Pire qu'en 1929 : 2009, année de tous les dangers

Publié le par sceptix

Rétroaction* dépressive mondiale (radicalisation de la crise) : 2009, année de tous les dangers

 

AUTEUR:  Jorge BEINSTEIN

Traduit par  Esteban G., révisé par Fausto Giudice


Au début de 2007 c’était Alan Greenspan, qui avait alors déjà quitté la présidence de la Réserve Fédérale US, qui avait sonné l’alarme sur la prochaine arrivée de la récession aux USA. La prophétie s’est accomplie vers la fin la cette même année. Maintenant c’est Gordon Brown, le Premier ministre d’Angleterre qui devant la Chambre des Communes, début février 2009, en pleine récession, a annoncé l'arrivée de la dépression mondiale. Comme il fallait s’y attendre la parole maudite a été rapidement démentie officiellement et attribuée à une « gaffe » (1), une expression involontaire de Brown, mais le sujet s’est installé, précédé par un certain nombre de commentaires et d’articles de spécialistes qui coïncident avec cette affirmation. Presqu'en même temps le président français, Nicolas Sarkozy, a qualifié la crise de « la pire depuis un siècle » et dans sa conférence de presse du 9 février Barack Obama a rejoint ces visions « catastrophistes » (réalistes).

2009 apparaît comme l’année-de-tous-les-dangers, il est très difficile de pronostiquer le rythme de la crise en cours surtout parce qu'elle n'a pas de précédents dans l'histoire du capitalisme ; son caractère systémique, son caractère pluriel (économique, énergétique, militaire, institutionnelle, technologique, environnementale, idéologique) et les interrelations entre ses diverses composantes lui confèrent un comportement erratique, presque (mais pas totalement) imprévisible.

De toute façon un ensemble d'indicateurs nous signalent que la rétroaction récessive mondiale qui s’est développée tout au long de 2008 entre maintenant dans une nouvelle étape caractérisée par de grandes chutes de production et des hausses du chômage dans les pays centraux et dans la majeure partie de la périphérie. Il s'agit d'une rétroaction dépressive mondiale qui s’installe et avance face à l'impotence des gouvernements des pays riches qui constatent que les pluies de billions de dollars, d’euros, etc., dont ils ont arrosé leurs marchés ne parviennent pas à freiner l'avalanche.


“Finis” ( la fin, en latin), dessin de Starrett, 27/12/1929. La machine est un téléscripteur, qui imprimait les informations sur les cours des actions.


Tout comme au début de l'étape précédente, le moteur de la crise se trouve aux USA où pendant le dernier trimestre 2008 et au début 2009 sont apparues des données alarmantes annonçant l'arrivée imminente de la dépression.

Au quatrième trimestre 2008 le Produit Intérieur Brut moyen a chuté à un taux annuel de 3,8% (sans compter l'accumulation des inventaires, la baisse dépasse les 5%), la production industrielle a baissé de 11%, la consommation de biens durables de 22%, celle de biens non durables de 7% et les exportations de 22%. Les informations disponibles du premier mois 2009 (consommation, chômage, cours de la bourse, quelques secteurs industriels décisifs comme celui de l'automobile, etc.) indiquent que la tendance récessive s’approfondit. Aux baisses de la production et de la consommation s’ajoute l'augmentation rapide de l’épargne personnelle, impulsée par la crainte du chômage et de la perte de revenus, ce qui réduira encore plus la consommation et poussera à son tour la production industrielle vers le bas. Tout au long de 2008 le classique cercle vicieux récessif s’est mis en marche c'est-à-dire que la consommation, la production et l'investissement interagissent négativement : la récession provoque encore plus de récession. Il y a eu un rapide appauvrissement du gros de la population, dans certains cas il s'agit de pertes de richesses illusoires comme l'avait été l'augmentation de la bulle des actions et des valeurs immobilières qui poussaient la consommation de leurs bénéficiaires et dans d'autres cas de pertes réelles d’emplois, de salaires et de logements.

