Ses banques ou son peuple : l’Espagne devra choisir
Le scénario est toujours le même. A moins que ce ne soit du déni ? Le problème commence par être minimisé, des promesses sont faites et enfin des secours extérieurs sont sollicités en urgence. L’Espagne marche ainsi sur les pas de l’Irlande, les similitudes entre les situations et les postures de ces deux pays étant à cet égard incontestables. Voilà en effet deux nations ayant financé leur formidable essor économique sur une montagne d’endettements généreusement prodigués par les autres pays européens. Voilà des pays dont le système bancaire – qui se retrouve en toute logique infecté de créances douteuses ou franchement pourries – doit impérativement être renfloué sous la menace de faire des ravages sur l’ensemble des acteurs économiques. Voilà des gouvernements qui sont donc contraints d’y injecter des milliards en pompant dans les deniers publics. Voilà des pays qui aggravent irrémédiablement leurs comptes publics pour avoir cédé aux menaces d’implosion de leurs banques.
Las ! Le retour de la confiance consentie par les marchés financiers se révèle lui aussi conforme dans les deux cas. Comme il est très éphémère, l’Etat espagnol se résout à consentir à son système bancaire une série de rallonges supplémentaires de l’ordre de 100 milliards d’Euros qui seront naturellement à prélever sur ses comptes et qui grèveront d’autant ses déficits publics. Avec un résultat terrifiant puisque la dette publique espagnole qui se montait à 81% du P.I.B. du pays avant ces secours accordés aux banques gonfle dès lors à … 91% suite à ce paquet de 100 milliards ! Incompréhensible, diraient certains, tant le profil de ces deux pays (l’Irlande et l’Espagne) suscitait l’admiration préalablement à la crise, du haut de leurs comptes publics équilibrés. Prévisible, hélas, tant ces deux pays avaient toléré et encouragé l’hypertrophie de leur système bancaire. Comment ne pas être choqué par un établissement (la Anglo-Irish Bank) dont les financements hypothécaires se montaient en 2007 à 67 milliards d’Euros alors que le P.I.B. de l’Irlande était de 155 milliards d’Euros cette même année, soit à peine plus que le double des engagements de cette banque ? Et comment ignorer le contexte de l’époque où les bilans des trois plus importantes banques irlandaises atteignaient 400% du P.I.B. irlandais ? Si les comptes publics étaient sains avant le déclenchement de la crise en 2007, l’absorption des pertes bancaires propulsèrent les dettes irlandaises à 110 du P.I.B. !
La rengaine est identique aujourd’hui en Espagne … si ce n’est que les proportions et que les sommes concernées sont autrement plus massives. Et si ce n’est que le secteur immobilier y occupait une place centrale préalablement à la crise puisqu’il représentait au bas mot 16% du P.I.B. en 2007 et 15% des emplois. Au bas mot en effet car il n’est pas ici tenu compte des secteurs annexes bénéficiant des retombées de l’immobilier. Ce boom immobilier générait en effet une activité sans précédent avec des crédits hypothécaires qui avaient ainsi bondi de 29 à 103 % du P.I.B. en dix ans. De fait, l’implosion de la bulle devait se traduire par une contraction du P.I.B. espagnol de 6.3% sur le seul premier trimestre de l’année 2009 ! Dès lors, il n’est plus possible de poursuivre la comparaison entre l’Irlande et l’Espagne car, si la première a quasiment fait faillite pour sauver ses banques, la seconde ne pourra pas, ne serait-ce que s’approcher, d’une telle éventualité au vu de son importante absolument capitale dans l’Union Européenne.
La quatrième économie européenne, qui représente également 10% de l’activité économique de l’Union, ne peut strictement pas être menacée de banqueroute. Le revers de la médaille étant qu’elle est aussi trop importante pour être sauvée : c’est tout à la fois une « too big to fail » et une « too big to bail ». Pour autant, les déboires espagnols sont loin d’être circonscrits à ces lourdes menaces car ils seront inexorablement aggravés par l’austérité ambiante qui accélèrera la spirale infernale de défauts de paiements des débiteurs et de la contraction économique, dans un contexte où le chômage atteint (officiellement) 25% de la population. L’Espagne ne peut donc pas emprunter la voie de l’Irlande et garantir ses banques. Pour survivre et pour assumer ses devoirs les plus élémentaires envers ses citoyens meurtris, elle devra soit exiger de la part de ses créanciers obligataires qu’ils prennent une certaine perte, soit nationaliser purement et simplement ses banques. C’est une de ces deux voies que l’Irlande aurait dû emprunter et que l’Espagne doit choisir car, plutôt que de sempiternellement solliciter la population, alourdir leur fiscalité et les léser par le chômage, c’est l’investisseur qui devra être appelé à contribuer.
Après tout, n’est-ce pas la règle du jeu que l’investisseur puisse être lui aussi confronté à des pertes ? Nos états seraient-ils devenus à ce point philanthropes et attentionnés envers les détenteurs de liquidités qu’ils rechignent à leur faire encaisser toute perte ? Doit-on rayer à tout jamais du dictionnaire les termes de « moral hazard » ? Que nos pays européens comme leurs dirigeants réapprennent les notions de restructurations de dettes, de répression financière et de contrôle des capitaux.
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