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"Pirates" somaliens: forbans ou garde-côtes?

Publié le par Charlotte sceptix

Dans les eaux troubles au large de la Somalie, nagent des requins dont les moins voraces ne sont pas les requins du commerce international, qui pillent les ressources maritimes locales et contaminent les rivages.
Les pirates somaliens ont appris que tout se monnaye avec ces gens-là.
Quelques explications ci-dessous.
Le texte qui suit a été publié en 2009. D'autres liens accompagnent ce billet, qui permettront un petit tour d'horizon de la question, plutôt compliquée.
Source: Why We Don't Condemn Our Pirates in Somalia, par K'Naan, URB Magazine, 14 avril 2009.

pirate-somalien.jpg


Pourquoi nous ne condamnons pas nos pirates en Somalie

Peut-on, à aucun moment, véritablement approuver la piraterie?
A part les écumeurs des mers et les gamines qui fantasment sur Johnny Depp, quelle personne respectueuse de la vie des êtres humains affirmerait qu'elle soutient la piraterie?
Eh bien, en Somalie, la réponse est: c'est compliqué. Les médias ont couvert la piraterie sur la côte somalienne de façon si partiale qu'il est heureux qu'ils ne vivent pas sur un bateau eux-mêmes. Il est vrai que le détournement de bateaux dans le Golfe d'Aden est un grave danger pour la route maritime commerciale dynamique très animée entre l'Asie et l'Europe. Il est également vrai que pour la plupart des pirates qui opèrent dans cette vaste étendue côtière, l'argent est l'objectif principal. Mais d'après de nombreux Somaliens, les perturbations dans la route commerciale préférée de l'Europe c'est comme un *karma qui mord la fesse d'un auteur de crime. Et si vous ne croyez pas au karma, peut-être croyez-vous à l'histoire récente.
Voici la raison pour laquelle nous, les Somaliens, nous sommes plutôt peu enclins à condamner nos pirates. La Somalie n'a connu aucune forme de gouvernement digne de ce nom depuis 1991. Et malgré ses échecs, comme beaucoup de gouvernements en Afrique, sortis des puits de l'indépendance postcoloniale, de la mauvaise gestion et des usuriers des prêts au développement, la question spécifique de la piraterie a débuté en 1992.
Après le renversement de Siad Barré, notre insipide dictateur pendant une vingtaine d'années, deux figures influentes du clan Hawiye ont pris le pouvoir.
A l'époque, Ali Mahdi et le général Mohamed Farah Aidid, les deux chefs des rebelles Hawiye étaient généralement considérés comme des libérateurs. Mais l'unité des deux hommes et de leurs deux sous-clans respectifs n'a pas duré longtemps. C'est comme s'ils avaient été abasourdis par le déboulonnage du dictateur, ou qu'ils avaient simplement oublié de discuter de qui serait le dirigeant du pays une fois qu'ils auraient vaincu leur ennemi commun. Un désaccord sur qui allait monter en grade en passant de chef de milice à président a mis fin à leur lune de miel. C'est à cause de ce désaccord que nous avons connu une des guerres les plus terribles de l'histoire de la Somalie, qui s'est soldée par des millions de déplacés et des centaines de milliers de morts.
Mais la guerre coûte cher et les milices ont besoin de nourriture pour leurs familles, et de Jaad (un stimulant à base d'amphétamines) pour les tenir éveillés pour le combat.
Et donc, un bon seigneur de guerre clanique doit se méfier de ses propres troupes. Les hommes d'Aidid se sont mis à s'emparer des camions d'aide alimentaire qui transportaient des vivres aux populations qui souffraient de la faim, et à la revendre pour poursuivre leur guerre. Mais Ali Mahdi avait des visées sur une ressource bien plus importante et moins exploitée, à savoir, l'Océan Indien.
Déjà, à cette époque, les pêcheurs locaux sur le littoral de Somalie s'étaient plaints que des bateaux venaient pêcher illégalement dans les eaux territoriales somaliennes. Et dans la mesure où il n'y avait pas de gouvernement à qui signaler les faits, et dans la mesure où la gravité des violences éclipsait tous les autres problèmes, les récriminations des pêcheurs étaient passées complètement inaperçues. Mais c'est à peu près à cette même époque qu'était mise en œuvre une pratique plus sinistre et plus arrogante. Une société suisse, Achair Parterns, et une compagnie italienne de recyclage des déchets appelée Progresso, avaient conclu un marché avec Ali Mahdi, qui les autorisait à déverser des containers de déchets dans les eaux somaliennes. Ces compagnies européennes payaient, disait-on, les seigneurs de guerre environ 3 dollars la tonne, alors que pour se débarrasser de déchets en Europe cela coûte environ 1000 dollars la tonne.
En 2004, quand le tsunami a fait remonter sur le rivage plusieurs containers endommagés, des milliers de riverains du *Pount (Puntland), ont commencé à se plaindre d'affections graves et inconnues jusqu'à ce jour, comme des hémorragies abdominales, des problèmes dermatologiques, et de nombreux symptômes apparentés au cancer.
Nick Nuttall, porte-parole d'un Programme Environnemental des Nations-Unies, explique que les containers renfermaient toutes sortes de déchets différents, comme de l'uranium, des déchets radioactifs, du plomb, du cadmium, du mercure et des résidus industriels chimiques. Mais ce n'était pas un mal ponctuel venant d'une ou deux sociétés qui profitaient de nos eaux non protégées, Ahmedou Ould-Abdallah, l'envoyé de l'ONU pour la Somalie indique que ces pratiques se poursuivent encore aujourd'hui. Ce n'est que des mois plus tard, après ces premiers rapports, que les pêcheurs locaux, ainsi que les milices privées, se sont mobilisés pour partir en mer empêcher les occidentaux d'avoir toute latitude de détruire complètement la vie aquatique en Somalie.
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Maintenant, des années plus tard, cette volonté de dissuasion est devenue moins noble et les anciens pêcheurs avec leurs milices se sont mis à prendre goût aux rançons en mer. Cette forme de piraterie contribue maintenant de façon importante à l'économie somalienne, surtout dans la région même où les sociétés privées d'élimination de déchets toxiques ont commencé à décharger leurs containers mortels. Maintenant la Somalie a augmenté le pourcentage mondial d'actes de piraterie de plus de 21 % en un an, et alors que l'OTAN et l'UE envoient toutes deux des troupes sur la côte de Somalie pour mettre un frein aux agressions, Blackwater et toutes sortes de sociétés de sécurité privées sont déterminées à en tirer profit. Mais si les Européens sont tout à fait en droit de protéger leurs intérêts commerciaux dans la région, nos pirates étaient les seules personnes que nous avions pour empêcher une catastrophe environnementale imposée par des forces extérieures.
Personne ne peut affirmer que certains des bateaux qu'ils détiennent actuellement en échange d'une rançon n'étaient pas impliqués dans une activité illégale dans nos eaux territoriales. La vérité, c'est que si vous demandez aux Somaliens s'ils pensent que l'élimination des pirates se traduira tout simplement par le pillage incessant de nos côtes par des bateaux occidentaux laissés sans surveillance, et la création d'une nouvelle génération de personnes affectées de cancers, ils hisseront tous leurs pavillons de pirates.
Il est temps que le monde donne aux Somaliens quelque assurance que les activités illégales des occidentaux cesseront s'ils demandent à nos pirates de cesser les leurs. Nous ne voulons pas que l'UE et l'OTAN servent à protéger ces voyous qui déversent leurs déchets nucléaires. Il me semble que la crise actuelle relève de la justice, mais la question est aussi de savoir: la justice de qui?
Il est clair que le pirate de l'un est le garde-côte de l'autre.

