Europe : Le facteur passera-t-il encore en 2011 ?

Publié le par sceptix

 

Les nombreuses motions de protestation adoptées depuis le début de l'année par plusieurs conseils municipaux en France pour défendre "leurs" Postes n'y changeront rien : la dernière directive postale, acceptée le 1er juillet 2007 par les élus européens de l'UMP, du PS et du Modem, va entrer en vigueur. Engagé par les directives des 15 décembre 1997 et 10 juin 2002, l’achèvement du marché intérieur européen des services postaux a en effet abordé en 2007 une ultime étape : la libéralisation totale du courrier domestique à l’horizon prévu du 1er janvier 2011. Les postes européennes ne disposent déjà plus, depuis 2002, que d’un monopole résiduel sur le courrier domestique, jusqu’à 50 grammes. C’est ce «domaine réservé» que la Commission européenne, conformément au calendrier fixé par la directive de 2002, propose de supprimer d’ici deux ans, pour parachever la libéralisation du marché intérieur postal. Pour savoir ce qui nous attend, en particulier les campagnes françaises, il suffit de jeter un oeil dans les pays qui ont anticipé la directive. La Suède, qui fut précurseur dans ce domaine en 1996 a vu disparaître rapidement 1.800 de ses 2.200 bureaux de poste. En Espagne, Correos ne distribue plus leur courrier depuis 2007 aux habitations situées à plus de 250 mètres d'une voie principale... Ambiance.



Le facteur passera-t-il encore en 2011 ?

I. Aujourd'hui, nous avons un marché intérieur postal concurrentiel et un service universel pérenne

La Poste, premier service public de proximité en France, est l'une des dernières postes publiques en Europe. Elle contribue à quatre missions : aménagement du territoire,  service universel courrier, accessibilité bancaire et aide à l'acheminement de la presse, pour un coût de 1 milliards d’€ par an. Ce n'est pas le cas des services postaux chez nos voisins européens.

Le routage, le colis, le courrier express, les messageries, le courrier transfrontalier, le courrier publicitaire non adressé et le courrier domestique de plus de 50 grammes sont d’ores et déjà totalement ouverts à la concurrence.

Pour le reste, la Poste n’a cessé d’améliorer la qualité de son service d’acheminement des plis domestiques. En 2002, 67 % étaient distribués le lendemain de l’envoi, et ce taux est passé depuis à 82 %. 


II. La directive de 2008 fait sauter le monopole sur le courrier domestique

- Fin du monopole ("domaine réservé") pour les envois de moins de 50 grammes à partir de 2011. Interdiction d'accès aux marchés étrangers tant que ce monopole résiduel n'est pas levé (clause de réciprocité)

- Fin du prix unique du timbre (95% des envois)

- Maintien théorique du service universel (au moins 1 distribution et 1 levée cinq jours sur sept et à un prix abordable sur l'ensemble du territoire).


III. Avec la fin du monopole sur le courrier domestique, c'est la fin du service postal universel, accessible pour tous au même tarif sur tout le territoire. 

1) Le monopole sur le courrier de moins de 50 grammes permettait de financer le service postal universel 

Ce "domaine réservé" du courrier domestique (30 % du chiffre d’affaires de La Poste) permettait de financer, par péréquation interne, le service public postal entre les territoires «rentables» et les territoires enclavés ou désertifiés. Ainsi était assuré le financement de la distribution journalière et universelle du courrier, six jours par semaine en France, partout où réside les usagers, peu importe l'accessibilité. C'était la méthode la plus simple, la plus efficace, la moins coûteuse et la moins contestée.

2) Sur un marché devenu totalement concurrentiel, les opérateurs délaisseront les territoires "non rentables" et les bureaux fermeront 

Avec la fin de ce monopole, le service postal connaîtra ce qu'a connu la téléphonie mobile : une surcompétition auprès des gros clients et des régions densément peuplées et d’accès facile, et à l’inverse un abandon des territoires ruraux, difficiles et moins peuplés : 

- Suppression de centaines de bureaux de Poste en milieu rural et dans les périphéries urbaines (après les casernes, les hôpitaux, les tribunaux et les écoles). Selon "le Monde" (26 janvier) "l'entreprise publique a engagé des discussions avec les pouvoirs publics afin d'alléger le coût de sa présence postale en zone rurale". Ainsi depuis que la Suède a libéralisé son service postal, sur 2.200 bureaux de poste, 1800 ont fermé... 

