En Grèce comme ailleurs : l'alibi de la dette ? (pour la mise en place d'une gouvernance économique européenne ?)

Publié le par sceptix

 

 

Après avoir dépensé des centaines de milliards d'euros ou de dollars dans différents plans dits de « relance » de l'activité économique ainsi que, surtout, dans le soutien du système financier, tous les gouvernements, et pas seulement le gouvernement grec, semblent avoir désormais choisi la voie de la « sortie budgétaire ». Ce choix est estimé nécessaire afin de maîtriser les déficits alors même que le risque existe de produire un impact négatif sur une croissance restant très fragile.
 
Prenant quelque distance avec l'unanimisme ambiant, nous voulons donner suite aux observations et interrogations exprimées par Paul Krugman aux Etats-Unis ou Paul Jorion en France. Le premier n'hésite pas, en effet, à dénoncer « l'hystérie des déficits » (New York Times, 5 février) alors que le second s'interroge « la dette est-elle un boulet ou un prétexte ? » (Le Monde, 9 février), penchant plutôt pour la deuxième hypothèse.
 
En nous centrant sur le cas de la Grèce, nous évoquerons d'abord les maux dont souffre ce pays (1.), puis nous commenterons la nature des « doutes » que l'on prête aux marchés lorsque ceux-ci semblent s'effaroucher du niveau des déséquilibres des comptes publics de certains Etats (2.). Enfin nous examinerons les issues actuellement privilégiées, en Grèce comme ailleurs, pour réduire les déficits et restaurer la « confiance des marchés » (3).
 
Nous conclurons ce papier en évoquant une victoire espérée par certains, comme issue positive de la crise grecque, de la « construction européenne » dans le sens d'une plus grande intégration.
 
 

1.   Les maux de la Grèce : un miroir déformant ?

 
La Grèce est un des quatre pays de la zone Euro que certains, dont la raillerie n'a d'égale que la vulgarité, auront désignés comme les « PIGS » (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne) en raison de la dérive de leurs comptes publics assimilée à du laxisme.
 
La corruption et le développement d'une économie parallèle : des phénomènes à évaluer avec prudence et discernement
S'agissant de la Grèce, les déficits publics expriment en grande partie ce qui pourrait de façon superficielle être considéré comme une réticence à payer l'impôt, voire un « sport » national consistant à tricher devant les obligations fiscales. De façon plus précise, il est probable que ce pays souffre de divers maux liés entre eux, maux qui s'expriment par des pertes considérables de ressources fiscales. La Grèce souffre d'une corruption à tous les étages de la société et d'abord dans les milieux ayant l'accès le plus aisé aux ressources financières. Il souffre également d'une économie parallèle pratiquant, par définition, la fraude fiscale, mais qui est loin de s'arrêter aux seules professions comme les taxis ou les plombiers. De nombreux grecs, en raison de la faiblesse des salaires et du coût réel des études de leurs enfants (devant prendre des cours du soir en raison du délabrement de l'enseignement public) ou de celui de la santé (où règnent les dessous de table sous forme « d'enveloppes »), sont
obligés d'occuper deux emplois, l'un légal, l'autre, parfois, dans le secteur de l'économie parallèle. Ce cumul, loin d'être synonyme de grand confort, se traduit par des horaires de travail souvent bien supérieurs à ceux que l'on trouve dans les statistiques officielles. A l'heure où, en France, se multiplient les situations subies de double emploi, certains feraient mieux d'y penser à deux fois avant de critiquer ces « cumulards »...
 