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Notes:
1. *"karma qui mord la fesse d'un auteur de crime": ne me demandez pas ce que cela veut dire, je n'en sais fichtre rien. Si quelqu'un comprend?
2. Quelques notions (cf. lien pour plus de détails)
L’État somalien a cessé d’exister en 1991, après l'effondrement du régime, vaincu par le Mouvement national somalien (MNS). Le MNS a proclamé l’Indépendance du Nord de la Somalie sous son ancien nom colonial de «Somaliland». L’armée et la police somaliennes ayant déserté, leurs membres ont rejoint leur clan ou leur sous-clan d’origine. Ils forment des milices privées.
La Somalie du Sud, anciennement «Somalia» italienne, aux mains de rebelles islamistes, a sombré dans le chaos. Pour échapper à cette situation, les autorités du Nord-est du pays ont proclamé, unilatéralement en août 1998, l’autonomie du Pount.
Le Pount (appellation traditionnelle francophone), souvent dénommé Puntland:
Devenu «État régional fédéral» au sein de la Somalie, il a créé des institutions locales (un gouvernement, un parlement, une administration). Le Pount est, de fait, indépendant, mais il n'est pas reconnu internationalement.
À la différence du Somaliland voisin, il ne revendique pas l'indépendance vis-à-vis de la Somalie.

Et puis des liens pour se faire une meilleure idée de la situation:

Une bonne explication sur l'avènement de la piraterie au large de Somalie ici (fr)

Egalement ici: [Eaux Troubles: la piraterie en Somalie |http://afiavi.free.fr/e_magazine/spip.php?article1039]

En anglais:
A Tale of Somali Pirates, Ethiopia and the U.S.A. de Tom Mountain

The Terror of Somali Piracy de Stephen Roblin / 26 fev. 2011

 

 

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