Rapport de l'ONU sur la guerre à Gaza. Israël torpille les enquêteurs

Publié le par sceptix


Par Michel Bührer

GENÈVE. L’enquête du juge Goldstone sur le conflit entre le Hamas et Israël sera présentée mardi au Conseil des droits de l’homme. L’Etat hébreu, qui n’a pas collaboré, le rejette en bloc.
 
La journée sera chaude mardi 29 septembre pour Aharon Leshno Yaar, ambassadeur d’Israël aux Nations Unies à Genève. Le rapport sur la guerre menée à Gaza du 27 décembre 2008 au 18 janvier 2009 sera en effet présenté et mis en discussion au Conseil des droits de l’homme, qui l’a commandité en janvier. Le volumineux document conclut à de très graves violations envers les droits humains (lire encadré en page 16). Le Hamas et l’armée israélienne sont mis en cause, mais les agissements de l’Etat hébreu et leur gravité occupent une part très substantielle du rapport.
La mission israélienne à Genève est coutumière des attaques au Conseil des droits de l’homme. Les territoires palestiniens occupés constituent un objet à l’ordre du jour de toutes les sessions, un rapporteur suit le dossier en permanence et Israël a fait l’objet de plus de sessions spéciales que n’importe quel autre pays, y compris les moins démocratiques de la planète.

Un pedigree impeccable. Mais cette fois, c’est différent. La commission qui a rédigé le rapport est présidée par le juge sud-africain Richard Goldstone, juif luimême et sioniste, selon les déclarations de sa propre fille sur une radio israélienne. Ancien procureur des tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, il a aussi, entre autres, supervisé la transition de son pays de l’apartheid à la démocratie. Un pedigree impeccable en termes d’intégrité et de défense des droits de l’homme.
La résolution du Conseil des droits de l’homme, qui demandait une enquête sur l’opération «Plomb durci», était pourtant mal partie: déposé par Cuba, l’Egypte (au nom des groupes de pays arabes et africains) et le Pakistan (au nom de l’Organisation de la conférence islamique), le projet se focalisait sur les violations commises par Israël uniquement. Résultat, à défaut d’obtenir un texte plus équilibré, treize pays s’abstiendront lors du vote, taxant le mandat d’unilatéral. Parmi eux, les délégués de l’UE et la Suisse. La résolution sera finalement acceptée à une majorité de 33 voix sur 47.
Israël avait toutes les raisons de dénoncer un mandat biaisé. Deux personnalités, Mary Robinson et Martti Ahtisaari, firent pareil en refusant de diriger la commission d’enquête. Le président du conseil, Martin Ihoeghian Uhomoibhi, approcha alors Richard Gold-stone. Celuici déclina dans un premier temps, pour les mêmes raisons. Mais le premier lui proposa de modifier le mandat pour inclure la conduite du Hamas. Le texte fut discuté avec les délégations de Cuba, de l’Egypte et du Pakistan, puis communiqué au conseil, sans objection. Le 3 avril 2009, le juge Goldstone envoyait une lettre à l’ambassadeur Aharon Leshno Yaar pour lui demander la coopération de son gouvernement.
«J’ai cru un peu naïvement sans doute qu’Israël allait saisir l’occasion d’avoir une mission des Nations Unies avec un mandat équilibré qui allait étudier toutes les allégations», dira Richard Goldstone dans un entretien au quotidien sud-africain Business Day. Dans sa réponse, l’ambassadeur signifie le refus de son gouvernement: celui-ci estime que la base «légale» de la mission demeure la résolution du conseil, qui préjuge de ses conclusions.
Interrogé par L’Hebdo, Aharon Leshno Yaar confirme: «Le Conseil est partial, la résolution est partiale, participer à l’enquête les aurait légitimés.» La position d’Israël ne bougera plus, malgré une série de courriers insistants du juge Goldstone. Cet échange figure en annexe de son rapport.
Ce refus empêchait paradoxalement l’accès au territoire israélien et les enquêtes in situ sur les attaques du Hamas. Le juge Goldstone contournera la difficulté en organisant des auditions (certaines diffusées sur l’internet) à Amman (Jordanie) et à Genève. Des résidents de Sdérot et le père de Guilad Shalit, le soldat prisonnier du Hamas, y participèrent.