Clientélisme et poids des familles dans la vie politique grecque

Le clientélisme, un autre mal qui ronge la vie publique grecque, est une sorte de caricature de la démocratie consistant à « faire plaisir » à ses amis ou à ses électeurs. Si l'accent est souvent mis sur les seconds, il convient de ne pas oublier les premiers. Les amis du pouvoir n'ont jamais été oubliés par celui-ci en Grèce et il ne s'agit pas vraiment des classes populaires. Les amis du pouvoir sont plutôt les armateurs, particulièrement puissants comme on le sait et qui transportent des marchandises dans des eaux qui ne sont pas toujours limpides,  ou des gros
entrepreneurs du secteur du BTP bien servis grâce aux fonds structurels. Il y a là une grande constance de la politique grecque même si celle-ci ne diffère peut-être pas tant que cela de ce qui est observable sous d'autres latitudes lorsque l'on évoque l'influence des « lobbies » et autres groupes de pression. Le corollaire du clientélisme est la domination de la vie politique grecque par un nombre limité de familles qui se comportent en véritables propriétaires du système. Le père et le grand-père de l'actuel Premier ministre, Georges Papandréou, ont été
eux-mêmes, pendant de nombreuses années, Premiers ministres. Mais les Papandréou, classés à gauche, ne sont pas les seuls. A droite, et pour ne citer qu'un seul exemple correspondant, la famille Karamanlis a également produit deux Premiers ministres, dont le prédécesseur de Georges Papandréou, Kostas Karamanlis, battu aux dernières élections. Si ce phénomène n'est que marginal en France, cela n'est pas vrai d'autres démocraties occidentales.
L'exemple américain est ici fortement illustratif, les familles Kennedy et Bush étant de véritables dynasties patriciennes.
 
Un manque de transparence certain
Corruption, économie parallèle, clientélisme, le tableau des maux qui affectent la vie publique grecque serait incomplet si l'on omettait le manque de transparence. S'agissant de cette dernière, il est difficile de considérer comme acceptable la manipulation des comptes, que ceux-ci soient privés (que l'on se rappelle, par exemple, le cas d'Enron ou Parmalat) ou publics. On ne peut donc que regretter que des gouvernements manipulent les comptes,
faisant tout pour apparaître comme des gestionnaires plus sincères et plus efficaces que leurs prédécesseurs. Mais là encore, si la Grèce du fait de l'absence d'un office indépendant des statistiques et de ministères au contour flou, a atteint des sommets, il n'est pas sûr que les pays démocratiques (pour ne pas parler des autres) soient à même de donner des leçons de civisme sans crainte de se voir reprocher des pratiques identiques même si de moindre
ampleur. Un effort de mémoire en France donnerait sans doute ici des résultats intéressants s'agissant des bilans souvent faits ou refaits lors des changements de majorité.
 
Une Grèce qui vit au-dessus de ses moyens aux dépens des autres peuples européens ?
Alors, oui, la Grèce doit sans doute changer et combattre les différents maux que nous venons d'évoquer pour ne pas « sombrer », comme en a fait son slogan l'actuel Premier ministre, Georges Papandréou, pendant la récente campagne électorale. Mais le changement nécessaire concerne des problèmes qui ne sont pas totalement inconnus dans d'autres pays et ne  justifie sans doute pas les campagnes de dénigrements actuelles. A titre d'illustration, à propos des aides à accorder éventuellement à la Grèce, il a pu être dit « l'on n'aide pas un alcoolique en lui donnant encore une nouvelle bouteille d'eau de vie » (un député libéral allemand, cité par Le Monde, 13 février). A propos des retraites, le quotidien conservateur allemand, FAZ, a pu s'interroger, oubliant le sens des proportions (la Grèce ne pesant qu'un dixième du poids économique de l'Allemagne) « Les Allemands doivent-ils travailler non plus jusqu'à 67 mais jusqu'à 69 ans pour que les Grecs profitent de leur préretraite ? » (cité dans le Monde, 13 février).
 
Enfin, il est souvent dit que la Grèce vit au dessus de ses moyens...Mais comment étayer cette affirmation ? Sa balance commerciale est certes déficitaire mais celle de la France et celles des Etats-Unis ne le sont-elles pas également ? Les Français comme les Américains vivent-ils au dessus de leurs moyens ? Il est possible de considérer que la réponse à cette question est positive mais alors la Grèce est dans le même cas que tous les pays connaissant un déficit de leur balance commerciale. Le plus souvent cependant, l'indicateur ou l'indice retenu aujourd'hui pour affirmer que la Grèce vit au dessus de ses moyens est le déséquilibre de ses comptes publics.
 
