"Les banques ont gagné beaucoup d’argent sur la dette grecque"

Publié le par Charlotte sceptix

INTERVIEW A l’orée du sommet de Cannes, Christine Lagarde reconnaît que la crise européenne a "plombé" les travaux du G 20. Elle n’en attend pas moins des avancées, notamment sur le système monétaire international. Cet entretien a été validé par la directrice générale du FMI le vendredi 28 octobre.

Christine Lagarde, Directrice générale du FMI (Challenges) Christine Lagarde, Directrice générale du FMI (Challenges)

 

Après le sommet européen, le « cercle vicieux », comme vous l’appelez, a-t-il été enrayé ?

Le sommet du 27 octobre a permis d’adopter les éléments d’une réponse globale et crédible à la crise que traversait la zone euro. J’ai immédiatement salué les progrès substantiels accomplis sur la Grèce, le Fonds européen de stabilité financière (FESF), la recapitalisation des banques ainsi que le renforcement de la coordination et de la discipline économique dans la zone euro. Tous ces éléments sont indissociables. Ils doivent être mis en œuvre le plus vite possible. Le sommet de Cannes doit permettre de transformer l’essai.

La crise de l’euro a-t-elle pourri la préparation du G 20 ?

J’espère du sommet de Cannes beaucoup d’avancées dans la réforme du système monétaire international, notamment pour ce qui est du renforcement de la surveillance du FMI et la mise en place d’un filet de sécurité financière globale. Mais les quatre derniers mois ont plombé les chantiers. Tous les pays sont soucieux de la crise des dettes souveraines, et sa résolution était un préalable. Après l’accord du 27 octobre, je m’attends à ce que le G 20 puisse reprendre un travail de fond pour la mise en place d’une croissance durable, soutenable et équilibrée.

Vous allez recommander au conseil d’administration du FMI le versement d’une nouvelle tranche pour la Grèce. Serez-vous suivie ?

Pour le paiement de la sixième tranche de 8 milliards d’euros, c’est probable. Le sommet de la zone euro devrait permettre de mettre en place un plan de financement plus réaliste pour la Grèce, fondé sur des participations respectives plus équilibrées entre le secteur privé – les abandons des banques – et une enveloppe de nouveaux prêts du secteur public. En l’état de nos prévisions, la Grèce ne tiendra pas sur ses deux jambes toute seule avant 2020.

Comment expliquer l’inflation des chiffres avancés pour sauver la Grèce : 110 milliards d’euros, puis 250, voire 440 milliards ?

Nous avons adopté une approche honnête et crédible. Les chiffres que j’ai voulu mettre sur la table des Dix-Sept sont donc frappés au coin du réalisme. L’accord du 21 juillet était fondé sur la situation grecque à cette date. Avec une diminution de 21 % du poids de la dette, cela donnait 110 milliards. Puis nous avons refait l’exercice avec les éléments issus de la dernière mission de la troïka (Commission européenne + BCE + FMI) : cela nous a donné des besoins de financements beaucoup plus élevés. Mais après l’accord de Bruxelles prévoyant une décote de la dette grecque à hauteur de 50 %, il est possible de revenir vers des chiffres moins importants.

Les prévisions n’ont pourtant jamais été respectées…

La Commission, la BCE et le FMI fondaient beaucoup d’espoirs sur la croissance et la détermination des Grecs à restaurer leurs finances publiques, et nous nous sommes retrouvés avec une reprise qui s’essouffle. Pourtant, les Grecs ont fait un gros effort pour diminuer leur déficit – 5 points de PIB de moins en un an, c’est colossal-–, mais ils n’ont pas encore engagé toutes les réformes de fond nécessaires pour retrouver le chemin de la croissance.

Peut-on leur demander plus d’efforts ?

Je suis sur le terrain du réalisme. Nous donnons davantage de temps au temps. Par exemple, nous leur demandions de privatiser chaque année l’équivalent de 5 % de PIB – c’est comme si en France on privatisait 100 milliards d’euros par an pendant dix ans. Ce n’est guère possible. La troïka travaille avec le gouvernement grec sur un objectif de privatisation très significatif mais plus réaliste à partir de 2012.

Faut-il s’accrocher à l’idée de ne pas mettre la Grèce en défaut théorique ?

