La taxation à 75% "va finir par faire 'pschitt'"
INTERVIEW - Jérôme Cahuzac, ministre du Budget, a estimé jeudi qu'il "fallait veiller à ne pas contraindre l'économie", avec les 75% d’impôts prévus sur les revenus de plus d’un million d’euros. Ce dernier a évoqué pour la première fois des mécanismes de lissage. Pour Phillippe Bruneau, président du Cercle des fiscalistes, cette mesure "inapplicable en l’état" est en passe d’être "vidée de sa substance".
Quel regard portez-vous sur la mesure phare de la réforme fiscale prévue par François Hollande : la taxation à 75% des revenus de plus d'un million d'euros?
Prenons un peu de recul. Il y a trois grandes mesures fiscales prévues par François Hollande : les 75%, le retour sur l’allégement de l’ISF, et l’alignement de la fiscalité du travail sur celle du capital. Prises individuellement, on peut discuter de la pertinence de ces mesures en fonction de sa sensibilité politique. Mais l’application de ces trois mesures en même temps va donner naissance à un système confiscatoire. Ce projet de taxation à 75% est un coup politique, qui est inapplicable en l’état. Imaginez : on se retrouverait par exemple avec des plus values imposées à 94,5%!
Vous redoutez donc les conséquences de l’application de cette nouvelle imposition...
Si cette mesure est appliquée, les délocalisations de personnes physiques risquent de s’accroître. Mais on pourrait aussi assister au départ de personnes morales, avec la délocalisation de sièges sociaux. Ce ne sont pas forcément des grosses entreprises qui partiraient, mais plutôt les challengers, qui devront le faire pour garder avec elles leurs meilleurs cadres. Le seul moyen d’attirer ces dirigeants de haut niveau passe par l’ouverture du capital. Or, à ce niveau d’imposition, ces cadres préféreront partir à l’étranger, et leurs entreprises seront poussées à les suivre.
Hollande obligé de "vider de sa substance" la taxation à 75%
Le ministre délégué au Budget, Jérôme Cahuzac, a laissé entendre jeudi sur RTL que pour atténuer le choc des 75%, le gouvernement réfléchirait à un mécanisme de lissage afin de "veiller à ne pas contraindre l'économie". Qu’est-ce que cela signifie?
Cela signifie que la taxation à 75% va finir par faire "pschitt". Pour rendre applicable cet impôt qui n’a pas été réfléchi, François Hollande va être obligé de le vider de sa substance. Je ne connais pas le détail de ces mécanismes de lissage. Mais on peut envisager par exemple qu’il y ait des exceptions pour le monde de la culture ou du sport. Il pourrait y avoir également un lissage dans le temps. Exemple : Vous vendez votre entreprise, on vous donne la possibilité d’étaler votre imposition sur 5 ans. Et puis au bout de 3 ans, les 75% ne s’appliquent plus.
Une hausse de la CSG serait également prévue, d’après les informations du Figaro. Qu’en pensez-vous?
Avec une telle hausse, on tape sur le travail et sur le capital. Nous avons déjà l’un des taux de prélèvement obligatoire les plus élevés en Europe. Quand vous regardez les trois masses taxables : le travail, le capital et la consommation, nous sommes le pays qui impose le plus à la fois le capital et le travail. Il y a une marge manœuvre, c’est de taxer la consommation. Nicolas Sarkozy était parvenu à faire passer une mesure impopulaire, avec la TVA sociale. François Hollande va la supprimer. C’est, à mon sens, une énorme erreur.