En 2010, le déficit de l'Etat grec est de plus de 12% du Pib, l'endettement représentant 123% de ce même Pib. Si ces niveaux sont incontestablement élevés en rapport aux « normes » retenues par le traité de Maastricht (3% et 60%), rappelons que la dette publique représente 197% du Pib japonais ou encore 127% du Pib italien. La dette américaine et française dépassent elles aussi allégrement les 60% du Pib de ces deux pays (92%), idem du Royaume- Uni ou de l'Allemagne (82%). Pour ce qui est du déficit, l'Etat irlandais connaît un déficit rapporté au Pib de plus de 14%, l'Etat britannique fait jeu égal avec l'Etat grec (plus de 12%). Les Etats américains et espagnol ont des déficits qui se situent entre 10 et 11% du Pib.
 
Ces chiffres montrent que si la situation des comptes de l'Etat grec n'est pas vraiment proche de l'équilibre, elle n'est pas plus dégradée que celle de nombreux pays occidentaux dont il n'a pas (encore ?) été affirmé qu'ils étaient tous en situation de quasi banqueroute comme le serait l'Etat grec.
 

2.   Les « doutes » des marchés...

 
La Commission européenne, qui a décidé de placer la Grèce sous tutelle (voir plus loin), a déclaré se réserver la possibilité d'exiger, dans les prochains mois, des efforts supplémentaires afin de « lever les doutes des marchés financiers quant aux capacités de financement de la dette grecque » (Le Monde, 3 février). Il convient cependant d'examiner plus attentivement les dits « doutes » en se demandant s'ils ne sont pas assimilables à ceux que pourraient exprimer un pyromane devant un incendie qu'il aurait contribué à allumer.
 
Le rôle trouble des hedge funds et celui des banques

Comme l'écrit un éditorial du Monde intitulé « Spéculation » : « spéculer sur les difficultés d'un Etat à rembourser ses dettes accroît, voire provoque les difficultés de cet Etat » (Le Monde, 11 février). Et de citer un ouvrage récent de Michel Aglietta, Sabrina Kahnniche et Sandra Rigot « Les Hedge Funds. Entrepreneurs ou requins de la finance ? » (Perrin, janvier 2010) : « Les Hedge Funds peuvent agir de manière concentrée et avec un maximum de
publicité pour entraîner le marché dans le sens qui leur convient ». Le mécanisme utilisé par les Hedge Funds, derrière lesquels se trouvent presque toujours des banques d'une manière ou d'une autre (parce qu'elles les financent ou les contrôlent) est à double détente : d'un côté, ils souscrivent aux émissions de dette, de l'autre, ils misent sur l'effondrement des mêmes Etats en intervenant sur le marché opaque des « Credit Default Swaps » (CDS). Les CDS sont des contrats d'assurance censés prémunir l'acheteur d'un emprunt d'Etat (ou d'une entreprise)
contre le risque de non remboursement. Plus le risque de défaut est considéré élevé, plus l'assurance coûte cher. Ces nouveaux outils financiers sont devenus objets de spéculation, leur marché s'étant autonomisé : on peut acheter et vendre des CDS sans acheter le titre d'emprunt qui va avec et, en fonction de la demande et de l'offre, le taux d'intérêt appliqué au CDS varie à la hausse ou à la baisse. A la hausse, cela signifie que le marché « pense » que la probabilité qu'un Etat va faire défaut s'accroît. Le cours des CDS exerce une une influence directe sur le rendement des obligations émises par les Etats. Certains Hedge Funds auront ainsi tenté de gagner beaucoup d'argent en pariant sur une explosion du prix des CDS grecs, en d'autres termes en jouant sur la faillite de la Grèce. La configuration peut ainsi être résumée comme l'a fait Jean Quatremer sur le blog de Libération (« Coulisses de Bruxelles », le 6 février) : « Gagner un maximum d'argent en créant une panique qui leur permet d'exiger de la Grèce des taux d'intérêt de plus en plus élevés tout en spéculant sur le marché des CDS, un marché non régulé et totalement opaque, afin là aussi de les vendre plus cher qu'ils ne les ont achetés ».
 