On n’en est plus là après l’accord du 27 octobre. Il vaut évidemment mieux éviter un « événement de crédit ». Que les négociateurs des banques, représentés par l’Institute of International Finance, aient accepté de renoncer volontairement à 50 % de leurs créances sur le pays est une très bonne nouvelle. Les banques doivent accepter de prendre leur perte – au passage, elles ont probablement déjà gagné beaucoup d’argent sur la dette grecque.

Etes-vous satisfaite de la nouvelle architecture du FESF ?

Ma priorité, lors des nombreuses discussions bruxelloises auxquelles il m’a été donné d’assister ces derniers jours, a été de convaincre de la nécessité de mettre en place des dispositifs anticontagion qui soient crédibles. Il faut à présent mettre en musique l’accord qui prévoit de démultiplier les moyens du FESF.

L’intervention de la BCE sur les marchés de dettes souveraines doit-elle se poursuivre ?

Ce serait idéal, mais l’interprétation de son mandat par le conseil de la BCE ne lui permet pas d’institutionnaliser de telles interventions. Maintenant, si elle peut le faire, comme l’expliquent aujourd’hui Jean-Claude Trichet et Mario Draghi pour des raisons de bonne transmission de la politique monétaire, c’est bien.

L’Italie vous préoccupe-t-elle ?

Quand vous regardez sa dette – 120 % du PIB –, c’est un énorme sac de pierres sur le dos. En même temps, c’est le pays qui va arriver le premier à un excédent primaire, dès 2012. Mais la perception de lenteur dans la mise en œuvre des réformes, ça n’améliore pas la confiance. Ce que l’on a entendu du président du Conseil italien au sommet de la zone euro était plutôt rassurant.

Regrettez-vous votre avertissement de Jackson Hole sur la recapitalisation nécessaire des banques européennes ?

Non. Je suis contente que la préoccupation de tous soit maintenant de renforcer le capital des banques. Mais je ne suis pas là pour marquer des points.

Vous avez pourtant été beaucoup critiquée…

Je ne souhaite pas revenir sur cet épisode. Mais soyons clairs : quand vous êtes piéton, vous râlez contre les voitures ; et quand vous êtes en voiture, vous râlez contre les -piétons… Ce qui compte, ce seront des solutions solides et durables fondées sur des hypothèses réalistes et des méthodes de mesures harmonisées. 

Les banques françaises étaient-elles visées par vos propos ?

Non, pas du tout. Si une recapitalisation doit intervenir, cela relève de la responsabilité et du contrôle du superviseur national.

Etes-vous partisane de couper les banques en deux ?

Compte tenu des travaux du Fonds qui ont mis en avant le rôle des banques comme catalyseur et accélérateur de crise, et à la lumière de ce qu’on a vécu depuis trois ans, je pense que ce projet est légitime. Il y a probablement à améliorer le modèle dit « universel » qui présentait tant de vertus, pour segmenter la partie où les avoirs des déposants sont garantis de la partie activité pour compte propre, qui doit relever du risque de la banque.

Pourquoi n’avance-t-on pas sur la taxation des transactions financières ?

Il y a un accord franco-allemand auquel s’est ralliée la Commission. Ce n’est pas rien. Mais je doute qu’il y ait un accord au G 20. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l’Inde, la Chine, la Russie y sont hostiles. Cela fait beaucoup. Si on veut une taxation efficace, mieux vaut sans doute l’asseoir sur le secteur d’activité financier, aujourd’hui sous-taxé, et cibler les profils de risques et les établissements financiers qui ont des politiques de rémunération délirantes. C’est plus facile à attraper que des flux de capitaux qui vous filent entre les doigts.

Vous avez été longtemps ministre : comment améliorer la gouvernance pour l’Europe ?

La crise peut être une accoucheuse de bonnes nouvelles : la prise de conscience des impératifs de cohésion. On ne peut avoir le confort d’une Union monétaire sans en avoir les fondamentaux et la discipline. Cela suppose de mettre en commun une part de souveraineté et de ne plus finasser avec les règles.

Cela demande peut-être un ministre des Finances commun : au hasard, Jean-Claude Trichet ?

Il n’est pas dans mes attributions de me mêler de telles questions ! Mais il va sans dire que M. Trichet a un réservoir de compétence, de talent, d’expérience, de sagesse qu’il serait dommage de laisser sur le bord du chemin en imaginant qu’il irait pêcher à Saint-Malo.

Propos recueillis par Vincent Beaufils et Sabine Syfuss-Arnaud

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