Sortie de crise : le retour du baratin

Publié le par sceptix

Philippe Cohen - Marianne | Lundi 28 Septembre 2009


C'est en tout cas l'avis du Gobal Europe Anticipation Bulletin, une publication d'experts européens qui ne se payent pas de mots : pour eux, les indices souriants publiés un peu partout depuis cet été tiennent de la poudre de perlimpimpin. En réalité, expliquent-ils, on ne prend pas le problème par le bon bout, celui de la monnaie et de l'appauvrissement des classes moyennes.



Wishfool thinking! L'autopersuation au poste de commande. Le G20 nous a été vendu comme un formidable succès mettant fin aux bonus et aux paradis fiscaux. On sait ce qu'il faut en penser.
Voici à présent que la croissance française rebondit. Osannah! L'INSEE a parlé, le gouvernement est soulagé : le PIB de la France a crû de 0,3% au second trimestre et ce rebond devrait se poursuivre au troisième trimestre. In fine, la récession en 2009 devrait finalement se limiter à 2,25% (contre une estimation antérieure de 3%).

Dans les jours qui viennent Christine Lagarde, ministre de l'Economie et même le Président ne devraient pas manquer de souligner que ces performances, meilleures que celles de nos pays voisins, doivent quelque chose à l'action du pouvoir et notamment au plan de relance mis en place dès le début du cycle de récession.
Ils ont raison et tort à la fois. Raison parce que le rebond actuel doit beaucoup en effet à l'injection massive de capitaux publics, comme dans la plupart des pays du G20. Mais ils ont tort parce que cette reprise est, justement pour cette raison, très artificielle.
Comme d'habitude, chacun veut croire à un horizon dégagé avec une reprise progressive de la croissance, agrémenté de discussions à n'en plus finir sur la lettre de l'alphabet la plus apte à décrire la conjoncture : le V, le L ou le W ?. Du coup, ni les économistes, ni les médias ne relayent certaines analyses plus pessimistes, mais aussi plus réalistes, comme la dernière note du Global Europe Anticipaion Bulletin. Que disent ces experts indifférents aux actuels « smily » boursiers ?

1°) Les bonnes nouvelles économiques ne proviennent que du soutien financier des Etats. Chacun sait que lorsque l'on injecte dans les économies des sommes correspondant à 1 ou 2% du PIB, on relance forcément la consommation et les investissements. Pour combien de temps ? La décision du récent G20 des ministres des Finances d'encourager à poursuivre ces politiques de soutien sous des formes diverses montre que nous aurions assisté à un véritable effondrement des économies développées sans ces mesures étatiques. 
 
2°) Rien n'est entrepris pour modifier le système monétaire qui, selon le GEAB, est au coeur de la crise systémique actuelle. Les autorités chinoises sont en train de creuser des galeries, voire des tunnels qui leur permettront bientôt de s'évader du piège dollar. Si rien n'est entrepris par les Européens pour bâtir une alternative au roi dollar, ce sera le règne du chacun pour soi dès que la Chine se sera débarassée de ses bons du Trésor. En attendant, les exportations européennes sont durement pénalisées par la surévaluation de l'euro.

3°) Les indicateurs utilisés par les dirigeants du monde sont de plus en plus disjoints de la réalité économique. De ce point de vue, la baisse estivale du chômage aux Etats-Unis et en France constitue, selon le GEAB, une véritable aberration : « Quant aux multiples indicateurs ressassés à longueur de médias financiers pour indiquer que la reprise est proche (sinon déjà là, comme diraient les banquiers), souvenons-nous que ces mêmes indicateurs (fournis par les FED, BCE, FMI et autres OCDE…) étaient tous au beau fixe à l'été 2008. On connaît la suite. Leur capacité de prédiction de l'avenir a donc déjà largement été testée au cours des deux dernières années : ceux qui ont perdu leur emploi et leurs économies ont pu l'évaluer douloureusement. »
Un autre exemple, très éloquent : comment la Chine peut afficher une croissance de 8% du PIB avec un écroulement de 25% de ses exportations et une stagnation de la consommation ?

Le G20 montre le doigt mais le GEAB montre la lune, avec, par exemple, cet indicateur étonnant sur le commerce mondiale :



Sortie de crise : le retour du baratin

4°) Il faut donc, conclut le GEAB, se focaliser sur des indices qui traduisent la réalité économique. Le taux de chômage américain se rapproche de 20%, et le pouvoir d'achat des consommateurs américains, qui a déjà connu une baisse historique en 2008, risque fort de baisser de 50%, comme en témoigne l'énorme chute, en un an, des crédits à la consommation, soit 26 milliards de dollars !

Bien sûr, cette atonie de la consommation ne stimule guère les investissements : « Aux Etats-Unis, conclut la note du GEAB, un retour à la situation ex-ante demanderait environ 2.500 milliers de milliards de liquidités dans l'économie chaque année. Le stimulus de Barack Obama, avec ses moins de 400 milliards par an sur deux ans, est assez loin du compte s'il doit pallier simultanément la défection des ménages et des entreprises ». Un autre indice-clé cité par le GEAB montre que le taux d'utilisation des capacités de production des entreprises américaines pique du nez à des niveaux inédits depuis la guerre.

5°) Pour finir, concluent les experts du GEAB, la seule reprise prévisible est celle des hausses d'impôts, dont on ne voit pas comment on pourra les éviter, compte tenu du niveau d'endettement auquel les grandes puissances sont en train de parvenir. L'augmentation considérable de la taxe foncière (28%!) n'est, à ce titre, que le premier prémice de ce qui nous attend. L'incroyable proposition d'imposer à 500 000 infirmier(e)s français une cotisation annuelle de 75 euros à un ordre  professionnel, si elle n'a rien à voir avec la crise, illustre bien l'inconscience des dirigeants sur la situation réelle de ces catégories sociales.

Bref, tout se passe comme si les bons indices, les bonnes nouvelles, la reprise boursière brouillaient notre lucidité et détournaient notre regard de ce qui se prépare : une formidable rechute débouchant sur une situation économique chaotique qui, selon le GEAB, durera près de dix ans.
Un conseil donc, aux économistes (Jean-Marc Sylvestre, Dominique Seux, Martial You et les autres) : lisez cette note, et posez les bonnes questions aux ministres qui multiplient les séances d'auto-congratulation, à l'instar de Christine Lagarde hier sur RTL
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