L'hebdomadaire « Marianne » a sans doute raison d'estimer que « quand on sait que les mêmes Hedge Funds sont fournis en liquidité par les banques que les gouvernements ont sauvées de la faillite en 2009, on mesure la sauvagerie de l'assaut contre la démocratie » (Marianne, n°669, 13-19 février). Mais cette attitude est-elle vraiment nouvelle et par conséquent surprenante ? On rappellera qu'à partir de 1997, de nombreuses banques allemandes, britanniques et suisses installées à Londres ont prêté à des spéculateurs américains qui auront réussi à capter l'épargne mondiale. Le marché des eurodollars s'est ainsi progressivement orienté vers des financements spéculatifs plutôt que de servir les projets d'investissement au Nord comme au Sud (« Les banques européennes financent la spéculation », Alternatives économiques, n°229, octobre 2004).
 
Un autre acteur pyromane : les agences de notation

Dans un rôle de pyromane, il convient de ne pas oublier les agences de notation. Comme elles l'ont fait pendant la crise des subprimes, les agences de notation, en dégradant la note de la Grèce (de A- à BBB+), ont contribué largement à attiser les pressions spéculatives. A terme, la dégradation de la note de la Grèce pourrait compliquer davantage encore la situation en posant la question de l'éligibilité à l'avenir des emprunts d'Etat grecs comme collatéral des opérations de refinancement de la Banque centrale européenne (BCE). On rappellera qu'en 2009, la BCE avait assoupli les conditions standards d'éligibilité du fait de l'acuité de la crise financière en acceptant des actifs dont la notation se situait a minima à BBB-. En principe, à partir de janvier 2011, la BCE a prévu un retour à des conditions « normales » : pour être acceptés comme collatéral, les actifs présentés devront être notés A- au minimum, ce qui n'est pas le cas de la note grecque actuellement.
 
Des institutions européennes s'abritant derrière les marchés ?

 
La Commission européenne de même que la BCE ne peuvent ignorer le rôle pervers joué par les Hedge Funds et certaines banques par le truchement des premiers, voire directement en jouant sur les deux tableaux : banque-conseil pour lever de la dette et banque de marché, plaçant massivement en CDS et pariant sur un défaut de paiement d'Athènes. Ces deux institutions, la Commission et la BCE, ne peuvent pas non plus ignorer l'effet d'aggravation de la situation que les notations des agences produisent.
 
Au final, le plus grave est cependant que ces deux institutions croient utile de s'abriter derrière le jugement des marchés et leurs prétendus « doutes » pour justifier les recommandations faites au gouvernement grec et déclarer n'accepter aucun retard dans la mise en œuvre de celles-ci (Le Monde, 3 février).
 

3.   Les «issues» envisagées pour réduire les déficits et restaurer la «confiance» des marchés

 
Tels des dieux en partie insondables ou capricieux, auxquels les humains doivent apporter des sacrifices, de préférence humains, les marchés et leurs prêtres (les agences de notation mais pas seulement elles : que l'on songe, en particulier, aux myriades d'économistes qui enseignent ou pratiquent la théorie selon laquelle les marchés financiers sont seuls efficients...) attendent désormais des « gestes forts » de la part de la Grèce. Ces gestes
correspondent aux « mesures additionnelles » prouvant que, cette fois, les mesures d'austérité seront « sérieuses » et surtout durables.
 
Les gouvernements européens, considérant que si la Grèce en est là, elle en est seule responsable, rechignent pour l'heure à lui apporter des concours financiers directs. Ces gouvernements se sont entendus pour lui accorder un soutien « politique », laissant la Commission européenne mettre le pays sous tutelle, une première dans la zone Euro. Bruxelles donc, d'après la déclaration commune adoptée le 12 février par les leaders européens, « surveillera étroitement » les finances grecques, « en liaison avec la Banque centrale européenne » et en « s'appuyant sur l'expertise technique du FMI » (Les Echos, 13 février). « Rigueur et transparence » seraient réclamées à la Grèce, Bruxelles se réservant un « droit d'ingérence dans le pilotage économique » du pays.
 
