Six Euros

Publié le par Charlotte sceptix

mardi 6 décembre 2011, par Grosse Fatigue

Je fais la queue à La Poste. La Poste vient de dépenser beaucoup d’argent pour revoir son Front Office. Les bureaux sont dorénavant à droite au lieu d’être au fond. Ça change tout. Il a sans doute fallu faire venir des menuisiers, un maçon, un architecte d’intérieur. Il y a de la place pour les professionnels. Un comptoir leur est réservé. Une publicité nous indique que, pour qu’un courrier arrive le lendemain, il faut payer le juste prix. Je suis bien d’accord. Autrefois, c’était à peu près normal. Aujourd’hui, il faut payer le juste prix. Les temps changent.

Je pense à tout cela en la regardant.

Elle est jolie de dos et de profil. Je ne la vois pas de face. Elle est habillée très sommairement. A la manière de ces Africaines qui ont deux panoplies. La robe du soir élégante et la tenue de la ménagère pour l’amener jusqu’ici. Elle est en pantoufles.

On fait la queue. C’est dire si l’on est ensemble.

Elle avance enfin jusqu’au nouveau comptoir surmonté d’un écran plat tout à fait formidable qui nous vante des pays lointains avec des plages et du sable chaud, des cocotiers et pas un sauvage alentour. Un aquarium à l’envers du décor. Elle vient peut-être de là-bas. Il faut noter qu’elle ne jette même pas un coup d’œil vers la télévision, c’est sans doute trop cher. Personne ne regarde vraiment. Personne n’écoute non plus. Pourtant, il y a le son. Enfin je crois. Je suis de plus en plus sourd au monde. Robinson en quelque sorte.

Etre ici, c’est s’absenter.

Elle n’a décidément pas de chance : elle tombe sur le plus mauvais employé de la Poste. Un type gras et voûté et tout à fait gentil. Un type en 33 tours de Patrick Juvet je crois. Très très lent. Ils s’accordent dans un tempo décalé. Lui tango elle je ne sais pas. Mais on peut compter les rondes.

Et là, voilà : au beau milieu de la crise européenne. Au moment même où l’on va nous dégrader parce que l’on vit au-dessus de nos moyens, parce qu’on l’est aussi beaucoup, moyen. A l’épicentre de nos trouilles radiophoniques (mais j’imagine que la télé dit de même bien que je ne la regarde jamais), là, aujourd’hui, alors que c’est la fin du monde et que l’on va en mourir. (Notez bien que l’important n’est plus du tout le nombre de chômeurs et l’absence de travail. Ce qui compte, c’est le triple A. Fou, non ??).

Donc là. Elle demande à retirer de l’argent de son compte.

C’est un geste assez simple.

Elle demande 6 Euros.

6 Euros.

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Publié dans SOCIETE

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R
<br /> combien de fois on a vu des courriers envoyés entre Lille et Arras (50 kilomètres) mettre 4 jours ! <br />
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M
<br /> Pour la poste, j'ai un colis parti le jeudi 8 décembre, et ce soir lundi 12 décembre, toujours rien : c'était un colissimo !<br />
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R
<br /> en 1961 TOUS les courriers pour la france métropolitaine arrivaient le lendemain sans supplément de prix, et tout le monde considérait ça normal, les postiers les premiers.<br /> <br /> <br /> Et les centres de tri n'étaient pas informatisés.<br />
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