Délirantes surenchères des candidats à l’investiture républicaine
Seules huit voix séparent M. Willard « Mitt » Romney (30 015 suffrages), ancien gouverneur du Massachusetts, et M. John « Rick » Santorum (30 007 suffrages), ancien sénateur de Pennsylvanie. On savait déjà que l’Iowa n’était pas un Etat miroir de la population américaine. On y compte en effet plus de personnes âgées, plus de ruraux et beaucoup plus de Blancs (91 % contre 72 % aux Etats-Unis). La consultation qui vient de s’y tenir – et qui se distingue d’une élection primaire par le fait que les participants ne votent qu’à l’issue d’une assez longue réunion permettant aux représentants des principaux candidats d’exposer leurs positions – démontre une fois de plus son caractère très peu représentatif : 125 000 personnes ont voté, soit moins de 10 % des électeurs de l’Iowa qui avaient arbitré en 2008 le duel entre MM. Obama et John McCain.
Néanmoins, ce scrutin provoque souvent le retrait des candidats les plus faibles ; inversement le vainqueur – ou ici les deux vainqueurs – risque de bénéficier de l’aura du gagnant dans un pays qui n’aime pas les perdants, sauf quand ceux-ci peuvent très vite se prévaloir d’un come back. M. Romney étant déjà donné favori de la bataille des primaires, il ne profitera sans doute pas tant de son succès, facilité par des dépenses de campagne extravagantes, que M. Santorum, dont personne ne donnait cher des chances il y a seulement une semaine. Catholique obsédé par les questions de l’avortement et de l’homosexualité, ce dernier apparaît désormais comme le leader putatif du courant fondamentaliste chrétien très puissant au sein du parti républicain. Un candidat visant la même clientèle, M. James « Rick » Perry va devoir déterminer, à la lumière de son revers en Iowa, s’il continue longtemps le combat, une autre, Mme Michele Bachmann, figure de proue du Tea Party, a déjà annoncé son retrait.
Dans les prochaines semaines, sauf imprévu, la bataille principale opposera d’abord les deux vainqueurs du scrutin d’hier, mais aussi M. Ronald (« Ron ») Paul, aux convictions un peu excentriques dans son parti en matière de libertés publiques, de décriminalisation des drogues et de politique étrangère. Il vient en effet de réaliser un bon score (26 219 voix). Enfin, le Géorgien Newton Gingrich a priori plus populaire dans le Sud du pays (des primaires auront lieu en Caroline du Nord et en Floride d’ici fin janvier), n’a pas perdu toutes ses chances.
La campagne de l’Iowa aura en tout cas démontré l’intensité de la haine que suscite le président Obama au sein de l’électorat républicain, et à quel point cette hostilité conduit le parti à adopter des positions à la fois impraticables et extrémistes. Résumant la surenchère droitière à laquelle on vient d’assister, l’hebdomadaire britannique The Economist, qui pourtant appela à voter pour M. George W. Bush en 2004, ironisait : « De nos jours, un candidat républicain est obligé de croire, non pas certaines, mais toutes les choses suivantes : que l’avortement doit être interdit quelle que soit la situation ; que le mariage homosexuel doit être proscrit dans tous les Etats ; que les 12 millions d’immigrés illégaux, même ceux qui vivent aux Etats-Unis depuis des décennies, doivent être renvoyés chez eux ; que les 46 millions de personnes qui n’ont pas d’assurance maladie ne peuvent s’en prendre qu’à elles-mêmes ; que le réchauffement climatique est un complot ; que toute augmentation d’impôts doit être rejetée (…) ; qu’Israël ne fait jamais rien de mal et que les “soi-disant Palestiniens”, pour reprendre les termes de Newt Gingrich, ne font jamais rien de bien ; que le ministère de l’environnement, celui de l’éducation et d’autres – dont il n’est pas nécessaire de connaître le nom – devraient être supprimés (1) ».
Mais dès lors que, même affaiblis, les Etats-Unis demeurent de très loin la principale puissance diplomatique et militaire de la planète, il est également important de relever ce que les divers candidats républicains ont proposé en matière de politique étrangère. Après tout, l’élection de l’un d’entre eux le 6 novembre prochain demeure une possibilité sérieuse…
S’il peut leur arriver de tenir des propos couramment entendus ailleurs – M. Romney suggère de s’appuyer sur l’Arabie Saoudite et sur la Turquie pour faire pression sur le président syrien Bachar Al-Assad, M. Gingrich dénonce la dépendance des services secrets américains à l’égard du Pakistan, M. Paul s’oppose à une éventuelle intervention en Iran –, les candidats rivalisent le plus souvent de paroles outrancières et d’erreurs grossières ; à l’image de M. Santorum, qui croit que M. Pervez Musharraf est encore président du Pakistan – poste qu’il a quitté en 2008 – ou de Mme Bachmann qui redoute la présence de missiles du Hezbollah à Cuba et accuse la Chine d’aveugler les satellites américains avec des lasers.
Soutien frénétique à Israël, invocation de la « menace islamiste », prises de position belliqueuses : hormis M. Paul, fervent isolationniste, les concurrents républicains sont d’accord sur tout, ou presque. Quand M. Romney promet d’attaquer Pékin devant l’Organisation mondiale du commerce pour « manipulation de sa monnaie », M. Santorum dit vouloir « entrer en guerre contre la Chine afin de faire de l’Amérique l’endroit le plus attractif du monde pour faire des affaires (2) ». Engagé dans cette surenchère, M. Perry se montre particulièrement ambitieux, appelant à « combattre tous les ennemis [des Etats-Unis], où qu’ils soient, avant qu’ils n’attaquent notre territoire » (3), notamment par l’envoi de l’armée américaine au Mexique pour lutter contre le trafic de drogue.
Pour M. Gingrich, la menace vient surtout du monde musulman. Il faut « exfiltrer les scientifiques » d’Iran, explique-t-il, et défendre les dictateurs soumis aux Etats-Unis : « Il me semble étrange que Moubarak [ancien président égyptien renversé par sa population], qui a été notre allié pendant des années, qui a fait tout ce qu’il pouvait pour aider les Etats-Unis, qui nous a assistés lors de nos campagnes en Irak, qui a fait littéralement tout ce que nous lui avons demandé, soit lâché du jour au lendemain par l’administration Obama, signalant au monde entier : ‘‘Ne vous fiez pas aux Etats-Unis, parce qu’ils vous abandonneront en un clin d’œil, dès qu’ils en auront envie’’. (4) »
Ces préconisations agressives paraissent peu accordées au sentiment populaire, plus soucieux de repli que de nouvelles guerres. Elles sont également incompatibles avec les promesses de réduction des déficits. Pour faire des économies, MM. Gingrich et Romney ont pourtant une solution : supprimer l’aide aux pays étrangers. Laquelle ne représente que 1 % du budget américain.