Deux orientations principales se dégagent des annonces faites par le gouvernement grec pour satisfaire aux exigences des marchés et de leurs prêtres ainsi qu'aux injonctions croisées des dirigeants européens et des experts du FMI : réduire selon un rythme très soutenu le déficit budgétaire, réformer les retraites. Nous examinons les deux orientations, en situant de nouveau le cas grec en rapport à celui de pays proches.
 
 
Une volonté affirmée de réduire rapidement les déficits
Les engagements pris pour réduire le déficit public frappent par leur intensité. Il s'agit, rien de moins, de faire passer le déficit public grec de plus de 12% du Pib à environ 8% dès cette année, soit une baisse de 4 points en un an. L'objectif est d'atteindre un déficit public de 3% du Pib en 2012.
 
Le parallélisme avec la France ne manque pas d'interroger : le gouvernement français a annoncé, lui aussi, viser un déficit public de 3% du Pib en 2012...objectif que certains économistes, tel Patrick Artus, jugent « déraisonnable » (entretien avec le journal Le Monde, 12 février), estimant que, dans un contexte de chômage massif, l'intérêt des gouvernements est d'afficher une politique budgétaire crédible avec un horizon temporel raisonnable, donc ni
2012 ni 2013.
 
Pour atteindre un résultat de baisse de 4 points du déficit budgétaire sur l'année, le gouvernement grec devra freiner considérablement la hausse de la dépense publique, voire diminuer celle-ci.
 
Son homologue français est dans la même logique, Eric Woerth a déclaré récemment vouloir faire passer le rythme de croissance de la dépense publique en France de 2.6% (en volume) à 0.6% par an.
 
En Grèce comme en France, les dépenses publiques progresseraient moins vite que l'activité économique au (grand) risque de provoquer un effet récessif. On sait qu'une telle stratégie dite de « sortie » est fortement débattue partout, en Europe mais aussi aux Etats-Unis. Le débat se résume au sens du lien réduction des déficits/croissance : est-ce la réduction des déficits qui est la condition de la croissance ou bien est-ce l'inverse, la reprise de la croissance la meilleure voie pour réduire les déficits ?
 
Si l'Etat français n'a pas hésité à réduire fortement le nombre de ses fonctionnaires, en supprimant plusieurs dizaines de milliers d'emplois dans l'enseignement, l'Etat américain, qui lui aussi prône la nécessité de promouvoir une économie fondée sur l'innovation et la connaissance, s'apprête à réduire la dépense publique en la « gelant » sur les trois prochaines années sans épargner les dépenses d'éducation. Pour le Président Obama, il est « primordial
de maîtriser les déficits budgétaires accumulés depuis trop longtemps ». Ce, afin de ne pas « mettre en péril le rétablissement économique » du pays (Le Monde, 8 février).
 
L'Etat grec est donc loin d'être le seul à annoncer une contraction de ses dépenses. Concrètement, cet objectif devrait se traduire en Grèce par le gel des salaires des fonctionnaires, la réduction de leurs primes, un moindre paiement de leurs heures supplémentaires, le blocage, voire la diminution de leurs effectifs (remplacement d'un départ sur cinq à la retraite).
 
Les fonctionnaires ne seraient cependant pas les seuls à être concernés : les retraites supérieures à 2000 Euros seraient bloquées, de nombreux abattements fiscaux seraient supprimés. Côté recettes, après que les biens de l'Eglise aient été assujettis à l'impôt, une hausse de la TVA serait envisagée ainsi que la création d'un impôt sur les grandes fortunes.
 
Les enjeux d'un tel plan sont nombreux et dépassent l'objectif énoncé de réduction du déficit public. Le Premier ministre grec a ainsi déclaré vouloir « créer un système plus transparent, plus démocratique, plus équitable » en précisant que « si le fardeau retombe sur les plus démunis et sur la classe moyenne, ils résisteront et nous l'aurons mérité » (entretien avec le journal Le Monde, 12 février). 
 