Tirer sur le messager. De nombreuses ONG ont publié leur propre rapport durant l’été, comme Amnesty International et Human Rights Watch. La ligne de défense des organisations qui défendent Israël consiste en général à tirer sur le messager pour éviter de parler du fond. Suivant les cas, ils sont accusés de poursuivre des buts politiques, d’être financés par l’étranger, de propager des témoignages peu crédibles, ou d’être antisionistes, voire antisémites. Il se trouve que Richard Goldstone fut membre du «conseil d’administration» de Human Rights Watch. Ce qui permet au directeur de NGO Monitor de jeter le discrédit sur le rapport onusien, le taxant de «575 pages de copier-coller des ONG».
Une membre de la commission, Christine Chinkin, fut aussi attaquée sur son impartialité, pour avoir été l’une des 27 personnalités signataires d’une lettre dans le Sunday Times du 11 janvier, affirmant que l’opération «Plomb durci» était une agression. L’organisation UN Watch, qui défend notamment les positions israéliennes à l’ONU, a lancé une pétition pour qu’elle se retire ou soit démise.
Une autre organisation, Eye on the UN, basée aux Etats-Unis et féroce soutien d’Israël, choisit l’outrance: elle qualifie la commission Goldstone de «UN Blood Libel» (littéralement «diffamation du sang»), en référence aux accusations antisémites répandues au cours de l’histoire qui imputaient à certains rituels juifs l’usage de sang humain...
Le ministère des Affaires étrangères a publié de son côté, en juillet, un opuscule de 158 pages (Opération à Gaza: aspects légaux et factuels) comme une réplique anticipée au rapport Goldstone. Il conclut que le recours à la force d’Israël était une réponse «à la fois nécessaire et proportionnelle» aux attaques du Hamas. Le 15 septembre le même ministère a ouvert un site internet reprenant les mêmes éléments, «Gaza Facts». On y trouve aussi en liens les ONG aux positions plus radicales.
Les Etats-Unis, élus en juin au Conseil des droits de l’homme, ont déjà fait part de leur «réserve» quant aux conclusions et recommandations du rapport. Cela laisse la porte ouverte à un marchandage plus large sur le processus de paix. La Suisse (qui n’est plus membre du conseil, depuis son renouvellement d’un tiers en juin dernier, peut néanmoins s’exprimer comme tout autre pays), jugerait le rapport «exhaustif» et réalisé dans un «souci d’impartialité», selon des sources qui ont vu le premier projet de prise de position.

Vu d’Israël, peu de doutes. En Israël, quelques commentateurs se demandent s’il n’aurait pas mieux valu collaborer à l’enquête. Question d’image et de crédibilité. Alors, Israël ne pouvait-il pas faire confiance en la personne du juge Goldstone? «Je fais confiance au système judiciaire israélien», répond du tac au tac l’ambassadeur Leshno Yaar, à qui nous avons posé la question. Mais quid de l’indépendance, si Israël enquête sur ses propres agissements? «Nous avons une Cour suprême indépendante, n’importe qui peut se plaindre. Nous n’avons pas besoin d’interférences extérieures.» En clair: que la commission soit partiale ou non, peu importe.



Le rapport Goldstone en 4 points
LES AUTRE MEMBRES DE LA MISSION Christine Chinkin, professeur de droit international; Hina Jilani, avocate à la Cour suprême du Pakistan; Desmond Travers, ex-colonel de l’armée irlandaise.
LE RAPPORT EN CHIFFRES trois mois d’enquête; 10 000 pages de documents revus; 36 incidents recensés; 188 interviews individuelles; 30 vidéos visionnées; 575 pages de rapport final.
LES CONCLUSIONS le rapport conclut à des violations sérieuses des droits de l’homme et du droit humanitaire international, ainsi qu’à de possibles crimes de guerre et crimes contre l’humanité de la part des Israéliens et des Palestiniens. Ces derniers sont accusés d’avoir terrorisé les civils du sud d’Israël par des tirs de roquettes. Tsahal, de son côté, est accusé d’avoir mené des opérations disproportionnées contre la population de Gaza dans un but punitif. Dans la majorité des cas, la commission note une absence de distinction entre cibles civiles et militaires.
LES RECOMMANDATIONS le rapport recommande aux parties concernées d’enquêter sur ces abus; au Conseil de Sécurité de nommer une commission pour vérifier que cela soit fait; et de saisir la Cour internationale de justice si ce n’est pas le cas.

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