La crise va détruire le modèle allemand

Publié le par sceptix

Ma semaine allemande par Edouard Husson. En acceptant le déficit budgétaire et l'aide europénne à la Grèce, les dirigeants allemands ont de fait renoncé à deux dogmes de la politique allemande traditionnelle.


'o' wie obacht - Flickr - CC

Quand Peer Steinbrück abandonne le mark pour l'euro
Chaque semaine est riche en surprises concernant l'actualité allemande. A moins qu'elles n'en soient pas vraiment car elles vont toutes dans le même sens: les repères de la vieille République Fédérale sont un à un jetés par-dessus bord. Pensez, Peer Steinbrück, le très rigide ministre des Finances de Madame Merkel, qui ébranle, mercredi 18 février, le dogme sur lequel était construit l'euro, aux yeux des Allemands : la stricte discipline budgétaire des pays-membres de la zone. Monsieur Steinbrück explique que s'il le faut, les autres pays-membres iront à la rescousse d'un pays en difficulté. Provisoirement, bien entendu. Et puis, le ministre de Madame Merkel rappelle ensuite avec force qu'il faudra vite se préoccuper de revenir à l'équilibre budgétaire, même si c'est très douloureux; qu'il y a des liquidités en telle quantité en circulation dans le monde que c'est très préoccupant et qu'elles devront être réabsorbées. Il n'empêche, voilà un autre tremblement de terre. Madame Merkel nous avait révélé que l'Allemagne ne croyait plus en Dieu - ou du moins en son représentant sur terre. Monsieur Steinbrück ne croit plus aux principes qui ont fondé le deutsche mark après la Seconde Guerre mondiale et qui avaient fait de l'euro, largement, un euromark.
 
La crise imminente de l'euro
Nous sommes entrés dans une nouvelle ère de l'histoire de l'euro, dont la question est de savoir combien de temps elle durera. Si Monsieur Steinbrück est obligé de faire une déclaration, c'est parce que la Grèce, l'Irlande, l'Espagne, le Portugal - et demain l'Italie - sont entrées en turbulence. L'Europe centrale voit aussi ses monnaies vaciller. La crise monétaire à la périphérie de la zone euro est déjà bien entamée mais personne ne voulait en parler. Curieuse sociétés de l'information permanente où l'on parle des choses quand il est déjà bien tard, sinon trop tard. On ira à la rescousse de la Grèce, Allemagne en tête. Mais ce sera trop tard, trop peu et sans vision stratégique. Monsieur Steinbrück a raison de renvoyer aux grands principes de la saine gestion monétaire et budgétaire. Mais à quand la transformation de la monnaie unique en monnaie commune, pour donner de la souplesse au système et du répit aux sociétés? A quand l'invitation à la refonte du système monétaire international, avant qu'il ne soit trop tard, encore une fois?

Les Allemands ne peuvent plus résister à la décomposition du système monétaire international
Depuis la fin des années 1960, l'Allemagne a vécu sur une illusion: celle que son modèle pouvait résister à la décomposition du système monétaire international amorcée par la fin des Accords de Bretton Woods (fin du pool de l'or en 1967, crise du dollar, de la livre et du franc en 1968-69, accords de Washington en 1971). Seul pays vertueux dans un monde qui s'adonnait au suicide économique lent de la création monétaire incontrôlée, l'Allemagne a servi, dans les années 1970 et 1980, de référence: sa monnaie était une devise de réserve internationale officieuse, au côté du yen, pour pallier les inconvénients de l'étalon-dollar; les pays de la Communauté européenne se soumettaient tant bien que mal à une discipline monétaire alignée sur la sienne. Le pays s'affirmait comme le premier ou le deuxième exportateur mondial.
L'Allemagne de l'Ouest inspirait tant  la confiance qu'elle put se payer le luxe d'une absorption économique de la RDA moribonde, absorption menée en dépit du bon sens économique. En particulier, dans la manière dont ils pratiquèrent l'union monétaire interallemande, les dirigeants allemands montrèrent qu'ils ne comprenaient plus grand chose au fonctionnement de la monnaie (échange 1 pour 1 entre mark ouest et mark est + harmonisation salariale). Mais l'on continuait à vivre sur l'illusion de l'infaillibilité allemande, les pays de la zone euro en construction vinrent à la rescousse et, surtout, l'industrie allemande alla créer en Europe orientale, en Amérique latine ou en Asie les emplois industriels qui disparaissaient en Allemagne.
 