Un objectif énoncé de cohésion sociale risquant d'être mis en cause
L'objectif de cohésion sociale énoncé par le Premier ministre grec risque cependant de se heurter non seulement aux puissants intérêts de ceux qui pourront échapper à ces mesures grâce à leur mobilité (ou au chantage à celle-ci), mais plus encore à la philosophie et aux pratiques des institutions internationales appelées au chevet du patient grec. S'agissant du FMI, ses interventions relèvent d'un mode d'emploi bien rôdé. Dans les économies «
complexes », « une fois la cible de réduction des déficits arrêtée, il faut se pencher sur la composition des dépenses pour choisir où tailler ». On se retrouve « acculé à choisir entre (la baisse) des dépenses de santé et celle d'éducation, ce qui est insupportable » (Le Monde, 11 février).
 
La baisse de la dépense publique risque donc de poser à la Grèce, comme à l'ensemble des pays qui seront tentés de la mettre en œuvre, deux problèmes : un problème d'équité sociale et un risque d'aggravation de la récession ou de contribution négative à la croissance. Si l'on suit Paul Krugman, seule une relance massive de l'emploi -impossible sans investissement lourd de l'Etat- permettra le retour d'une croissance durable, seule garante à terme d'une capacité réelle à résorber les déficits (Le Monde, 8 février).
 
A un horizon plus long, on peut aussi craindre que la baisse des dépenses publiques d'éducation ne soit la pire des décisions, affectant à la fois l'équité sociale et le potentiel de développement des pays la mettant en œuvre.
 
Au final, il est permis de s'interroger sur les motivations réelles d'une baisse de la dépense publique et de se demander si celle-ci n'aurait pas comme mobile non avoué d'offrir un espace d'extension à la sphère marchande. La baisse des dépenses publiques de santé ou d'éducation ne signifie pas nécessairement, en effet, que les ménages renoncent à se soigner convenablement ou à scolariser leurs enfants dans des conditions convenables
d'enseignement. Ceci signifie que la dépense est privatisée, prise en charge par les ménages eux-mêmes, plus précisément ceux qui le peuvent. Les Grecs connaissent déjà bien cette configuration, comme nous l'avons noté plus haut. Il n'est pas sûr qu'elle rime avec l'équité sociale revendiquée par le Premier ministre grec. Dans les autres pays européens, elle risque fort d'être synonyme de privatisation de la dépense mais aussi de son utilisation :
développement de cliniques privées et du secteur privé à l'hôpital, réformes aboutissant à caler le fonctionnement des Universités sur le modèle des Ecoles privées, etc.
 
 
Réformer les retraites en Grèce... comme partout ?

Nous voudrions à présent évoquer la seconde issue suggérée à la Grèce pour rétablir la « confiance » des marchés : la réforme de son régime de retraite. Notons tout d'abord que le rôle de l'épargne-retraite privée est très variable en Europe, d'un pays à l'autre. Si la France se caractérise (de même que l'Italie ou l'Espagne) par une faible part du privé dans le fonctionnement du système de retraite (les revenus du capital représentent entre 5 et 8% du revenu total des retraités de ces pays), des pays comme les Pays-Bas, le Royaume-Uni ou encore, dans une moindre mesure, le Danemark et la Suède, se situent à un niveau nettement plus élevé de la part du privé (respectivement 46, 43, 36 et 23% des revenus des retraités sont issus de revenus du capital).
 
Comme partout -du moins avant la crise- il pourrait donc être fortement suggéré à la Grèce d'accentuer la part du secteur privé afin de réduire la part des transferts publics dans les revenus des retraités. La forte chute des Bourses en 2007-2008 risque cependant de freiner les incitations à aller en ce sens tout en ne décourageant pas, au contraire, la propension des ménages grecs à se constituer une épargne de précaution, ce qui pourrait produire un effet négatif de consommation. Il est donc probable que le gouvernement grec suivra les pistes actuellement explorées partout : celle d'un recul de l'âge légal de la retraite et celle d'un relèvement du nombre d'années devant être effectuées pour atteindre une retraite à taux plein.
 