- Réduction de la distribution en milieu rural : le courrier sera de moins en moins distribué dans les endroits jugés "non rentables". Ainsi, depuis 2007 en Espagne, Correos ne distribue plus aux habitations situées à plus de 250 mètres d'une voie principale. Combien de Français (de personnes âgées en particulier) vivant en milieu rural devront chaque jour faire des kilomètres pour aller relever leur boite postale ?

3) Pour tenter de compenser et maintenir un service universel à son niveau actuel, il faudra faire payer les usagers et les contribuables 

- Les usagers supporteront une augmentation tarifaire des prestations postales. Le prix du timbre va augmenter avec la fin du prix unique du timbre. (Rappel : le prix des péages a aussi augmenté depuis la privatisation des autoroutes)

- Les contribuables, à travers l'Etat et collectivités locales pourront, et même devront subventionner les entreprises postales s'ils veulent compenser les surcoûts de desserte de ces régions non solvables. On augmentera ainsi la dépense publique pour tenter de maintenir un service constant !

4) Les garanties apportées par Nicolas Sarkozy ne sont pas convaincantes

La mise en application de la directive sera effectuée par la transformation de La Poste en société anonyme, à capitaux publics...pour le moment. Selon Nicolas Sarkozy (décembre 2008), le projet de loi sera examiné avant l'été prochain. Le capital de la S.A ne serait ouvert, dans un premier temps, qu'à des investisseurs publics (Caisse des dépôts, etc) et l’Etat y resterait majoritaire.

Pour mémoire, le même argument avait été utilisé avec France Télécom où l'Etat n'est plus actionnaire qu'à 27%. De même en 2004, lors du changement du statut d’EDF-GDF, Nicolas Sarkozy, ministre des finances, assurait que l’Etat resterait propriétaire d’au moins 70 % des deux entreprises. C’était d’ailleurs inscrit dans la loi. Un an plus tard, la part de l’Etat n’était plus que de 35 % à GDF  


IV - La directive suscite d'autres inquiétudes

1)  L'accessibilité bancaire de millions de Français est menacée

C'est la banque des classes moyennes et des petits épargnants qui finira privatisée, à l'heure où le système bancaire mondial est frappée par un cataclysme financier et où, au contraire, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne "nationalisent" des pans entiers de leur système bancaire et financier.

Bruxelles a déjà remis en cause le monopole de collecte de l'épargne populaire, détenu par La Poste et les Caisses d'Epargne, qui permettait à l'Etat de centraliser les encours au sein de la Caisse des dépôts et consignations pour bonifier et garantir les prêts consentis aux organismes HLM.

2) Des milliers d'emplois directs et indirects pourraient être supprimés

Les fermetures de bureaux de poste gérés en propre (passés de 12 000 à moins de 4700) entraîneront des pertes d'emplois directs et indirects liés à la la collecte et la distribution quotidienne du courrier. C'est déjà le cas en Grande-Bretagne, Allemagne, Espagne et Pays-Bas. 

La distribution occupe jusqu'ici directement ou indirectement près de 5 millions de travailleurs dans l'Union européenne et 299.010 employés à La Poste (2007). 


V. Résultat des votes des députés français au Parlement européen

Lors de la 1ère lecture en juillet 2007, le rapport Ferber (PPE-DE) avait fait, comme sur 80% des textes, l'objet d'un compromis entre les groupes PPE, PSE et ALDE, adopté par 512 voix "pour", 155 "contre" et 13 "abstentions" en session plénière.
Détail des votes :
"Pour" : PPE dont 18 UMP, PSE dont 25 PS, ALDE dont 9 MODEM. 
"Contre" : Verts : GUE dont 5 PCF, IN/DEM dont 2 MPF de Villiers, NI (dont 5 FN).


En définitive, les usagers, les contribuables, les régions rurales en particulier : comme en Suède et en Espagne, tout le monde risque de faire les frais de cette libéralisation mal maîtrisée du secteur postal.

Christophe BEAUDOUIN 
Observatoire de l'Europe 





 Le bureau du Parlement européen embarrassé par une étrange caisse privée

Voilà pile trois décennies que les Européens élisent des eurodéputés très majoritairement issus des mêmes partis, prônant grosso modo la même organisation de l’Europe, approuvant les traités d'une même voix, et poussant en conséquence au même renforcement continu des pouvoirs de la machine bruxelloise, loin de tout contrôle des démocraties nationales. Résultat : opacité, abus et dérives aux frais des contribuables. L'affaire que je vais décrire ici, à deux mois et demi de l’élection européenne, en est une nouvelle illustration.



