en cause l’appartenance de la gendarmerie aux forces armées en raison de son engagement principal en sécurité intérieure, ce qui est pourtant le cas depuis plus de deux siècles, et du développement de son format au moment même où les trois armées réduisent leurs effectifs. Comme si la gendarmerie était responsable de l’évolution de la menace liée à la chute du mur de Berlin, au développement du terrorisme et aux besoins de sécurité en nette augmentation.

Des avantages à court terme.

Pourtant, et comme en 2002, les gendarmes verront initialement des avantages dans cette mesure. Ils quitteront un ministère dont le budget sert depuis trop longtemps de variable d’ajustement et dans lequel ils sont en concurrence avec les autres militaires qui les considèrent comme des favorisés, pour aller dans un département où ils rejoindront des policiers avec lesquels, si on en croit le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, ils ont un retard à rattraper. A cet égard, il suffit de constater que la programmation pour les années 2003 à 2007, prévue par la loi relative à l’orientation et de la programmation de la sécurité intérieure (LOPSI), a été réalisée dans son intégralité pour la police et à 80% pour la gendarmerie, soit une annuité qui a disparu.

Des risques à moyen ou long terme.

Mais, comme pour le décret de 2002, il est permis de se demander s’il ne s’agit pas d’une fausse bonne idée, même si on garantit que le statut militaire des gendarmes sera conservé. En effet, l’état militaire ne se limite pas au bénéfice d’un statut mais, bien au-delà, il résulte de l’adhésion à un état d’esprit de service et de disponibilité qui ne peut découler que du sentiment d’appartenance à une communauté. Le ministre de la défense ne déclarait-il pas en 2003 : « La nécessité de la formation militaire des gendarmes est évidemment le corollaire du statut militaire et de l’appartenance de la gendarmerie à la communauté des armées » ?

En clair, un soldat de métier n’est pas un civil en uniforme.

Le risque est donc grand que, dans un ministère unique, le rapprochement des deux forces n’exacerbe leurs disparités, avant de les gommer et de provoquer à terme un rapprochement excessif , voire la fusion souhaitée par certains. Certes, dans son discours du 29 novembre 2007, le Président de la République s’est voulu rassurant en précisant qu’il n’y aurait pas de fusion, mais il a ajouté fort à propos : « En tout cas tant que je serai Président ». Mais que feront ses successeurs ? Ne seront-ils pas poussés, pour des raisons diverses et sous certaines pressions, à franchir le pas ?

Il est bon de rappeler ici que le dualisme des forces de police existe dans tous les Etats démocratiques, sous des formes diverses. Il peut s’agir soit du système « latin », avec deux forces nationales, soit du système « anglo-saxon », avec une force fédérale et des forces régionales. L’existence d’une police unique est généralement la marque des Etats autoritaires, voire totalitaires, sans parler du coût que représenterait le maintien du niveau de sécurité actuel sur la quasi totalité du territoire avec un autre système que celui du maillage de la gendarmerie garanti par le statut militaire du gendarme.

Dans d’autres domaines, la capacité d’intervention de la gendarmerie en milieu hostile ou dégradé est directement liée à son positionnement au sein de la défense, de même que les missions effectuées dans le cadre des opérations extérieures en accompagnement ou en participation des forces engagées. La gendarmerie, par la polyvalence de ses missions, permet d’assurer une continuité entre l’action policière et l’action militaire. Véritable force intermédiaire susceptible d’intervenir en temps de paix comme en temps de guerre, elle apporte une réponse particulièrement adaptée aux crises dont l’ampleur sort du cadre d’action de la police sans pour autant justifier l’intervention des armées . Il serait paradoxal que la France se prive de cette « troisième force », apte à agir dans tout le spectre de la crise, au moment où la gendarmerie est prise pour modèle par de jeunes démocraties qui souhaitent s’en inspirer où sceller des accords de coopération, et alors que la force de gendarmerie européenne vient d’être mise sur pied.

Les relations avec l’autorité administrative poseraient également des problèmes. Les préfets qui agissent actuellement comme des donneurs d’ordres pourraient se comporter comme des chefs hiérarchiques, ce qui remettrait en question les attributions de la chaîne de commandement de la gendarmerie organisée sur un type militaire. Cette évolution serait particulièrement grave dans le cas du maintien de l’ordre où, pour éviter toute dérive, on ne met pas dans une même main le pouvoir de décider et la capacité d’exécuter . Il est donc indispensable de conserver la procédure de la réquisition. Son formalisme obligatoire, même s’il mérite d’être allégé, n’est nullement incompatible avec l’efficacité et il a précisément l’avantage indéniable de dissocier la décision d’emploi de la force et son déploiement effectif, en application d’un principe républicain fondateur. Ne plus l’appliquer pour la gendarmerie contribuerait à la dissocier encore plus des armées et à lui faire perdre une des caractéristiques de son statut militaire.

Que faudrait-il faire ?

Une loi destinée à rajeunir les textes de 1798 et de 1903 est pourtant souhaitée depuis longtemps par la gendarmerie. Mais cette dernière aurait préféré que ce projet ne succombe pas à la tentation de mettre entièrement la gendarmerie entre les mains de l’un de ses employeurs civils. Il faut, au contraire, la maintenir également à la disposition de tous, conformément aux règles traditionnelles de son service qui, sur ces points essentiels, ont gardé toute leur importance. Cette loi pourrait donc affirmer, dès son article premier, l’appartenance organique et budgétaire de la gendarmerie aux forces armées comme force militaire à vocation interministérielle, avant de préciser, dans les articles suivants, les conditions de son emploi par les autres « donneurs d’ordres », en premier lieu intérieur et justice, mais également affaires étrangères, équipement, environnement, etc.

On obtiendrait ainsi le même résultat en matière d’efficacité, sans prendre de risques et en tenant compte des leçons de l’histoire.

Pour mieux affirmer le caractère militaire de la gendarmerie, le texte de loi devrait également pérenniser la présence d’un officier général à la tête de la gendarmerie, par analogie avec les trois armées.

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Un haut fonctionnaire qui connaissait bien la gendarmerie écrivait, il y a quelques années, qu’il serait illusoire de croire que la gendarmerie pourrait garder durablement son statut militaire si elle cessait d’appartenir aux armées et si elle était rattachée à un autre ministère que celui chargé des armées.

Pour éviter tout risque de fongibilité pouvant conduire à terme à la fin du système dual, le rattachement organique de la gendarmerie au ministère de la défense est donc indispensable. Il doit comprendre obligatoirement la gestion des personnels, l’attribution des moyens, l’organisation des unités et, bien évidemment, l’emploi dans les missions militaires sur le territoire national et dans les interventions extérieures.

Si tel n’est pas le cas, il ne reste plus qu’à espérer que l’avenir donnera tort au rédacteur de la présente fiche…ou que le législateur reviendra un jour en arrière, comme il l’a déjà fait à trois reprises dans le passé.

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La même logique distingue les ordonnateurs et les comptables en matière budgétaire.

Publié dans Institutions

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