Grâce à une exploitation systématique des ressources qu'offrait la mondialisation à l'américaine, les entreprises allemandes répartirent les sites de production de manière à refaire de l'Allemagne le premier exportateur du monde (faire fabriquer à moindre coût les composantes dans des pays à bas salaires, vendre cher aux voisins européens ou aux Etats-Unis, grâce à la réputation du Made in Germany, les pièces assemblées en Allemagne). Cependant cela s'est fait aux dépens de l'emploi et de l'égalité des revenus en Allemagne même. 
 
Le bon élève a perdu son latin dans la crise

La seule chose que l'Allemagne avait gardé, c'était la rigueur monétaire, qu'elle maintenait seule dans la monde, capable d'imposer ses vues aux Etats-Unis, à la différence du Japon, car, à la différence de ce pays, elle disposait de sa zone monétaire, l'euroland. Cependant, la mise en place de l'euro, au début des années 2000, n'a pas résolu la question fondamentale, le moyen de ramener les Etats-Unis à la discipline monétaire et, avec eux, tous ceux, en particulier la finance internationale, qui profitait d'une création monétaire illimitée. L'Allemagne elle-même était happée dans un système de plus en plus fou puisque les surplus de son commerce extérieur étaient placés par ses banques dans des produits financiers de plus en plus périlleux et détachés de l'économie réelle.
 
Ce à quoi nous avons assisté depuis six mois, c'est à l'éclatement de l'illusion allemande d'être invulnérable dans un environnement international toujours plus précaire. Il faut dire que cela faisait presque quatre décennies que l'illusion avait pu être maintenue. Mais à présent de grandes banques allemandes sont au bord de la faillite, des entreprises et même des secteurs entiers de l'industrie devront être soutenus par le gouvernement. Et l'Allemagne devient moins arrogante avec ses partenaires. Le bon élève a perdu son latin dans la crise.
 
Qu'est-ce que tout cela donnera aux élections de septembre prochain? Les cartes sont en train d'être totalement rebattues.  


Dimanche 22 Février 2009 - 07:00
Edouard Husson
Source
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R
<br /> <br /> ah l'absorbtion de la RDA !<br /> <br /> <br /> au fait se souvien-t-on de Detlev Rohwedder ?<br /> <br /> <br /> Le patron de la treuhand à ses débuts. Qui reprenait la propriété de l'etat "du peuple" RDA à savoir toutes les entreprises Est-allemandes. Il essayait de maintenanir toutes ces entreprises en<br /> activités, et les emplois aussi.<br /> <br /> <br /> Par la suite on s'est dépêché de tout vendre à bas prix aux investisssurs du grand capital (ce dont ils rêvaient !) et de balancer les travailleurs à la rue.<br /> <br /> <br /> eh oui entretemps Detlev Rohwedder était, opportunément, mort ....<br /> http://en.wikipedia.org/wiki/Detlev_Karsten_Rohwedder<br /> <br /> <br /> on ne sait toujours pas qui l'a vraiment tué, peut être qq qui aurait été tué, opportunément, en 1993. http://en.wikipedia.org/wiki/Wolfgang_Grams<br /> <br /> <br /> en fait même qu'il était en faveur d'une autre solution pour ces entreprises : il souhaitait même que les travailleurs en deviennent les propriétaires, on comprend qus ça certains milieux ne<br /> voulaient surtout pas que ça se fasse :<br /> <br /> <br /> Reportedly opposed to an unrestricted sell-out of GDR's public-owned factories he may have<br /> occasionally favoured a worker-owned solution. His successor Birgit Breuel was more in favour of a speedy sell-off<br /> to investors.<br /> <br /> <br /> c'est curieux que personne (mais à cette époque pourtant pas lointaine les gens étaient encore bien naïfs) n'aie posé de questions au sujet de sa mort. (Tarpley s'en est posé des questions, lui)<br /> <br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Merci Roland, j'ignorais complètement cette histoire !<br /> <br /> <br /> Merci pour l'info<br /> <br /> <br /> <br />