Deux informations peuvent être utiles pour évaluer l'ampleur de la catastrophe, la première relative à la contraction de la richesse provoquée par l'effondrement financier. La richesse nette de la population usaméricaine (valeur des propriétés, des actions, etc., moins les dettes) avait diminué au début 2009 de quelques 14 billions (millions de millions) de dollars courants par rapport à la valeur moyenne de 2007, chiffre équivalent au Produit Intérieur Brut des USA (2).

La seconde information nous éclaire sur l'impact social de la crise, le chômage « officiel », c'est-à-dire celui enregistré ainsi par le gouvernement, a progressivement augmenté tout au long de 2007 et s’est accéléré à partir du milieu de 2008, en octobre il comptait plus de 10 millions de personnes, en décembre il dépassait 11 millions (7,2% de la population économiquement active). Toutefois ce chiffre sous-estime le problème parce qu'aux 11,1 millions de chômeurs officiels de décembre 2008 (3,6 millions de plus qu'en décembre 2007) il est nécessaire d'ajouter 2,6 millions de chômeurs de « longue durée » (avec 27 semaines ou plus sans emploi), ce secteur a augmenté de 1,3 millions de personnes dans l’année 2008, d'autre part le nombre de travailleurs précaires atteignait quelque 8 millions (ils étaient 4,6 millions un an plus tôt). En ajoutant les chômeurs officiels chroniques et les travailleurs précaires on arrive en décembre 2008 à presque 22 millions de personnes, contre 13,5 millions un an plus tôt (3) ; il s'agit d’un saut dans le vide de plus de 8 millions de personnes.


"Hé le clochard, degage de là! C’est la queue pour le pain des millionaires !" Dessin anonyme, 20/12/1929


Insolvabilité et accélération de la crise

Les principaux indicateurs économiques et sociaux nous indiquent que la crise s’accélère et que l'augmentation du rythme pointe vers un grand saut qualitatif, un effondrement catastrophique de l'économie usaméricaine qui entraînera sûrement l'ensemble du système mondial.

Au second trimestre 2008 le Produit Intérieur Brut réel a augmenté d’un taux annuel de 3,3%, durant troisième trimestre il a eu un chiffre légèrement négatif (- 0,5%) et au quatrième trimestre il a fortement chuté (- 3,8%).

La baisse de la production industrielle s’est accélérée tout au long de l'année passée, l'indice moyen du second trimestre a chuté de 0,9% par rapport au premier, celui du troisième a baissé de 2,3% par rapport au deuxième et celui du quatrième trimestre a diminué de 3% (4).

La consommation par habitant qui avait stagné en termes réels pendant les premiers mois de 2008 a amorcé une baisse persistante au second semestre qui tend à s'accentuer au début de 2009 (5).

Tout au long de 2007 et jusqu'au mois avril 2008 la masse de chômeurs officiels présentait une courbe faiblement ascendante, mais en mai elle a fait un bond de l'ordre de 11%, à partir là la croissance du chômage s’est accélérée, dans les cinq trimestres qui vont de janvier 2007 à mars 2008 le taux moyen trimestriel d'augmentation du volume de chômeurs n’a jamais dépassé 1,5%, mais dans le troisième trimestre 2008 il est monté à 3,5% et au quatrième à 5%. En décembre 2008, est venu s’ajouter le chiffre net de 630.000 nouveaux chômeurs, en janvier 2009 le même chiffre approximatif s’est répété (6).

L'indice de prix des logements descend à une vitesse constante depuis le milieu de 2008, 10% de baisse sur toute l’année 2008 (7).