Le bureau du Parlement européen embarrassé par une étrange caisse privée

Une discrète et généreuse société privée luxem-bourgeoise 

En 1994, a été créé un fonds de pension privé par capitalisation volontaire suite à un intense lobbying de certains députés. Tout député européen peut en bénéficier en complément de la retraite de parlementaire versée par son Etat-membre d'élection : pour les eurodéputés français, c’est le Sénat ou l'Assemblée nationale, au choix. 

La Société d'investissement des représentants de l'Union européenne, dont le siège est judicieusement basé à Luxembourg (5, Allée Scheffer) est la banque qui gère ce fonds. Elle a connu quelques difficultés de lancement. En effet, la publicité pour ce fonds était faite au travers de prospectus qui ressemblaient étrangement à des documents officiels du Parlement européen, conduisant beaucoup de parlementaires européens à y souscrire les yeux fermés, sans réaliser qu'il s'agissait d'une caisse totalement privée. 

Dès la fin des années 90, certains fonctionnaires de la « maison » ont tiré la sonnette d'alarme sur le caractère totalement déséquilibré du régime, avec des cotisations bien trop faibles au regard du niveau des pensions versées.  Un premier assainissement a été tenté à l'époque, par l’augmentation de la cotisation, mais en continuant à permettre aux députés de la payer en se servant de l’indemnité de 4.052 euros qui leur est normalement allouée pour leurs frais dits généraux. Un drôle de transfert désormais interdit, depuis septembre 2008. 

1.113 membres du Parlement y ont souscrit depuis sa fondation en 1994, dont 478 membres actuels. Pour cinq ans de cotisation (un mandat), le fonds verse 1.394 euros mensuels de retraite en complément de la pension de base versée par l'Etat membre d'origine, pour neuf ans : 2.509 euros, pour vingt ans : 5.575 euros, l’équivalent de 200 années de cotisations sociales par un chef de famille moyen. Au même moment, en France, une personne sur quatre qui part à la retraite glisse instantanément sous le seuil de pauvreté (817 euros)... 

70% de pertes depuis le début de la crise financière 

Les valeurs mobilières de ce placement avaient atteint 212 millions d'euros avant la crise, deux tiers provenant directement du Parlement, le tiers restant étant couvert par les cotisations des eurodéputés. A la suite de la crise financière, ce fonds de retraite privé a fait, comme tout le monde, de très mauvaises affaires, et connaît de graves difficultés, que le bureau du Parlement européen, dont onze vice-présidents y ont eux mêmes adhéré, semble peiner à mesurer : des analystes financiers estiment à 70% le niveau des pertes enregistrées à ce jour. 

L'effondrement des cours des bourses mondiales met cette société d’investissement en péril et le nom du fonds Madoff est murmuré. Le financier américain déchu Bernard Madoff est soupçonné d’escroquerie et poursuivi aux Etats-Unis de onze chefs d'inculpation pour une fraude de plus de 50 milliards de dollars, qu'il a reconnu, la semaine dernière, avoir perpétrée. 

Caisse privée, garantie publique : le meilleur des deux mondes 

Or, on apprend que le Parlement européen serait caution solidaire de ce fonds de pension au bord de la faillite. En d’autres termes, la caisse de retraite privée des eurodéputés, victime de spéculations hasardeuses, serait garantie par les contribuables, qui pourraient bientôt avoir à combler les pertes considérables enregistrées depuis le début de la crise. 

La base juridique et la justification de ce montage paraissent d’autant plus douteux au regard de l’augmentation continue de la contribution de certains Etats-membres au budget européen (plus de 19 milliards d’euros versés annuellement par la France, deuxième contributeur net) alors que les finances publiques des Etats sont au plus mal, et que depuis quatorze ans, la Cour des comptes européennes se refuse à certifier le budget européen (voir mon rapport :
Ce que nous coûte l'Europe )

Lors de sa réunion du 9 mars, le Bureau du Parlement européen a décidé de créer un groupe de travail sur cette affaire, composé de trois vice-présidents. Gageons, pour l'impartialité de la décision qu'ils seront amenés à prendre, qu’ils sont bien les trois vice-présidents, sur les quatorze que compte le Parlement européen, qui n'y ont pas souscrit leur retraite complémentaire…

On se prend à rêver que les élections au Parlement européen de juin prochain signent un véritable renouvellement des hommes, un vrai changement de mentalité, donc la fin d'un système qui -Commission de Bruxelles comprise - s'autorise bien des dérives avec l'argent public européen, et l'avènement d'une organisation transparente et responsable, c'est à dire démocratique.

Christophe Beaudouin
Directeur de l'Observatoire de l'Europe

Sources :
Tricksen für die zweite Rente, par Hans-Martin Tillack, Die Stern, 26 février 2009

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