"Une droite effrontée et sans pudeur"
Le journaliste colombien Antonio Caballero a proposé une nouvelle interprétation de l'affaire Jean Sarkozy dans une récente tribune publiée par l'hebdomadaire Semana. Pour lui, le président français se contente de s'inspirer de son homogue colombien Alvaro Uribe, accusé d'avoir favorisé ses deux fils à l'occasion d'une transaction immobilière.
Propos recueillis par Dario Viana
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Le président français aux côtés du président colombien Alvaro Uribe
Source : Courrier International
Courrier international : Comment jugez vous l'affaire Jean Sarkozy ?
Antonio Caballero : Cette affaire est symptomatique de ce qu'est devenue la droite en Europe depuis une vingtaine d'années. Depuis la fin de l'Union soviétique et du communisme en Europe de l'Est, la droite n'a plus peur de rien et se permet tout ce qu'elle n'osait pas faire auparavant. La droite avait peur de revivre une révolution comme celle de 1917 en Russie. Aujourd'hui, cette crainte a disparu et ils savent qu'ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent. Ils peuvent par exemple s'approprier le pouvoir et l'utiliser pour leur profit personnel, comme le fait Nicolas Sarkozy, comme l'avait fait avant lui Jacques Chirac et comme l'ont fait José María Aznar en Espagne et Silvio Berlusconi en Italie. Il s'agit d'une droite effrontée et sans pudeur qui agit de la sorte parce qu'elle n'a plus peur. La fin de la révolution prolétaire marque aussi la fin de la peur du capitalisme.
Et la gauche, de quoi a-t-elle peur ?
La social-démocratie européenne se définissait par opposition au communisme, mais depuis que celui-ci n'existe quasiment plus, la gauche a été incapable de se trouver une personnalité. Aujourd'hui, la gauche se contente de se placer un peu moins à droite que la droite, c'est tout ce qu'elle est capable de faire. C'est le cas de Tony Blair et du travaillisme anglais, qui ont réussi le tour de force d'appeler "troisième voie" le fait de devenir de droite !
Les idées de gauche seraient-elles parties s'installer sur le continent latino-américain ?
Rien n'est moins probable. En Amérique latine, la gauche n'a jamais existé, ou en tout cas elle a toujours été de droite. Nul n'est plus à droite que les péronistes argentins ou Fidel Castro à Cuba. Et l'on pourrait en dire autant d'Hugo Chávez au Venezuela, un caudillo comme on en a tellement connu en Amérique latine. Il parle au nom du peuple comme tous les militaires vénézuéliens, péruviens ou colombiens l'ont fait avant lui. Il se dit antiaméricain, mais ce discours ne suffit pas à lui tout seul à en faire un homme de gauche. Quant à la Colombie, elle est profondément de droite, et c'est en partie la faute de la gauche, d'une certaine gauche armée, des guérillas qui sont devenues des organisations criminelles et ont terrorisé la population. Grâce à cette attitude, la droite a pu s'installer durablement dans le pays.
Vous êtes un critique virulent du président colombien Alvaro Uribe et ne lui épargnez vos satires dans vos textes. Y a-t-il une liberté d'expression en Colombie ?
En Colombie la liberté de la presse et la liberté d'expression sont totales. Bien sûr, certains intérêts économiques et politiques essayent toujours de les entraver. Mais cela arrive aussi en France ou partout ailleurs. En revanche, le gouvernement colombien ne ferme pas de médias, ce qui arrive souvent dans d'autres pays latino-américains. Il n'existe aucune forme de censure et tout le monde est libre de dire ce qu'il pense. Mais attention, si ce qu'on pense ne plaît pas aux guérillas, aux paramilitaires ou même à certains membres du gouvernement, on risque de recevoir des menaces. Cela m'est arrivé deux fois dans ma vie professionnelle et j'ai dû quitter le pays. Autrement dit, en Colombie on n'empêche personne de dire ce qu'il pense, mais une fois que c'est dit, on peut tuer celui qui l'a dit.