Dans les 12 mois qui vont d’octobre 2007 à la mi-septembre 2008 la capitalisation boursière usaméricaine a baissé de quelques quatre billions (millions de millions) de dollars, mais seulement dans les quatre mois suivants elle a chuté d’un montant semblable, la baisse mensuelle moyenne est alors passée de 333 milliards de dollars pour la première période à un billion de dollars pour la seconde (presque 7 % du PIB par mois) (8). Finalement, le taux d’épargne sur le revenu personnel disponible qui s’était maintenu proche de zéro durant les dernières années est passé de 1,2 % au troisième trimestre 2008 à 2,9 % au quatrième trimestre et il existe un consensus dans les prévisions connues qui le situe autour de 5 % avant la fin de l'année, ce qui va accentuer ainsi la baisse de la consommation (9).

Si la tendance à l'accélération de la chute économique ne peut pas être freinée tout paraît indiquer qu’en 2009 il se produira la Grande Dépression, beaucoup plus grande que celle des années 1930.

Depuis que s'est produit l'effondrement financier à la mi-septembre de l'an passé, le gouvernement (Bush et ensuite Obama) a essayé d'atténuer la chute au moyen de subventions en millions distribuées d'abord aux banques, ensuite aux industries clé comme celle de l’automobile et finalement aux consommateurs. Toutefois ces injections de fonds qui augmentent dangereusement la dette et le déficit public n'ont pas atteint l'objectif recherché, parce que derrière la crise de liquidité, du manque de crédit, se trouve le phénomène de surendettement public et surtout du privé qui a placé dans de nombreuses entreprises et dans une énorme masse de consommateurs qui sont insolvables ou près de l’être. Cela ne s’arrange pas en injectant de l'argent sur le marché, ces interventions produisent à peine quelques soulagements passagers qui évitent que l’un ou l’autre s’effondre, elles retardent un peu la dépression sans pouvoir empêcher son arrivée. À leur tour l'insolvabilité et le surendettement sont le résultat d'une décadence productive prolongée associée à l’encouragement du parasitisme financier qui dure approximativement depuis quatre décennies ; c’est l'ensemble du système qui est entré en crise.

Piège mondial

Tout comme dans la période de récession (2008) il n'existe aucune possibilité d’inverser la rétroaction, l'articulation commerciale, productive et financière de l'économie mondiale opère comme un piège gigantesque dont personne ne peut échapper. Il faudra attendre que le temps (la prolongation de la crise) produise des facteurs de désarticulation, de fracture capables de briser l'unité du système, pour que cela se produise il devrait y avoir une faillite durable du commerce et de la trame monétaire internationale (si cela venait à se produire, la réflexion reste ouverte sur les possibilités de survie du capitalisme en tant que culture universelle).

Pour le moment l'effondrement est général, la plupart des pays européens passent de la récession à la dépression, le Japon suit le même chemin. La Chine s’achemine vers une forte baisse de son taux de croissance du PIB, quelques prévisions le situent autour de 6 % pour 2009 avec des conséquences économiques et sociales équivalentes à une récession, le Brésil et la Russie se sont déjà joints au dégonflement mondial, l'Organisation Internationale du Travail vient de présenter un scénario pour 2009 qui comprend cinquante millions de chômeurs en plus (10).


“Remontée de trois points ? Oh mon Dieu, j'ai sauté trop tôt!" Dessin de Frank Hanley, 10 janvier 1930. Référence à la mythologe de la Grande Dépression, selon laquelle les actionnaires ruinés par le Jeudi Noir se défenestraient en masse des gratte-ciels de New York.


