La BCE bientôt à court de munitions pour sauver la zone euro
par Paul Carrel
FRANCFORT (Reuters) - La Banque centrale européenne (BCE), en ramenant son principal taux directeur à 0,75%, du jamais vu, et en réduisant à pratiquement zéro la rémunération des dépôts à 24 heures, a presque épuisé ses armes de politique monétaire conventionnelle.
Si la crise de la zone euro devait s'aggraver, la banque centrale des pays de l'euro n'aura plus qu'à se résoudre à prendre des mesures qui lui déplaisent, notamment parce qu'elles ne sont pas sans danger.
Il s'agirait d'acheter de la dette d'Etat, une éventualité qui hérisse la Bundesbank, son principal actionnaire, ou alors offrir de nouveaux prêts bon marché aux banques, ce qui ne va pas sans risque.
"Il ne faut pas se faire d'illusions. La BCE ne peut pas à elle seule assurer la bonne navigation de l'économie et des marchés", a prévenu vendredi Jörg Asmussen, membre de son directoire, au lendemain de la décision de politique monétaire de la BCE. "Il y a des limites à ce que nous pouvons faire".
Jens Sondergaard, économiste chez Nomura, espère dans un premier temps, comme certains de ses confrères, une nouvelle baisse d'un quart de point du coût du crédit en août. Ce qui réduirait le taux de refinancement à 0,5%.
Jens Sondergaard croise les doigts pour que l'économie de la zone euro redémarre ensuite vers la fin de l'année.
Parmi les options envisageables, le fonds permanent de secours de la zone euro, le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui sera opérationnel d'ici quelques jours, pourrait lui aussi intervenir sur le marché obligataire pour faire baisser les coûts de l'emprunt.
Mais ses ressources ne sont pas inépuisables. Il dispose d'une enveloppe maximum de 500 milliards d'euros dont une centaine de milliards est déjà réservé aux banques espagnoles.
INJECTIONS MASSIVES
Le président de la BCE, Mario Draghi, s'est également montré réticent à l'idée de permettre au MES d'avoir accès aux prêts bon marché de la BCE. Pourtant, cela augmenterait considérablement sa puissance de feu et lui permettrait d'intervenir efficacement sur les marchés obligataires où les rendements espagnols sont à nouveau montés à plus de 7%.
En ce qui concerne le programme de rachat d'obligations de la BCE, en sommeil depuis quatre mois, il y a peu de chances qu'il soit durablement réactivé. Les membres de la BCE estiment en général qu'il revient à faire financer les Etats par le marché monétaire, ce qui ne fait pas partie du mandat de la BCE. L'an dernier, Axel Weber, alors patron de la Bundesbank, avait démissionné pour protester contre les effets de ce programme.
A défaut de racheter de la dette d'Etat, la BCE pourrait réitérer ses opérations de prêts bon marché à trois ans déjà consentis par deux fois aux banques en décembre puis février pour un total de 1.000 milliards d'euros.
Ces injections massives de liquidités dites "LTRO" ont été très appréciées des marchés. La BCE dit elle-même qu'elles ont évité un tarissement du crédit.
Certains spécialistes anticipent un nouveau prêt LTRO d'ici la fin de l'année, même si la BCE n'a rien laissé entendre de tel jeudi lors de sa réunion de politique monétaire.
Certains responsables de la politique monétaire s'interrogent toutefois sur les gages acceptés de plus en plus largement par la BCE en nantissement des prêts LTRO, ce qui risque de peser sur son bilan. La BCE vient d'ailleurs de fixer une limite au montant des obligations que les banques peuvent utiliser en nantissement dans les opérations de prêts de la BCE.
PESSIMISME
Les banques de la zone euro en difficulté ont en effet de plus en plus tendance à emprunter à très bon marché auprès de la BCE en présentant comme garantie des obligations qu'elles émettent elles-mêmes et qui sont ensuite garanties par leurs Etats d'origine, ce qui les rends acceptables par la BCE.
Le montant de ces garanties s'élèverait à plus de 100 milliards d'euros.
En cas de lourdes pertes, la BCE pourrait devoir se tourner vers ses actionnaires - les 17 banques centrales de la zone euro - pour se recapitaliser.
Théoriquement, la BCE et les banques centrales nationales de la zone peuvent totaliser des fonds d'environ 700 milliards d'euros si tous les actionnaires remplissent leurs obligations. Mais une partie d'entre elles pourraient ne pas être en mesure de participer.
Vendredi, l'heure était au pessimisme chez les économistes. "C'est très inconfortable pour les marchés de savoir qu'il y a un risque qu'ils ne puissent plus rien faire en cas de détérioration dans les deux mois", dit l'économiste de Nomura, Jens Sondergaard.
Nouriel Roubini, devenu célèbre pour avoir prédit la crise financière de 2008, prédit une nouvelle fois un avenir sombre.
Il donne trois à six mois à la zone euro pour s'en sortir. "Puis, l'Italie et l'Espagne perdront accès aux marchés financiers", dit-il dans un entretien au Handelsblatt.
Danielle Rouquié pour le service français, édité par Gilles Trequesser