Là encore, la configuration grecque ne semble pas différer fondamentalement de celle des autres pays, même si le taux d'emploi des plus de 55 ans en Grèce est un des plus faibles d'Europe (avec la France) du fait d'incitations assez fortes proposées aux Grecs, jusqu'à il y a peu, à prendre leur retraite avant l'âge de 60 ans. Ces incitations ont pu être justifiées au nom de la priorité à l'emploi des jeunes ou pour faciliter l'allégement des effectifs en évitant les licenciements, comme on a su le faire en France aussi.
 
Comme en Allemagne d'abord, en Espagne aujourd'hui et très certainement en France bientôt, le gouvernement grec ne se limitera pas annoncer un blocage des retraites supérieures à 2000 Euros et le non remplacement de 4 fonctionnaires sur 5 partant à la retraite. Il est probable qu'il agira sur les deux leviers que nous avons rappelés (âge légal, nombre d'annuités) en considérant que l'enjeu se résume à travailler plus longtemps pour éviter une
dégradation trop forte du taux de remplacement moyen (niveau de la retraite par rapport au salaire). Rappelons qu'en France, ce taux était, selon le Conseil d'orientation des retraites (COR), de 72% en 2007 et devrait passer à 65% en 2020 et 59% en 2050, les déficits futurs devant être revus à la hausse du fait de la crise.
 
Au final, la seule option qui semble exclue partout par les gouvernements est celle du relèvement des cotisations patronales, au nom de la nécessité de ne pas affecter la compétitivité des entreprises. On peut cependant considérer que le débat mérite d'être ouvert pour au moins deux raisons :

1) il n'est pas démontré que la compétitivité des entreprises se limite à la seule maîtrise ou contraction des coûts directs et indirects du travail, l'effort
d'innovation
et de qualité pouvant sembler des éléments plus déterminants pour asseoir une compétitivité durable ;

2) la frontière entre l'objectif de compétitivité et celui de rentabilité est poreuse et il n'est pas certain non plus que la baisse continue des cotisations sociales patronales ait davantage été guidée par l' objectif de compétitivité que par celui de rentabilité.
 

Conclusion : une victoire espérée de la construction européenne dans le sens d'une plus grande intégration ?

Certains hommes politiques ou certaines institutions n'excluent pas une intervention du FMI qui ne serait pas uniquement « technique » (se limitant à des recommandations que nous avons évoquées) mais comporterait des prêts ou des garanties, sous conditions. Sans surprise, le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, a indiqué que son institution était la mieux armée pour sauver la Grèce de la tragédie financière.
 
En France, cette position aura reçu un écho favorable au ministère des Finances « soucieux de ménager les finances publiques européennes » (Le Monde, 11 février). En Allemagne où l'éventuel renflouement de la Grèce susciterait une forte opposition, le vice-chancellier aurait plaidé contre une aide financière des Européens et en faveur d'une intervention du FMI, de même qu'un ancien membre allemand du directoire de la BCE (Le Monde, 13 février).
 
Cette position n'est cependant pas apparemment majoritaire et l'on ne s'étonnera pas outre mesure que les dirigeants des principales institutions européennes (la Commission, l'Eurogroupe), MM. Barroso et Juncker, sans oublier le nouveau président de l'Union européenne, M. Van Rompuy, se soient déclarés peu favorables à une intervention financière du FMI, préférant une action concertée des Européens, le président de la BCE, M. Trichet
insistant pour sa part sur la nécessité pour les Grecs « d'assainir leurs finances ».
 
Action concertée des Etats ou promotion d'un « exercice européen » ?

L'action concertée des Européens pourrait, au delà de la déclaration politique de soutien à la Grèce, s'exprimer sous la forme d'une intervention financière directe de certains Etats, éventuellement coordonnée. Cette intervention pourrait consister en des prêts ou promesses de prêts ou encore être un rééchelonnement de la dette.
 