Dépression psychologique

La dépression économique est précédée par une vague de dépression psychologique qui après quelques premiers pas timides au milieu de la récession de 2008 se développe actuellement à toute vitesse parmi les élites dominantes du monde, le pessimisme s’approprie de l'univers culturel du capitalisme, ses illusions de domination impériale du monde se dissolvent dans l'océan de la crise. Ce climat a bien été exprimé à son début par Richard Haass, président du Conseil des Relations Internationales des USA, lorsque dans un article publié en mai 2008 il signalait la fin de l'hégémonie globale usaméricaine et la naissance d'un monde progressivement dépolarisé (11), c'est-à-dire le principe de la fin de la pluriséculaire et complexe construction coloniale de l'Occident. Vers le milieu du mois de décembre James Rickards, figure clé de l'appareil de renseignement usaméricain a présenté un rapport patronné par l'U.S. Navy débordant de prévisions sinistres : depuis l’effondrement du dollar et des titres publics usaméricains jusqu'à des réductions du Produit Intérieur Brut de l'ordre de 30% au cours des cinq prochaines années et des taux de chômage semblables à ceux des années 1930 (12). Finalement le dernier Forum de Davos, réunion des stars du gratin de la mondialisation néolibérale, a été dominée par les constats d’impuissance devant une crise accablante, les chefs d'entreprise transnationales et les dirigeants des grandes puissances ont pleuré sur les restes d'un monde qu'ils étaient arrivés à croire éternel.

Cette rétroaction mondiale du pessimisme idéologique et de la dépression économique pourrait être vue en première analyse comme le début de la fin de la post-guerre froide, période ayant duré deux décennies marquées par la domination globale des USA, un essor sans précédent de la spéculation financière et une intégration transnationale très avancée des systèmes productifs, elle pourrait aussi être décrite comme une ère néolibérale fossoyeuse du keynésianisme, de l’étatisme bourgeois développé. Cependant ce serait là des interprétations très limitées, exemptes d'une vision historique plus vaste puisque ledit néo-libéralisme n'a rien été d’autre que le discours triomphaliste de la dégradation financière, parasitaire du capitalisme keynésien. Aux USA l'État militariste et interventionniste ne s’est jamais retiré de la scène et dans les autres grandes puissances l'intervention volontariste de l'État a toujours été présente bien qu'au service d'un capitalisme mondialisé et financiarisé dont la dynamique a fini par ébranler, corrompre profondément les systèmes institutionnels sur lesquels il s'appuyait. C'est toute l'histoire du capitalisme (ses grands paradigmes scientifiques et technologiques, son style de consommation, ses systèmes productifs, sa culture impériale) qui commence maintenant à partir à la dérive.

 

* Rétroaction : phénomène qui se déclenche, persiste et s’amplifie en s’autoalimentant. La rétroaction (en anglais feedback, en espagnol acople), est, au sens large, l’action en retour d’un effet sur le dispositif qui lui a donné naissance, et donc, ainsi, sur elle-même. C’est-à-dire que la valeur de sortie (à une date antérieure) fait partie des éléments de la commande du dispositif.[NdT]

Notes

(1), Philip Webster, "Comment: Brown on depression - a gaffe and that's official", Times Online, February 4, 2009.

(2), Federal Reserve Statistical Release, Flow of Funds Account in United States et leurs propres estimations.

(3), U.S. Bureau of Labor Statistics, “The employment situation: December 2008”.

(4), Federal Reserve Statistical Release, Industrial Production and Capacity Utilization.

(5), Bureau of Economic Analysis, National Economic Accounts, Real Personal Consumption Expenditures.

(6), U.S. Bureau of Labor Statistics-

(7), House Price Index, OFHEO, U.S. Office of Federal Housing Enterprise Oversight.

(8), World Federation of Exchanges.

(9), Personal Saving Rate, U.S. Bureau of Economic Analysis, National Economic Accounts.

(10), “Global jobs losses could hit 51 m”, BBC News, 2009-01-28.

(11), Richard Haass, “The Age of Non polarity. What Will Follow U.S. Dominance”, Foreign Affairs, May/June 2008.

(12), Eamon Javers, "Four really, really bad scenarios", Politico.com, 17 décembre 2008.


 

Source :  Acople depresivo global (radicalización de la crisis)

Dessins de presse de la Grande Dépression reproduits par l’excellent blog
http://www.archelaus-cards.com  

Article original publié le 14/2/2009

Sur l’auteur

Esteban G. et Fausto Giudice sont membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur, le traducteur, le réviseur et la source.

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