L'abeille a des serial killers aux trousses

Publié le par sceptix

Entre varroa, virus et pesticides, l'abeille meurt de plus de quarante causes identifiées. Les apiculteurs le vivent au jour le jour. Exemples en Lot-et-Garonne
La production annuelle française de miel a chuté de 12 000 tonnes en treize ans. Dans le même temps, les importations ont grimpé de 14 000 tonnes. (photo stéphane lartigue)

«C'est surprenant de ne pas vouloir accepter que les insecticides tuent les abeilles, c'est même fait pour ça. On peut s'étonner qu'il en reste encore ! », ironise Maurice Coudoin. L'apiculteur de Verteuil-d'Agenais (47), vétéran de la lutte contre les pesticides et les OGM, balaye d'une phrase définitive la hiérarchie des causes de surmortalité des abeilles établie par l'Afssa : « Le varroa, tous les apiculteurs sérieux le maîtrisent ! »

Le varroa est un acarien qui s'accroche à l'abeille et lui prélève le sang. L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) vient de désigner « ennemi numéro 1 » ce parasite venu d'Asie dont la présence dans l'Hexagone est attestée depuis 1982 (lire entretien ci-contre). Mais Maurice Coudoin n'en démord pas : « Quand vous voyez une colonie dynamique à l'automne et qu'elle meurt durant l'hiver, il ne faut pas chercher bien loin : pesticides ! »

M. Coudoin possède plus de 600 ruches, ce qui en fait l'un des plus gros apiculteurs de la région. Elles sont disposées dans un rayon d'une quinzaine de kilomètres autour de son exploitation. Le premier miel de l'année, le miel de colza, arrivera d'ici quelques semaines. Les conditions actuelles ne lui paraissent pas trop défavorables : « On n'atteindra pas les 30 à 50 % de mortalité déjà connus, mais on restera bien au-dessus des 10 % » (le taux « normal »), estime-t-il.

« Il y a un léger mieux, du moins en Lot-et-Garonne », concède-t-il. Pour des raisons qui vont dans le sens de son « antipesticisme » militant : « On a diminué l'enrobage des semences et l'on n'utilise plus le Gaucho et le Régent depuis trois ans. »

Il en faudra toutefois davantage pour apaiser le sexagénaire, engagé désormais dans le combat contre le Cruiser, temporairement autorisé sur les semis de maïs : « Les sols restent gavés de matière active, les épandages produisent des cocktails de résidus qui s'accumulent d'une année sur l'autre. »

Signalements peu fiables

À quelques kilomètres de là, à Pardaillan (47), son jeune confrère, Thomas Mollet, 36 ans, est plus nuancé : « Le varroa, j'y fais très attention. J'espère que je le maîtrise mais le traitement n'est pas toujours efficace à 100 % et il y a un problème de disponibilité de molécule. »

Entre le varroa et les pesticides, Thomas Mollet ne choisit pas. Il pense que la surmortalité des abeilles, phénomène mondial, repose sur un ensemble de causes et non une seule. Pour autant, il lui semble qu'il faut pousser beaucoup plus loin les investigations : « Je ne mets pas en doute la sincérité de l'Afssa quand elle dit ne pas être en mesure d'infirmer ou de confirmer leur rôle. Mais, sur le terrain, un apiculteur voit bien quand une intoxication est due aux pesticides. En fait, il y a un très mauvais fonctionnement de la surveillance. Il y a une différence entre le nombre de signalements et la réalité des intoxications. Il y a des problèmes dans le prélèvement et l'acheminement des échantillons. »

Entre souci et plaisir

Thomas Mollet reste toutefois optimiste : « Mon souci numéro un est l'augmentation de mon cheptel et j'y parviens. » En huit ans, le jeune apiculteur est passé de 200 à 400 ruches qu'il déplace loin : en Dordogne pour le châtaignier, dans la Haute Lande pour la bruyère, en vallée de Garonne pour l'acacia. Élevage de reines, essaimage artificiel sont les techniques qu'il emploie pour développer son activité. Ainsi ses premiers miels de colza seront-ils consacrés aux besoins de l'élevage. « Les abeilles j'en vis, elles me causent du souci mais elles me procurent du plaisir et je veux encore progresser », affirme l'apiculteur de Pardaillan.

Et quand Maurice Coudoin n'attend pas grand-chose des agriculteurs « confrontés à des problèmes de rentabilité et soumis à la pression des marchands de produits », Thomas Mollet perçoit, lui, l'amorce d'un dialogue : « Je passe du temps à discuter avec eux et les contacts sont plutôt bons. Aujourd'hui, de plus en plus d'arboriculteurs et de producteurs de légumineuses nous disent manquer de pollinisateurs et nous sollicitent. » Il y voit le signe d'une prise de conscience encourageante.

Pour l'Afssa, le coupable numéro 1, c'est le varroa

L'Agence de sécurité des aliments a étudié la mortalité des abeilles. Décryptage avec Philippe Vannier, directeur de la santé animale à l'Afssa

« Sud Ouest ».

Quel a été le déclencheur de l'étude de l'Afssa (1) ?

Philippe Vannier.