Un sauvetage communautaire étant interdit par les traités, l'accent est mis sur la « solidarité qui doit d'abord s'exprimer à travers la coordination des politiques économiques et budgétaires » (M. Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services financiers, entretien avec le journal Le Monde, 10 février). Selon un scénario «catastrophe », les difficultés de la Grèce pourraient conduire, surtout si elles devaient se combiner avec
celles de l'Espagne et/ou du Portugal, à un démantèlement de l'Euro. Face à ce scénario, un conseiller de l'Elysée opposerait une attitude volontariste : « il n'y a pas de retour en arrière possible sur l'Euro. Les crises sont des accélérateurs de l'Histoire. Nous nous dirigeons vers un véritable gouvernement économique en Europe » (Le Monde, 10 février, « L'addition de dix années d'union monétaire sans gouvernement économique »). Dans son éditorial du 13 février, Le Monde titre, à propos de la crise de l'Euro et de la solidarité affichée par le Conseil
européen envers Athènes, « Bon pour l'Union » et juge « qu'un petit pas, au moins sémantique, est accompli dans la bonne direction : organiser un début de coordination des politiques budgétaires, face à la politique monétaire unique décidée par la Banque centrale européenne ». Des prises de position encore plus explicites sont repérables ici et là. A titre d'illustration, citons la conclusion d'un article du mensuel Alternatives économiques paru en
janvier dernier « Crise : la zone Euro peut-elle imploser ? » : « La gouvernance par les règles instituée par le pacte de stabilité a fait faillite. Sortir par le haut de cette situation suppose de bâtir une véritable gouvernance économique de l'Europe. Et de faire un pas de plus dans l'intégration européenne afin de la rendre plus légitime ». Et de suggérer une menace : « Sinon, il restera à sous-traiter la gestion des crises au FMI. Ce qui serait un échec politique majeur pour les Etats fondateurs de l'Euro ». Le Monde, citant le ministre allemand des Finances, écrit « Il ne serait pas illogique que l'Allemagne préfère une solution bilatérale, car un exercice européen changerait la nature de l'union monétaire, il impliquerait un contrôle plus fort qu'aujourd'hui sur les Etats membres, en d'autres termes il impliquerait, à terme, un nouveau transfert de souveraineté vers l'échelon européen, dans le domaine fiscal ». Et le journal de rappeler que « le domaine fiscal est le dernier grand domaine d'action où la souveraineté nationale reste entière » (Le Monde, 11 février). Citons enfin le même journal interrogeant le lendemain un économiste chez Natixis lequel lui déclare sans détour : « Il faut que l'Union invente des outils de contrôle et de surveillance. Les Allemands ont l'air un peu moins réticents à cet embryon de gouvernance économique que les Espagnols voudraient mettre en place durant leur présidence de l'Union. Profitons de la crise » (Le Monde, 12
février).

 
Mettre en évidence les choix et en débattre comme exigences de la démocratie
Nul doute donc que certaines forces politiques en Europe, à droite comme à gauche, espèrent tirer partie de la « crise grecque » pour pousser plus avant le projet d'une Europe plus intégrée, impliquant, par définition, de nouveaux transferts de souveraineté dans le domaine budgétaire et fiscal, voire un contrôle accru des Etats.
 
Ce projet mériterait d'être plus nettement mis en évidence et surtout débattu de façon démocratique.
 
« Profiter de la crise » pour faire avancer ce projet n'est pas la meilleure façon d'avancer dans le sens d'une Europe faite par les peuples et pour eux. On aurait pu espérer que l'échec du referendum en France sur le projet de Constitution européenne aurait permis d'éviter de telles tentations. Il semble qu'il n'en soit rien et que certains continuent de penser que l'Europe peut continuer de se construire de crise en crise, sans que les peuples ne s'expriment sur des projets dont ils devraient être les principaux artisans et bénéficiaires.

Source ; le blog de Gabriel Colletis

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