Même pas besoin de Trichet

Publié le par sceptix

Par Denis Robert

Vu Trichet un de ces récents soirs à la télévision. L’angoisse. C’était au vingt heures de France 2, au cœur de la tourmente financière. L’ancêtre expliquait qu’il ne fallait pas s’inquiéter, les systèmes financiers européens et français étaient en mesure de faire face à la crise "historique", les épargnants ne devaient pas céder à la panique, "Paris n’était pas Washington". À chaque phrase qui se voulait rassurante, l’inverse se passait. La panique, le téléspectateur de France 2 ne pouvait qu’y céder.

Le banquier compassé, en duplex de Bruxelles, en vitrine légale du capitalisme, transpirait, suintait, soufflait, avait le regard d’un chien de garde perdu. Jamais personnage public, jamais banquier n’a aussi bien porté son patronyme que lui ce soir-là. Jean-Claude Trichet est une vieille connaissance. Quand nous enquêtions sur – bip —, je l’avais interviewé sur le contrôle bancaire. C’était en 2002, il était gouverneur de la Banque de France et donc responsable de la Commission bancaire chargée de la surveillance du secteur financier français.

C’était dans les locaux de Transparency International, l’association de lutte anti-corruption américano-lobbyiste. Nous avions été autorisés par son aimable président à filmer sa conférence. Dès que mes questions sont devenues gênantes, Jean-Claude a pris la mouche et a menacé de quitter la salle. "Monsieur Robert, quand j’ai quelque chose à dire, je vais devant les micros de RTL ou d’Europe 1, je choisis mes intervieweurs" soufflait (déjà) Trichet. Fermez le ban.

Mes questions étaient pourtant basiques. Et légitimes. Mais les édiles n’ont pas l’habitude. J’avais retrouvé dans les listings de – bip – des dizaines de comptes de banques françaises ouverts dans des paradis fiscaux. BNP en avait à Vanuatu, la Société Générale à Jersey, le Lyonnais à Grand Caïman… J’avais demandé à Jean-Claude Trichet comment la Banque de France contrôlait les transactions vers ces filiales. C’est là qu’il s’est énervé. Tout est sur bande. C’est là qu’il a menacé de partir. C’est enfin là que, off the record, il a fini par lâcher, face à mon insistance, que ces filiales dépendaient de la législation de ces pays…

Évidemment ce récent soir, en revoyant ce fantôme encore très actif, j’ai repensé à l’épisode. Et à la crise que nous traversons. Si, à l’époque, il n’avait pas laissé faire… Si, à l’époque, il n’avait pas laissé aux banquiers le soin de se contrôler et "d’externaliser" (comme ils disent) off shore et hors bilan, il y aurait moins de crise aujourd’hui. Moins d’angoisse chez le téléspectateur de France 2. Et moins de sueur sur les tempes de Trichet.

Denis Robert
for Siné Hebdo

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