Nous avons entrepris ce travail parce que, dans le contexte actuel de polémique agressive, il est difficile de faire passer une information complète et objective. Nous avons voulu un travail de synthèse qui soit réalisé par des experts indépendants. Il a consisté à faire le bilan des connaissances existantes qui doit nous permettre de progresser scientifiquement et non pas de manière passionnelle.

Justement, l'étude met en évidence des causes biologiques plutôt que chimiques...

Les causes biologiques sont recensées et validées. Dans tous les travaux existants, ces causes-là ressortent de manière récurrente, notamment dans une enquête d'envergure et de longue durée, multifactorielle, conduite entre 2002 et 2005 dans 150 ruchers. L'agent biologique numéro un est le varroa, un acarien qui sévit depuis des décennies. Mais il faut apprendre à le gérer, à traiter les ruchers régulièrement. Le problème est qu'il s'agit d'un petit marché qui, économiquement, n'est pas estimé rentable par les industriels. Du coup, il y a peu de médicaments disponibles et ils sont chers pour les apiculteurs.

Les pesticides n'y seraient donc pour rien ?

On a trouvé des résidus de pesticides dans des ruches et dans des abeilles. On a essayé d'établir une relation de cause à effet et l'on s'est aperçu que ça n'est pas systématiquement connecté avec les mortalités de colonies (sauf pour des cas d'intoxications aiguës parfaitement documentées). Sur les expositions chroniques aux pesticides, c'est-à-dire à faibles doses et répétées, les expérimentations réalisées ont induit des troubles chez les abeilles mais il est difficile d'extrapoler et de généraliser les résultats obtenus. Nous recommandons d'aller plus loin dans les recherches. Nous n'éludons pas mais nous disons qu'à ce stade rien ne permet de confirmer ni d'infirmer le rôle des pesticides dans la mortalité des abeilles.

Vous mettez aussi en cause un certain modèle agricole...

Les facteurs nutritifs et de biodiversité sont très importants. Les grandes monocultures ne sont pas propices à la qualité des apports nutritifs aux abeilles. Et cela a un impact sur les populations de nature à provoquer un affaiblissement des colonies au moment de la reprise d'activité au printemps suivant.

Vous dites aussi que les apiculteurs eux-mêmes ne sont pas exempts de tout reproche...

Il faut que la filière apicole s'organise mieux. On se heurte à des phénomènes d'absence d'enregistrement et d'absence de diagnostic.

On s'aperçoit que les apiculteurs ne connaissent pas forcément bien les pathologies des abeilles. D'où les recommandations d'apprendre à mieux gérer les maladies, de faire les enregistrements correctement comme les éleveurs dans les autres productions animales. Nous recommandons également la mise en place d'un réseau d'épidémio-surveillance, d'un suivi technique, ainsi que la création d'un institut technique apicole.

(1) Agence française de sécurité sanitaire des aliments.

Les tribulations du piège à frelon asiatique

En attendant le piège "officiel", les fausses (bonnes) solutions pullulent!

Le frelon asiatique a débarqué d'un conteneur de poteries chinoises, en 2003, du côté de Nérac (47). Depuis, il ne cesse de proliférer et d'étendre son territoire. On pense aujourd'hui qu'il ne sera plus possible d'éradiquer ce tueur d'abeilles. Il s'agit désormais de mettre en oeuvre les moyens de le contenir. D'autant que son irruption dans le paysage n'est pas discrète : ses énormes nids attirent l'attention et il semble bien se plaire en milieu urbain.

En 2008, l'unité Santé végétale de l'Inra de Bordeaux a été officiellement chargée de mettre au point un « piège sélectif », c'est-à-dire qui neutralise le frelon asiatique sans porter atteinte aux abeilles et autres insectes. Et ce de manière incontestable.

Denis Thiéry et son équipe, qui s'inscrivent dans une « approche globale » de décryptage des comportements de chasse et des préférences alimentaires du frelon, disposent de deux ans pour y parvenir. Sachant qu'il faudra ensuite trouver un partenaire industriel pour fabriquer le piège.

Pièges à gogo

En attendant, chacun y va de sa solution. Internet foisonne de propositions de pièges qui font hurler le laboratoire d'entomologie du Muséum d'histoire naturelle de Paris, partenaire de l'Inra dans ce dossier. « Le piège à la bière dans une bouteille en plastique, il faut sortir ça de la tête des gens, s'insurge le docteur Franck Muller, il provoque des dégâts considérables car il piège tout, le frelon asiatique mais aussi les pollinisateurs ! »

Il existe pourtant un piège, à base de bière et de sucre, « toléré », celui mis au point par Jacques Blot de l'Association de développement de l'apiculture en Aquitaine (Adaaq). Son « plus » : des trous de sortie aménagés pour permettre aux insectes plus petits de s'en sortir. Mais il ne convainc pas le Muséum qui a demandé récemment son retrait au ministère de l'Agriculture.

Le ministère est cependant moins sévère. Le piège Blot est aidé par Viniflhor (l'Office public des filières vigne, fruits et légumes, horticulture) au même titre que les recherches de l'Inra. Son inventeur a un an pour faire la preuve de sa « spécificité », sous le contrôle des services de la préfecture du Lot-et-Garonne
Auteur : jacques ripoche
j.ripoche@sudouest.com
http://www.sudouest.com/accueil/actualite/article/536525/mil/4306685.html

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