Haïti, 4 mois après - Pourquoi tout le monde se fout d'Haïti ?

Publié le par sceptix


Haïti, 4 mois après : les photos de Françoise Baré



09.05.10 - 13:24

Notre envoyée spéciale Françoise Baré est retournée à Haïti, quatre mois après le séisme. C'est un pays (encore) en ruine qu'elle a retrouvé. Elle nous livre un "coup de gueule", avec une question: "Pourquoi tout le monde se fout d'Haïti ?"

Les Haïtiens ont beaucoup de dérision. Cela les sauve sans aucun doute. Leur Palais présidentiel est une architecture pâtisserie, niaisement grandiloquente. Ils l'appellent la Maison Blanche.

Tout à l'intérieur était parodie de pouvoir. La bâtisse avait pourtant résisté à toutes les vicissitudes des coups d'Etat. Le séisme a eu raison de lui. Voilà un palais aplati. Symbole de l'impuissance. Qui pourrait s'émouvoir de ce laid béton en morceaux ?

La place, en face, pompeusement appelée le Champ de Mars, est un enchevêtrement de toiles. L'ultime désolation qui s'ajoute à toutes les gangrènes d'Haïti : la corruption, la violence, la pauvreté.

Haïti, où le désastre est la normalité, où les gens sont des survivants professionnels.

Ce fût pourtant l'île bénie des dieux. Les Awacs et les Caraïbes, les indiens d'avant Colomb, croyaient que le paradis sur terre était au sud.

Haïti, c'est aujourd'hui l'enfer sans malédiction.

Mais pourquoi en être arrivé là ? Quel est donc cet enchaînement tragique qui plonge cette île dans le relèvement presque impossible. Ceux qui se disent les élites, portent une importante responsabilité.

Et pourtant l'Histoire avait regardé les hommes là-bas, avait embrasé leur cœur, avait donné la force du combat.

L'indépendance, le 1er janvier 1804, est proclamée par le général Jean-Jacques Dessalines. Première République noire.

Haïti avait subi deux occupations cruelles. Celle des Espagnols : génocide, exploitation des mines d'or, les bébés donnés aux chiens. Celle des Français. Ils arrivent à Saint-Domingue, la partie occidentale est à eux.

C'est la perle des Antilles, le plus grand marché du nouveau Monde. 500 000 esclaves noirs parviennent sur les côtes.

Toussaint Louverture dirige la révolte contre la France. Elle plie bagages et réclame sous Charles X, une dette coloniale colossale pour renflouer le manque à gagner des grands propriétaires terriens.

Le gouffre économique s'ouvre-là.

La faillite, l'incapacité à fonder un Etat amènent les Américains de 1915 à 1934.

Les Duvalier, les dictateurs et leurs tontons macoutes achèvent le cauchemar. Haïti se libère en 1986. La démocratie ne prendra jamais racine.

La classe politique, des fantoches, cruels, cupides, prompts à l'enrichissement sur le dos d'une population laissée dans l'illettrisme, affamée mais si admirable de courage et de fierté, s'enrichit, spolie.

Les dictateurs ont fait fuir les intellectuels, les artistes et renforcé l'antagonisme entre noirs et mulâtres.

Tous ont cru en un grand soir avec Aristide. Le sauveur a aussi fait régner la terreur, s'est servi vite et bien.

Une centaine de familles détient le pouvoir économique dans leurs grosses villas sur les belles collines luxuriantes. Coupées du pays.  Elles vivent entre Miami et Haïti, elles font du commerce, n'investissent rien, importent c'est tout. Haïti un comptoir où l'on fait de l'argent.

Elles parlent ces familles si bien de cette bande d'incapables, le petit peuple, de Port-au-Prince, le "trou du cul du monde".

La rapacité est devenue quasiment une façon d'être. Il ne faut surtout pas prononcer "sens civique" L'humanitaire ne changera rien.

Les artistes, les peintres, les écrivains rencontrés le disent: "A chacun ses pauvres, ses quartiers, leur fond de commerce..." Mais qui travaille à ce qu'existent des académies, des écoles sans différence où enfin tous seraient alphabétisés ? Il faudrait un plan Marshall porté par un gouvernement digne.

Aujourd'hui, les larmes des généreux donateurs coulent pour d'autres catastrophes. Les projecteurs gonflent d'autres événements.

Nous, on est là, comme en janvier mais la caisse de résonnance, on ne veut plus trop nous la donner.

L'impuissance de notre révolte, on la voit. Mais pourquoi tout le monde se fout d'Haïti ?

 

F. Baré


Source RTBF
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